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Tatiana Kastouéva-Jean dirige le Centre Russie/NEI depuis 2014. Elle est spécialiste des relations russo-européennes. Dans cet entretien réalisé au Forum mondial de la paix en Normandie 2022, elle nous parle de la guerre russo-ukrainienne et de ses conséquences sur l’Europe et le monde.
Libé : Que pensez-vous de cette situation nouvelle pour l’Europe, générée par le conflit en Ukraine ?
Tatiana Kastouéva-Jean : Je pense que cette guerre a changé le visage politique de l'Europe. Evidemment, il y a eu d’autres guerres que l'Europe a connues, même après la chute de l’URSS, des guerres violentes comme celle en ex-Yougoslavie. Mais c'est la première fois qu’une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, envahit un pays voisin dans le but très explicite, les Russes ne s'en cachent pas, de désorganiser l’Ukraine, voire de désukrainiser ce pays en le privant de son identité. C’est ce point qui distingue cette guerre des précédents conflits et la rend extrêmement dangereuse. C’est ce qui provoque cette levée de boucliers de la part de l’Occident, de l’Europe et des Etats-Unis.
En Europe, des pays comme l'Allemagne, suite à cette guerre, commencent à allouer un gros budget à l’armement. Qu’en pensez-vous ?
Cette guerre a changé beaucoup de choses, au niveau des flux énergétiques, et il y a une volonté de se débarrasser de cette dépendance au gaz russe. Certes, il n’était pas cher, mais il représente en fait une réalité, celle de la fragilité des économies européennes. Cela va changer aussi au niveau militaire. Cela implique de très grands bouleversements au niveau budgétaire, mais aussi dans les mentalités. En effet, les Européens, après la chute de l’URSS et la guerre en Yougoslavie, pensaient pouvoir profiter des dividendes de la paix.
Aujourd’hui, en quelque sorte, avec cette guerre en Ukraine, le réveil de l’Europe est extrêmement dur. Les Européens prennent conscience qu’ils sont désarmés pendant que d'autres puissances, dont la Russie, s’arment et investissent beaucoup dans l'industrie de défense, dans l'appareil militaire, pour être prêts à une guerre. Mais ce conflit est moins technologique qu'on le pensait, parce que les Russes utilisent les stocks qui datent encore de la période soviétique. Il va donc falloir investir, s'organiser différemment au niveau politique et réfléchir aussi à cette dépendance à l’OTAN. Evidemment, on ne peut pas du jour au lendemain s’en débarrasser. Ce n’est d'ailleurs probablement pas le but, mais plutôt réfléchir à un pilier de défense européen, sans compter toujours sur les Etats-Unis. Je pense que c'est l'une des leçons que les Européens doivent tirer de cette guerre.
On a aussi constaté des changements dans le comportement de nombreux Etats lors de cette guerre. Certains pays non occidentaux n’ont pas suivi les sanctions occidentales contre la Russie, en considérant que cette guerre ne les concernait pas ...
Tout à fait, c’est un point extrêmement important dans cette affaire. Ces pays considèrent que c’est une guerre entre Européens et beaucoup se sont abstenus ou n’ont pas assisté à la réunion des Nations unies ayant condamné l'agression russe. Ils ne souhaitent prendre parti ni pour l’Ukraine ni pour la Russie.
Ces pays, en effet, ont des reproches à faire à l'Occident. Ils pensent que l'Occident a également sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se dérouler sur le sol ukrainien. Certains sont dépendants de l'Europe et de la Russie à la fois et ne souhaitent pas prendre parti. C'est un peu le camp des non-alignés. Mais leur position évolue avec le temps, car cette guerre, qui dure depuis plusieurs mois, suscite une certaine prise de conscience sur ce qui est en train de se jouer vraiment sur le sol européen, c’est-à-dire une tentative de priver de souveraineté un pays membre et reconnu par l’ONU. C’est quelque chose d'inacceptable. Je crois que cela crée un précédent extrêmement dangereux et donc, les Occidentaux ne peuvent pas simplement laisser faire.
Les prix de l’énergie suite à cette guerre ont flambé et sont devenus trop chers pour les consommateurs que nous sommes et les entreprises. Cela se répercute aussi sur les prix des denrées alimentaires. Comment sortir de cette impasse ?
Nous sommes en plein dedans. En fait, la guerre en Ukraine, c'est l'épicentre de toute une série d'autres crises, dont certaines étaient prévisibles, comme la crise énergétique. D'autres, comme la crise alimentaire, l’étaient moins. Cela va peut-être provoquer d'autres crises et casser évidemment cette interdépendance dont on a parlé pendant très longtemps entre la Russie et l'Europe. Les flux vont être réorientés différemment. Là aussi, on voit bien que la Russie cherche frénétiquement à vendre ses hydrocarbures, son pétrole et son gaz à d’autres pays, comme la Chine et l'Inde, à bas prix même si cela se fait au détriment de ses intérêts financiers.
