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Slim Khalbous est recteur de l'Agence universitaire de la Francophonie et ancien ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en Tunisie. Libération l’a rencontré à Emerging Valley à Marseille où il a présenté les projets de l’Agence universitaire de la Francophonie et la coopération avec le Maroc dont la capitale Rabat a été choisie pour être le siège de l’Académie scientifique de la francophonie.
Libé : Vous avez présenté votre projet Saphir à Emerging Valley à Marseille. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce projet de l’Agence universitaire de la Francophonie ?
Slim Khalbous : Il y a un ensemble de projets sur l'entrepreneuriat. Aujourd’hui, c'est un virage très important que l'Agence universitaire de la Francophonie fait vers le développement de l'entrepreneuriat universitaire et estudiantin, vers plus de travail avec les universités membres de l'organisation, pour une meilleure insertion professionnelle et une meilleure employabilité des jeunes. Nous faisons, à la fois, un travail sur les curricula, la façon d'enseigner, et sur l'infrastructure en lançant des centres d'employabilité et des programmes intéressants en termes d’entrepreneuriat. Parmi ces programmes, il y a le programme Saphir et le programme Salem. Ce sont des programmes qui intéressent l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et qui développent tout ce qui est entrepreneuriat social, avec une teinte humaine et environnementale. Nous voulons développer plus particulièrement le statut d'étudiant entrepreneur, c'est un statut innovant qui permet aux étudiants en parallèle de leurs études, de préparer un projet avant même de quitter l'université. Ce projet pilote a été testé dans les pays d'Afrique du Nord et ça a très bien marché, donc aujourd'hui on veut le mettre en place dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Nous allons commencer par 8 pays d'Afrique subsaharienne, plus Haïti. L’idée c'est de généraliser ce projet.
«Le statut d'étudiant entrepreneur» pour les universités francophones ? constitue-t-il une grande innovation ?
Une très grande innovation bien sûr, parce que d'abord ça n'existe pas, ensuite parce que ça demande un suivi de l'autorité publique, car il faut changer les lois, il faut donner de la souplesse aux étudiants dans leurs études. Il faut que l'étudiant puisse par exemple changer de matières optionnelles par son projet d'entreprise, il faut former les formateurs, il faut former des enseignants pour qu'ils ne soient pas des enseignants classiques mais des tuteurs, des coachs, des accompagnateurs, et ça c'est une innovation en soi. L’étudiant bénéficie donc d’un double encadrement : un encadrement académique innovant et un encadrement professionnel qui vient du monde de l'entreprise. Il suit des étapes successives et des jurys évaluent l'avancement de son projet.
L’idéal pour nous, c'est qu’il sorte de l'université non seulement avec son diplôme mais aussi avec son projet en poche. Ce n'est pas valable pour tous. L’idée, c'est que la formation à l'esprit entrepreneurial, à savoir prendre des initiatives, être curieux, être organisé, est destinée à tous. Mais parmi ces étudiants candidats, on va détecter ceux qui ont le profil pour réussir dans le domaine de la création d'entreprise et aller jusqu'au bout de la chaîne de valeur, voilà le principe.
Vous avez choisi des pays pilotes dans cette expérience comme le cas du Maroc, pourquoi ?
Nous avons énormément d’activités au Maroc, c’est un pays particulier pour notre projet phare, à savoir les centres d’employabilité.
Nous avons décidé avec le gouvernement marocain d’ouvrir 6 centres d'employabilité francophones, cofinancés à part égale par la UAF et le gouvernement marocain. C’est un projet grandiose de 700 millions d'euros et les 6 centres vont être déployés sur tout le territoire marocain, donc un par université. L’idée c'est de les mettre tous en réseau, ça c'est le très grand projet que nous avons avec le Maroc. C’est un projet pour le Maroc et pour les universités marocaines.
