Tariq Kabbage devant la commission de l'intérieur, des collectivités territoriales et de la politique de la ville : “On construit au détriment de l'espace public”


PAR Tariq Kabbage
Mardi 5 Juin 2012

Tariq Kabbage devant la commission de l'intérieur, des collectivités territoriales et de la politique de la ville : “On construit au détriment de l'espace public”
Nous publions ci-après, l'intervention faite, le 21 mai dernier, par le député socialiste, Tariq Kabbage, devant la Commission de l'Intérieur, des collectivités territoriales et de la politique de la ville au Parlement à propos de la politique de la ville, en présence du  ministre de l'Habitat, de l'Urbanisme et  de la Politique
de la ville.

«Vous avez modifié le nom de votre ministère en y ajoutant le terme de ministère de "la Politique de la ville".
 Vous avez engagé une politique de concertation et des ateliers à travers les régions, c'est une démarche positive.
 Aujourd'hui, nos villes ont changé. Un pays avec une domination du rural est devenu un pays où domine l'urbain, mais un urbain ruralisé avec une insuffisance d'infrastructures de base : assainissement, eau potable, mais aussi établissements scolaires et hospitaliers.
Les changements que l'Europe a  vécus en plus de 200 ans, nous les avons vécus en moins de 50 ans.
 Les changements ont frappé différemment nos régions. La région du Souss-Massa-Drâa a évolué différemment de celle de Fès par exemple. Dans une même région, il peut y avoir des différences fondamentales. La sous-région Souss-Massa a évolué avec des spécificités locales par rapport à l'Est, car l'importance du développement agricole a renforcé la dynamique économique. Des villages de 5.000 habitants sont devenus des petites villes ou des villes moyennes de 50.000 habitants, sans infrastructures de base.On est passé du bidonville au ''plastiville ".
 Des études ont été réalisées, des schémas directeurs aussi, mais on constate l'absence de plans d'aménagement  dans ces anciens centres ruraux, ou leur dépassement sous la pression de  l'évolution de la population qui a été sous évaluée. Des travailleurs saisonniers se sont fixés au cours du temps avec leurs familles et l'absence du foncier légal explique la construction anarchique.
 Des hommes, des femmes sont venus travailler dans un bassin d'emploi des plus dynamiques du Maroc, mais sans accueil pour des populations émigrées venues de nombreuses régions.
 Le pôle du Grand Agadir s'est donc développé autour de grands secteurs d'emploi  que sont l'agriculture, la pêche  et  le tourisme qui ont absorbé le chômage d'ailleurs. Mais il a connu  un développent urbain sans vision globale, sans complémentarité des territoires.  
 L'attractivité de ce pôle a donc provoqué des effets pervers: du plein emploi, notre région connaît le chômage, et surtout une jeunesse sans formation et sans avenir.  La problématique des banlieues européennes, et françaises en particulier, se retrouve chez nous avec les problèmes de sécurité.  
 Notre particularité, c'est que nos villes, grandes ou moyennes, nos communes rurales vivent une situation de crise profonde : une population jeune sans formation, marginalisée, un système éducatif dépassé, et le ministre Daoudi a rappelé hier que le nombre d'étudiants au Maroc est inférieur à celui de la Tunisie.
 Nous avons eu une politique de construction et non pas une politique d'aménagement urbain, une vraie politique de la ville.  
 "Politique de la ville" est un concept français avec, pendant de nombreuses années, depuis le président Mitterand, un ministre chargé de la Politique de la ville. Aujourd'hui, en France, on parle de «La ville».  Cette politique a pour but de remettre à niveau de grands quartiers à la périphérie des villes, des ghettos où se rassemblent tous les abandonnés de la croissance, les marginalisés,  les chômeurs,  les nouveaux venus à la ville et en particulier les étrangers.
 Les solutions à la française, ou de tel ou tel pays, ne serviront à rien. On doit connaître leur expérience, les fondamentaux de leurs villes, des villes inclusives, compactes avec des espaces publics de vie, de mixité. Nous avons des experts marginalisés qui ont capitalisé un savoir, et qui peuvent contribuer aux politiques de la ville, et chaque ville est un cas lié à son histoire. On peut définir des règles générales à appliquer selon les particularités.  
Le gouvernement El Youssoufi avait créé un grand ministère de l'Aménagement du territoire, de l'Environnement et de l'Urbanisme pour corriger les erreurs du passé et préparer l'avenir. Cette approche a été marginalisée, enterrée pour une approche qui ne prend en compte que les intérêts d'une minorité de promoteurs immobiliers.
Depuis 10 ans, la seule préoccupation a été la construction, une politique de lotissements, une politique que notre pays subit depuis 40 ans. On construit au détriment de l'espace public.
 Dans la plupart de nos villes, et en particulier les 14 grandes villes, le foncier communal ou de l'Etat a servi à de grandes opérations immobilières au détriment du cadre de vie. Dans ce cas, comment peut-on avoir une politique de la ville ?
 L'habitat ne fait pas la ville.
 La ville, c'est le lieu où l'on travaille.
 La ville, c'est un lieu de vie et de loisirs : la culture, le sport , l'environnement et la nature.
La ville, c'est le savoir: pôle universitaire, technologique pour les emplois nouveaux.
La ville, c'est des services offerts aux citoyens : l'école,  la santé en particulier.  
La ville, c'est l'aménagement urbain, et donc une ville de qualité pour tous.
La ville, c'est la relation entre les femmes et les hommes, c'est le transport urbain, c'est les modes de déplacements doux: piétons et vélo.
