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Pour faire connaître l’épouse méconnue d’Aimé Césaire, Daniel Maximin a publié cet été un petit recueil, réunissant les sept articles rédigés par cette femme qui a pleinement participé, aux côtés de son mari, à la révolution intellectuelle de la négritude. Une femme solaire et indépendante qui fut le porte-lige de sa génération.
Elle s’appelait Suzanne Roussy, avant de devenir Suzanne Césaire. « Suzanne Césaire, fontaine vive accueillante à “des chutes de soleil” inespérés ». C’est en ces termes que Daniel Maximin décrit l’épouse du grand poète de la négritude Aimé Césaire, qui s’est éteint il y a un an et demi. Méconnue du grand public, bien qu’elle ait pleinement participé à l’œuvre de dissidence de son poète de mari à la fois en tant qu’égérie et intellectuelle de plein droit, comme l’attestent les articles qu’elle a fait paraître dans la revue martiniquaise Tropiques. Maximin rend hommage à cette femme singulière en publiant une brève anthologie de ses écrits, à la fois militants et lyriques. Ce sont sept essais, parus entre 1941 et 1945, réunis sous le titre Le grand camouflage, qui est aussi le titre du dernier essai du volume.
«Oser créer en cannibale
de son moi profond»
Née à la Martinique, la future Madame Césaire a fait ses études à Toulouse et à Paris dans les années 1930. Elle a participé à l’aventure de L’Etudiant noir et c’est ainsi qu’elle fit la connaissance des penseurs de « la sainte trinité de la Négritude » : Senghor, Césaire et Damas. Elle épousera Aimé Césaire en 1937. C’est l’époque où Césaire traverse une profonde crise intellectuelle et spirituelle, dont va naître son poème le plus célèbre, Cahier d’un retour au pays natal. « Et c’est elle, sans doute aucun, avec toute la puissance de l’amour partagé qui (...), écrit Maximin dans la préface du Grand camouflage, lui fit comprendre qu’il pouvait oser douter sans jamais douter de créer, qu’il devait oser créer en cannibale de son moi profond. »
Ce fut donc un couple très uni, même s’ils étaient de tempéraments très différents. Par exemple, elle aimait rire, chanter, danser, alors que Césaire ne dansait pas. Elle se plaisait à répéter que son mari « avait deux pieds gauches» ! La guerre oblige le couple à rentrer à la Martinique, où ils auront six enfants. Sans compter Tropiques, la plus importante revue littéraire des Antilles, que les Césaire fondèrent en 1941, avec des amis enseignants comme eux, dans le but de donner corps à leur résistance au fascisme pétainiste, mais aussi, plus généralement, pour éclairer « le regard des Antilles sur leur destin contemporain ».
Tropiques s’arrête en 1945. La guerre est terminée. Le couple retourne à Paris où Césaire est élu député à l’Assemblée nationale. Suzanne poursuivra sa carrière dans l’enseignement, tout en prenant activement part aux mouvements féministes et de libération coloniale. Son militantisme lui vaut le surnom de « panthère noire ». Séparée de son mari, elle meurt en 1966 d’une tumeur au cerveau.
Pour la libération
de la femme
Ce qui frappe dans le parcours de cette femme, c’est son indépendance d’esprit. Au lieu de rester à l’ombre de son célèbre et talentueux mari, elle préfère tracer son chemin vers une modernité qui lui est propre, fondée sur ses combats pour la libération féministe et sur son antillanité redéfinie comme produit d’un emmêlement et d’un brassage continus. Face à ce dynamisme de la pensée, on s’étonne qu’après son départ de la Martinique, Suzanne Césaire n’ait plus rien écrit, à l’exception d’une pièce adaptée d’une nouvelle de Lafcadio Hearn pour un groupe de théâtre amateur.
En l’absence de cette pièce qui reste introuvable, toute l’œuvre de son auteur se compose de ses sept articles de Tropiques, redécouverts grâce à l’heureuse initiative de Maximin.
Ces essais portent sur Frobenius, un des penseurs de chevet des chantres de la négritude, mais aussi sur le surréalisme, « corde raide de notre espoir », la nécessité de renouveler la littérature antillaise trop longtemps nourrie de sensibilités et d’interjections d’emprunt – « la poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas » –, l’identité antillaise à définir et à inventer – « cette terre, la nôtre, ne peut être que ce que nous voulons qu’elle soit ». La vision de cette antillanité retrouvée trouve sa culmination dans le sublime Le grand camouflage qui propose une histoire originale des Antilles où la poétique et la politique se confondent pour dessiner les contours d’un archipel libéré de « l’emprise du vieux continent » et de « la trame des désirs inassouvis ».