Le deuxième grand projet que nous avons avec le Maroc concerne aussi le monde entier. D’ailleurs, le Maroc a été choisi pour abriter le siège de l'Académie internationale de la Francophonie scientifique que lance l’UAF à partir de janvier 2022. C'est une grande nouveauté, c'est une académie internationale de très grande envergure, ayant pour objectif de promouvoir les sciences en français. Alors ce sera une académie avec un observatoire de la francophonie scientifique, avec de l’aide à la gouvernance des universités, et des structures universitaires et de recherche. Elle soutiendra aussi la publication scientifique. Nous rencontrons aujourd’hui de très gros problèmes dans ce domaine.
Les chercheurs francophones ont du mal à publier parce qu’il n’y a pas assez de revues reconnues au niveau international pour l’avancement de carrière. L’UAF va s’engager dans cette voie d’aide et de soutien à la publication scientifique.
Le Roi du Maroc a donné son aval pour que le siège de cette académie scientifique soit à Rabat et nous en sommes ravis. Le Maroc sera notre partenaire.
Ce grand projet novateur des réseaux des universités francophones regroupant aussi les universités non francophones, c'est une grande révolution pour votre réseau francophone ?
Quand on dépasse les 1.000 universités aujourd’hui, forcément on va toucher toutes les universités même au-delà de l'espace francophone. Donc aujourd'hui, on a deux types de politiques. La politique de l’UAF dans les pays francophones consistent à accompagner les pouvoirs publics et les universités dans leurs réformes. C'est normal, puisqu’on est partenaire l'orientation, les curricula, la recherche, sur la gouvernance et surtout sur les questions qui se posent aujourd'hui à l'université francophone. Dans les pays non francophones, c'est une autre politique. C'est une politique plutôt axée sur la coopération internationale ou sur des réformes de niche, concernant des points précis. En effet, les pays non francophones demandent à collaborer avec les pays francophones, mais dans une approche multilatérale et c'est là où l’UAF intervient. Elle met en relation les universités non francophones avec des universités francophones. Aujourd'hui, on a 1000 universités et centres de recherche de 120 pays. On estime les pays francophones à une cinquantaine. Cela veut dire que la majorité des pays ne sont pas francophones dans le réseau de l’UAF. Mais nous, nous développons la francophonie scientifique, c'est à dire tout ce qui peut se faire en termes de collaboration que ce soit dans le domaine de la pédagogie ou celui de la recherche, dans celui de la gouvernance, de la mobilité des étudiants et des enseignants, mais toujours dans l'espace francophone.
Quel est votre message pour le sommet Afrique-Europe ?
Le message que nous lançons, c'est essentiellement la nécessité d'un changement de paradigme. Les deux continents se connaissent très bien, les deux continents ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre, les deux continents sont imbriqués socialement, économiquement, politiquement. Ce qui est important aujourd'hui avec l'évolution du monde, c'est un changement de paradigme dans la méthode de travail, le respect mutuel, la réciprocité, mais aussi l'égalité, le partage et surtout l'écoute. Il faut savoir que les pays d'Afrique ont beaucoup de problèmes de développement. Cependant, ce sont des défis que leurs experts savent quantifier, expliquer, et définir. Donc la question c'est comment faire ensemble et faire mieux ensemble. Ce n’est pas un problème de bienveillance, d’aide du Nord vers le Sud, c'est plutôt un co-développement parce qu’aujourd'hui les experts de l'Afrique connaissent leurs besoins, il s'agit de les intégrer dans la coopération Africains – Européens.
Est-ce que la décision de la France de réduire de moitié le nombre de visas pour les pays du Maghreb aura un impact négatif sur les échanges universitaires ?
Moi, je pense que réduire le nombre de visas est une décision provisoire. Elle ne durera pas longtemps, parce que la coopération entre la France et l'Afrique en matière universitaire est très importante. La France reste très largement la première destination des étudiants francophones en Afrique. Cela n'a pas changé et je pense qu’il peut y avoir, par moments, des petits ajustements pour des raisons politiques, mais nous sommes convaincus que c'est passager parce que les universités françaises et les universités africaines travaillent très étroitement. Il y a beaucoup de projets cofinancés, il y a beaucoup de projets européens aussi, la France avec d'autres pays européens et en collaboration avec les Africains. Cela ne s'arrêtera pas, c'est un mouvement, je pense, beaucoup plus fort que toutes les décisions politiques provisoires.
