Sous un toit de tôle ondulée, un monticule de terre entouré de bouteilles en verre à moitié enterrées marque le lieu où Pol Pot a été incinéré à la hâte en 1998.
C'est l'un des quatorze sites que le gouvernement veut "préserver et développer" autour du dernier bastion des Khmers rouges dans le nord du pays, à la frontière thaïlandaise.
Mais pour l'instant, aucune information n'est disponible pour la dizaine de touristes qui passent chaque jour devant la tombe du "frère numéro un", comme Pov Dara, qui prend ses proches posant devant en photo.
"Je suis triste pour les gens, mais pas pour lui", commente la Cambodgienne de 27 ans.
Quelque deux millions de personnes sont mortes sous la torture, d'épuisement ou de malnutrition dans la mise en oeuvre de l'utopie marxiste délirante des Khmers rouges entre 1975 et 1979.
Et entraîner les touristes sur les traces de ces atrocités n'est pas une nouveauté pour le Cambodge.
La prison de Tuol Sleng à Phnom Penh, où quelque 15.000 personnes ont été torturées, et les champs d'exécution de Choeung Ek où elles ont ensuite été tuées, sont déjà parmi les attractions les plus populaires du pays.
Mais ces lieux honorent la mémoire des victimes du régime, alors qu'Anlong Veng abrite toujours des partisans des Khmers rouges.
Pour éviter que cette ville qui semble s'être retrouvée du mauvais côté de l'Histoire ne devienne un lieu de pèlerinage, le ministère du Tourisme s'est associé au Centre de documentation du Cambodge, spécialisé dans les recherches sur cette époque.
"Nous avons la responsabilité de nous assurer qu'Anlong Veng soit un site historique et responsable pour éduquer le public", explique Youk Chhang, directeur du Centre qui doit notamment former des guides. La mémoire du Cambodge n'est "pas à vendre", insiste-t-il.
Les Khmers rouges ont été chassés par les forces vietnamiennes en 1979, mais leurs dirigeants et partisans ont poursuivi une guérilla contre le gouvernement jusqu'à la chute de leur dernier bastion, Anlong Veng, en 1998.
L'un des sites les mieux préservés est la maison de Ta Mok, surnommé le "boucher" pour les purges sanglantes aux milliers de morts qui lui sont imputées, même si les habitants se rappellent un dirigeant généreux qui avait fait construire pont, hôpital et école.
Le redouté commandant, qui avait renversé Pol Pot en 1997 et ainsi pris la direction des Khmers rouges retranchés à Anlong Veng, est le seul leader à avoir refusé de se rendre ou de passer un accord avec le gouvernement après la mort du "frère numéro un". Arrêté en 1999, il est finalement mort en prison en 2006, avant d'avoir pu être jugé.
Sur les murs de sa maison vide, des peintures de temples et une carte du Cambodge, qui prouvent son patriotisme, explique San Roeung, ancien soldat khmer rouge qui veille sur les lieux.
"Beaucoup de gens ici aimaient Ta Mok", assure le sexagénaire qui a aidé à construire les cages de métal toujours à l'extérieur, où le "boucher" gardaient ses prisonniers.
Le gouverneur adjoint du district, Nhem En, espère lui ouvrir un musée privé pour exposer son "inestimable" et macabre collection, des sandales de Pol Pot à son uniforme en passant par le siège cassé de ses toilettes.
Sous les Khmers rouges, il était le photographe en chef de Tuol Sleng, immortalisant les visages des prisonniers à leur arrivée.
"Si je mets cet appareil photo dans un musée, je l'appellerai l'appareil photo tueur", explique-t-il à l'AFP en exhibant son Rolleicord d'époque. "Parce que tous les gens qui sont passés devant à Tuol Sleng sont morts".
Mais il affirme n'avoir fait que "suivre les ordres" et "s'occuper de (ses) affaires".
Douch, le chef de Tuol Sleng, est le seul responsable khmer rouge à avoir été condamné --à la perpétuité-- par le tribunal parrainé par l'ONU. Le procès des trois plus hauts dirigeants encore en vie est en cours, mais Nhem En ne s'y intéresse pas, préférant rêver aux futurs touristes qui passeront à Anlong Veng. "Je fais ça pour que le monde comprenne mieux le régime khmer rouge", assure-t-il. "Anlong Veng ne retournera pas dans le passé".