Caen : Propos recueillis par Youssef Lahlali
Libé : Que pensez-vous de cette situation nouvelle pour l’Europe, générée par le conflit en Ukraine ?
Tatiana Kastouéva-Jean : Je pense que cette guerre a changé le visage politique de l'Europe. Evidemment, il y a eu d’autres guerres que l'Europe a connues, même après la chute de l’URSS, des guerres violentes comme celle en ex-Yougoslavie. Mais c'est la première fois qu’une puissance nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité, envahit un pays voisin dans le but très explicite, les Russes ne s'en cachent pas, de désorganiser l’Ukraine, voire de désukrainiser ce pays en le privant de son identité. C’est ce point qui distingue cette guerre des précédents conflits et la rend extrêmement dangereuse. C’est ce qui provoque cette levée de boucliers de la part de l’Occident, de l’Europe et des Etats-Unis.
En Europe, des pays comme l'Allemagne, suite à cette guerre, commencent à allouer un gros budget à l’armement. Qu’en pensez-vous ?
Cette guerre a changé beaucoup de choses, au niveau des flux énergétiques, et il y a une volonté de se débarrasser de cette dépendance au gaz russe. Certes, il n’était pas cher, mais il représente en fait une réalité, celle de la fragilité des économies européennes. Cela va changer aussi au niveau militaire. Cela implique de très grands bouleversements au niveau budgétaire, mais aussi dans les mentalités. En effet, les Européens, après la chute de l’URSS et la guerre en Yougoslavie, pensaient pouvoir profiter des dividendes de la paix.
Aujourd’hui, en quelque sorte, avec cette guerre en Ukraine, le réveil de l’Europe est extrêmement dur. Les Européens prennent conscience qu’ils sont désarmés pendant que d'autres puissances, dont la Russie, s’arment et investissent beaucoup dans l'industrie de défense, dans l'appareil militaire, pour être prêts à une guerre. Mais ce conflit est moins technologique qu'on le pensait, parce que les Russes utilisent les stocks qui datent encore de la période soviétique. Il va donc falloir investir, s'organiser différemment au niveau politique et réfléchir aussi à cette dépendance à l’OTAN. Evidemment, on ne peut pas du jour au lendemain s’en débarrasser. Ce n’est d'ailleurs probablement pas le but, mais plutôt réfléchir à un pilier de défense européen, sans compter toujours sur les Etats-Unis. Je pense que c'est l'une des leçons que les Européens doivent tirer de cette guerre.
On a aussi constaté des changements dans le comportement de nombreux Etats lors de cette guerre. Certains pays non occidentaux n’ont pas suivi les sanctions occidentales contre la Russie, en considérant que cette guerre ne les concernait pas ...
Tout à fait, c’est un point extrêmement important dans cette affaire. Ces pays considèrent que c’est une guerre entre Européens et beaucoup se sont abstenus ou n’ont pas assisté à la réunion des Nations unies ayant condamné l'agression russe. Ils ne souhaitent prendre parti ni pour l’Ukraine ni pour la Russie.
Ces pays, en effet, ont des reproches à faire à l'Occident. Ils pensent que l'Occident a également sa part de responsabilité dans ce qui est en train de se dérouler sur le sol ukrainien. Certains sont dépendants de l'Europe et de la Russie à la fois et ne souhaitent pas prendre parti. C'est un peu le camp des non-alignés. Mais leur position évolue avec le temps, car cette guerre, qui dure depuis plusieurs mois, suscite une certaine prise de conscience sur ce qui est en train de se jouer vraiment sur le sol européen, c’est-à-dire une tentative de priver de souveraineté un pays membre et reconnu par l’ONU. C’est quelque chose d'inacceptable. Je crois que cela crée un précédent extrêmement dangereux et donc, les Occidentaux ne peuvent pas simplement laisser faire.
Les prix de l’énergie suite à cette guerre ont flambé et sont devenus trop chers pour les consommateurs que nous sommes et les entreprises. Cela se répercute aussi sur les prix des denrées alimentaires. Comment sortir de cette impasse ?
Nous sommes en plein dedans. En fait, la guerre en Ukraine, c'est l'épicentre de toute une série d'autres crises, dont certaines étaient prévisibles, comme la crise énergétique. D'autres, comme la crise alimentaire, l’étaient moins. Cela va peut-être provoquer d'autres crises et casser évidemment cette interdépendance dont on a parlé pendant très longtemps entre la Russie et l'Europe. Les flux vont être réorientés différemment. Là aussi, on voit bien que la Russie cherche frénétiquement à vendre ses hydrocarbures, son pétrole et son gaz à d’autres pays, comme la Chine et l'Inde, à bas prix même si cela se fait au détriment de ses intérêts financiers.
Caen : Propos recueillis par Youssef Lahlali