Libé : Vous avez présenté votre projet Saphir à Emerging Valley à Marseille. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce projet de l’Agence universitaire de la Francophonie ?
Slim Khalbous : Il y a un ensemble de projets sur l'entrepreneuriat. Aujourd’hui, c'est un virage très important que l'Agence universitaire de la Francophonie fait vers le développement de l'entrepreneuriat universitaire et estudiantin, vers plus de travail avec les universités membres de l'organisation, pour une meilleure insertion professionnelle et une meilleure employabilité des jeunes. Nous faisons, à la fois, un travail sur les curricula, la façon d'enseigner, et sur l'infrastructure en lançant des centres d'employabilité et des programmes intéressants en termes d’entrepreneuriat. Parmi ces programmes, il y a le programme Saphir et le programme Salem. Ce sont des programmes qui intéressent l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient et qui développent tout ce qui est entrepreneuriat social, avec une teinte humaine et environnementale. Nous voulons développer plus particulièrement le statut d'étudiant entrepreneur, c'est un statut innovant qui permet aux étudiants en parallèle de leurs études, de préparer un projet avant même de quitter l'université. Ce projet pilote a été testé dans les pays d'Afrique du Nord et ça a très bien marché, donc aujourd'hui on veut le mettre en place dans les pays de l'Afrique subsaharienne. Nous allons commencer par 8 pays d'Afrique subsaharienne, plus Haïti. L’idée c'est de généraliser ce projet.
«Le statut d'étudiant entrepreneur» pour les universités francophones ? constitue-t-il une grande innovation ?
Une très grande innovation bien sûr, parce que d'abord ça n'existe pas, ensuite parce que ça demande un suivi de l'autorité publique, car il faut changer les lois, il faut donner de la souplesse aux étudiants dans leurs études. Il faut que l'étudiant puisse par exemple changer de matières optionnelles par son projet d'entreprise, il faut former les formateurs, il faut former des enseignants pour qu'ils ne soient pas des enseignants classiques mais des tuteurs, des coachs, des accompagnateurs, et ça c'est une innovation en soi. L’étudiant bénéficie donc d’un double encadrement : un encadrement académique innovant et un encadrement professionnel qui vient du monde de l'entreprise. Il suit des étapes successives et des jurys évaluent l'avancement de son projet.
L’idéal pour nous, c'est qu’il sorte de l'université non seulement avec son diplôme mais aussi avec son projet en poche. Ce n'est pas valable pour tous. L’idée, c'est que la formation à l'esprit entrepreneurial, à savoir prendre des initiatives, être curieux, être organisé, est destinée à tous. Mais parmi ces étudiants candidats, on va détecter ceux qui ont le profil pour réussir dans le domaine de la création d'entreprise et aller jusqu'au bout de la chaîne de valeur, voilà le principe.
Vous avez choisi des pays pilotes dans cette expérience comme le cas du Maroc, pourquoi ?
Nous avons énormément d’activités au Maroc, c’est un pays particulier pour notre projet phare, à savoir les centres d’employabilité.
Nous avons décidé avec le gouvernement marocain d’ouvrir 6 centres d'employabilité francophones, cofinancés à part égale par la UAF et le gouvernement marocain. C’est un projet grandiose de 700 millions d'euros et les 6 centres vont être déployés sur tout le territoire marocain, donc un par université. L’idée c'est de les mettre tous en réseau, ça c'est le très grand projet que nous avons avec le Maroc. C’est un projet pour le Maroc et pour les universités marocaines.
Le deuxième grand projet que nous avons avec le Maroc concerne aussi le monde entier. D’ailleurs, le Maroc a été choisi pour abriter le siège de l'Académie internationale de la Francophonie scientifique que lance l’UAF à partir de janvier 2022. C'est une grande nouveauté, c'est une académie internationale de très grande envergure, ayant pour objectif de promouvoir les sciences en français. Alors ce sera une académie avec un observatoire de la francophonie scientifique, avec de l’aide à la gouvernance des universités, et des structures universitaires et de recherche. Elle soutiendra aussi la publication scientifique. Nous rencontrons aujourd’hui de très gros problèmes dans ce domaine.