Autrement dit, toute politique qui vise à améliorer la ville, à améliorer le cadre de vie, à le rendre attractif,  et qui fait des habitants des citoyens fiers de leurs quartiers et de leurs communes.
 Votre ministère est l'un des plus sensibles, des plus importants, car de la réussite de la ville, dépend le Maroc de demain,  l'avenir du pays largement compromis par les politiques antérieures.
 Vous ne pouvez pas, tout seul,  faire cette politique. Il faut l'engagement horizontal des ministres concernés.
 Les ateliers locaux sont importants. Mais il faut un atelier qui réunisse vos collègues du gouvernement : l'enseignement,  la santé,  l'équipement, l'emploi, la justice. En somme, tous ceux qui ont une relation avec la ville.
 L'échec des villes nouvelles,  c'est l'absence d'horizontalité et d'intégration des politiques sectorielles.  
Si , à travers vos rencontres , vous arrivez à dégager les principes de la ville de demain, si on vous donne le pouvoir de rassembler les principaux ministères, si on vous donne des moyens pour des politiques d'urgence, alors, vous aurez réussi.
Nous avons l'expérience d'une ville nouvelle, Agadir,  qui a réussi parce que tous les pouvoirs ont été confiés au moment de la reconstruction à un seul organisme «Le Haut commissariat à la reconstruction».  L'un des acteurs, M.  Benbark, est témoin de cette expérience.  C'est une expérience qui n'a pas été capitalisée.  Il faut restructurer les communes existantes avant de se lancer dans cette politique de villes nouvelles (cas de Drarga avec la ville de Taggadirt) pour ne pas tomber dans les pièges des Tamansourt.
 La politique de la ville, c'est d'abord les institutions élues.  Les pouvoirs locaux,  les élus doivent avoir une vision pour leur ville, car ils sont les acteurs clefs. Mais  quand ils ont cette vision, ils trouvent des difficultés pour l'appliquer.
A Agadir, et depuis 2004, nous avons essayé modestement de changer la ville.  La charte communale oblige les communes à se doter d'un plan communal de développement. Ce plan communal est étalé sur 6 ans. Il comporte les projets de la ville et les projets pour la ville avec les partenaires que sont les représentants des ministères.  C'est une approche participative citoyenne : élus,  services extérieurs.  Le ministère de l'Urbanisme et de la Ville doit être le partenaire privilégié. Le plan communal est en fait la politique de la ville, pour la ville.   
Nous vous invitons à venir à Agadir voir notre modeste expérience, les points positifs et les points négatifs.
 Notre politique de proximité et de la qualité de la vie a pour objectif de niveler les différences entre quartiers. Cette politique vise:
- les infrastructures de base (voiries, électricité),  l'amélioration des services offerts  aux citoyens et en particulier la collecte des ordures ménagères et la propreté des services gérés par la commune ;
- les équipements de proximité, espaces de sport, de culture ( réseau de maisons de quartiers) au milieu d'espaces verts avec le souci de l'environnement ;
- la rénovation des quartiers et la restructuration des zones héritées du ''passé'' .
Les limites de cette politique sont liées à des questions de fond :
-les pouvoirs des représentants des ministères (enseignement,  santé,  emploi) obéissent à une logique centralisée . Une zone dédiée à l'offshoring et aux nouvelles technologies,  créatrices d'emplois, et qui a fait l'objet d'une convention, est aujourd'hui gelée à  Agadir.  
 L'opérateur public comme Al Omrane, qui devrait être l'un des instruments d'une politique d'aménagement urbain de qualité,  a été gangrené par la mauvaise gouvernance et n' a pu jouer son rôle.
 Une politique contractuelle entre commune et ministère peut durer des années avant la signature.  C'est le cas d'Agadir avec la zone des piémonts depuis 2006. Une convention a été signée difficilement en décembre 2011. Ces retards ont favorisé  la multiplication de l'habitat illégal dans les piémonts.  
L'ingérence de l'autorité locale dans les attributions des communes crée des relations tendues. Celle-ci s'intéresse plus  à la façade, à des travaux réalisés dans les grandes avenues dans la précipitation, sans études sérieuses, au lieu d'attendre quelques mois les résultats d'une étude structurelle ( coopération avec Nantes Métropole ) pour le bus en site propre.
 Les fondements d'une politique de la ville:
 - la régionalisation,  la décentralisation , la déconcentration avec des pouvoirs clairs pour les élus, sont les fondements d'une politique de la ville. La lourdeur et la lenteur de l'administration centrale sur des questions fondamentales comme le Plan de déplacement urbain ( PDU) réalisé  avec la collaboration de Nantes dont le maire est aujourd'hui Premier ministre, ont fait qu'il est bloqué depuis un an et demi par les services de l'Intérieur, ce qui est inacceptable ;
 - le renforcement des ressources humaines dans les collectivités locales mais aussi dans les pouvoirs déconcentrés de l'Etat , les services relevant de votre ministère, et les agences urbaines ( instruments de communes ou groupe de communes) seront les leviers de votre politique pour des villes inclusives,  créatrices de richesses et à la pointe des nouvelles économies fondées sur le respect de l'environnement ;
 - les moyens financiers sont à mobiliser d'abord , à travers l'impôt et les taxes locales ;
 - la gestion déléguée des services communaux a montré ses limites , mais il y a d'autres formes plus performantes comme la gestion par des sociétés à capital communal qui constitue une solution moins chère et  plus efficace , car proche des citoyens;
 - cette politique ne peut réussir qu'avec une nouvelle catégorie d'élus. Des élus stratèges, des gestionnaires animés du souci de la chose publique qui réconcilieront les citoyens avec la politique.»


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