« Le Grand camouflage », écrits de dissidence (1941-1945), par Suzanne Césaire. Préface de Daniel Maximin. Seuil, 128 pages.
Elle s’appelait Suzanne Roussy, avant de devenir Suzanne Césaire. « Suzanne Césaire, fontaine vive accueillante à “des chutes de soleil” inespérés ». C’est en ces termes que Daniel Maximin décrit l’épouse du grand poète de la négritude Aimé Césaire, qui s’est éteint il y a un an et demi. Méconnue du grand public, bien qu’elle ait pleinement participé à l’œuvre de dissidence de son poète de mari à la fois en tant qu’égérie et intellectuelle de plein droit, comme l’attestent les articles qu’elle a fait paraître dans la revue martiniquaise Tropiques. Maximin rend hommage à cette femme singulière en publiant une brève anthologie de ses écrits, à la fois militants et lyriques. Ce sont sept essais, parus entre 1941 et 1945, réunis sous le titre Le grand camouflage, qui est aussi le titre du dernier essai du volume.
«Oser créer en cannibale
de son moi profond»
Née à la Martinique, la future Madame Césaire a fait ses études à Toulouse et à Paris dans les années 1930. Elle a participé à l’aventure de L’Etudiant noir et c’est ainsi qu’elle fit la connaissance des penseurs de « la sainte trinité de la Négritude » : Senghor, Césaire et Damas. Elle épousera Aimé Césaire en 1937. C’est l’époque où Césaire traverse une profonde crise intellectuelle et spirituelle, dont va naître son poème le plus célèbre, Cahier d’un retour au pays natal. « Et c’est elle, sans doute aucun, avec toute la puissance de l’amour partagé qui (...), écrit Maximin dans la préface du Grand camouflage, lui fit comprendre qu’il pouvait oser douter sans jamais douter de créer, qu’il devait oser créer en cannibale de son moi profond. »
Ce fut donc un couple très uni, même s’ils étaient de tempéraments très différents. Par exemple, elle aimait rire, chanter, danser, alors que Césaire ne dansait pas. Elle se plaisait à répéter que son mari « avait deux pieds gauches» ! La guerre oblige le couple à rentrer à la Martinique, où ils auront six enfants. Sans compter Tropiques, la plus importante revue littéraire des Antilles, que les Césaire fondèrent en 1941, avec des amis enseignants comme eux, dans le but de donner corps à leur résistance au fascisme pétainiste, mais aussi, plus généralement, pour éclairer « le regard des Antilles sur leur destin contemporain ».
Tropiques s’arrête en 1945. La guerre est terminée. Le couple retourne à Paris où Césaire est élu député à l’Assemblée nationale. Suzanne poursuivra sa carrière dans l’enseignement, tout en prenant activement part aux mouvements féministes et de libération coloniale. Son militantisme lui vaut le surnom de « panthère noire ». Séparée de son mari, elle meurt en 1966 d’une tumeur au cerveau.
Pour la libération
de la femme
Ce qui frappe dans le parcours de cette femme, c’est son indépendance d’esprit. Au lieu de rester à l’ombre de son célèbre et talentueux mari, elle préfère tracer son chemin vers une modernité qui lui est propre, fondée sur ses combats pour la libération féministe et sur son antillanité redéfinie comme produit d’un emmêlement et d’un brassage continus. Face à ce dynamisme de la pensée, on s’étonne qu’après son départ de la Martinique, Suzanne Césaire n’ait plus rien écrit, à l’exception d’une pièce adaptée d’une nouvelle de Lafcadio Hearn pour un groupe de théâtre amateur.
En l’absence de cette pièce qui reste introuvable, toute l’œuvre de son auteur se compose de ses sept articles de Tropiques, redécouverts grâce à l’heureuse initiative de Maximin.
Ces essais portent sur Frobenius, un des penseurs de chevet des chantres de la négritude, mais aussi sur le surréalisme, « corde raide de notre espoir », la nécessité de renouveler la littérature antillaise trop longtemps nourrie de sensibilités et d’interjections d’emprunt – « la poésie martiniquaise sera cannibale ou ne sera pas » –, l’identité antillaise à définir et à inventer – « cette terre, la nôtre, ne peut être que ce que nous voulons qu’elle soit ». La vision de cette antillanité retrouvée trouve sa culmination dans le sublime Le grand camouflage qui propose une histoire originale des Antilles où la poétique et la politique se confondent pour dessiner les contours d’un archipel libéré de « l’emprise du vieux continent » et de « la trame des désirs inassouvis ».
« Le Grand camouflage », écrits de dissidence (1941-1945), par Suzanne Césaire. Préface de Daniel Maximin. Seuil, 128 pages.