Les chercheurs francophones ont du mal à publier parce qu’il n’y a pas assez de revues reconnues au niveau international pour l’avancement de carrière. L’UAF va s’engager dans cette voie d’aide et de soutien à la publication scientifique.
Le Roi du Maroc a donné son aval pour que le siège de cette académie scientifique soit à Rabat et nous en sommes ravis. Le Maroc sera notre partenaire.
Ce grand projet novateur des réseaux des universités francophones regroupant aussi les universités non francophones, c'est une grande révolution pour votre réseau francophone ?
Quand on dépasse les 1.000 universités aujourd’hui, forcément on va toucher toutes les universités même au-delà de l'espace francophone. Donc aujourd'hui, on a deux types de politiques. La politique de l’UAF dans les pays francophones consistent à accompagner les pouvoirs publics et les universités dans leurs réformes. C'est normal, puisqu’on est partenaire l'orientation, les curricula, la recherche, sur la gouvernance et surtout sur les questions qui se posent aujourd'hui à l'université francophone. Dans les pays non francophones, c'est une autre politique. C'est une politique plutôt axée sur la coopération internationale ou sur des réformes de niche, concernant des points précis. En effet, les pays non francophones demandent à collaborer avec les pays francophones, mais dans une approche multilatérale et c'est là où l’UAF intervient. Elle met en relation les universités non francophones avec des universités francophones. Aujourd'hui, on a 1000 universités et centres de recherche de 120 pays. On estime les pays francophones à une cinquantaine. Cela veut dire que la majorité des pays ne sont pas francophones dans le réseau de l’UAF. Mais nous, nous développons la francophonie scientifique, c'est à dire tout ce qui peut se faire en termes de collaboration que ce soit dans le domaine de la pédagogie ou celui de la recherche, dans celui de la gouvernance, de la mobilité des étudiants et des enseignants, mais toujours dans l'espace francophone.
Quel est votre message pour le sommet Afrique-Europe ?
Le message que nous lançons, c'est essentiellement la nécessité d'un changement de paradigme. Les deux continents se connaissent très bien, les deux continents ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre, les deux continents sont imbriqués socialement, économiquement, politiquement. Ce qui est important aujourd'hui avec l'évolution du monde, c'est un changement de paradigme dans la méthode de travail, le respect mutuel, la réciprocité, mais aussi l'égalité, le partage et surtout l'écoute. Il faut savoir que les pays d'Afrique ont beaucoup de problèmes de développement. Cependant, ce sont des défis que leurs experts savent quantifier, expliquer, et définir. Donc la question c'est comment faire ensemble et faire mieux ensemble. Ce n’est pas un problème de bienveillance, d’aide du Nord vers le Sud, c'est plutôt un co-développement parce qu’aujourd'hui les experts de l'Afrique connaissent leurs besoins, il s'agit de les intégrer dans la coopération Africains – Européens.
Est-ce que la décision de la France de réduire de moitié le nombre de visas pour les pays du Maghreb aura un impact négatif sur les échanges universitaires ?
Moi, je pense que réduire le nombre de visas est une décision provisoire. Elle ne durera pas longtemps, parce que la coopération entre la France et l'Afrique en matière universitaire est très importante. La France reste très largement la première destination des étudiants francophones en Afrique. Cela n'a pas changé et je pense qu’il peut y avoir, par moments, des petits ajustements pour des raisons politiques, mais nous sommes convaincus que c'est passager parce que les universités françaises et les universités africaines travaillent très étroitement. Il y a beaucoup de projets cofinancés, il y a beaucoup de projets européens aussi, la France avec d'autres pays européens et en collaboration avec les Africains. Cela ne s'arrêtera pas, c'est un mouvement, je pense, beaucoup plus fort que toutes les décisions politiques provisoires.