Lorsque l'hyperinflation a amené les autorités zimbabwéennes à abandonner le dollar local en avril 2009, la descente aux enfers de l'économie du pays a pu être stoppée. Mais si le dollar américain a sans doute sauvé le pays, les cents n'ont pas suivi.
Prenez un déplacement en taxi collectif dans Harare, qui coûte en moyenne 50 cents. Les passagers payent avec un billet d'un dollar pour deux (on peut payer en descendant), quitte à devoir se débrouiller entre eux ensuite s'ils ne se connaissent pas: ils sont généralement obligés d'acheter quelque chose valant un dollar qu'ils peuvent partager: un paquet de biscuits ou une tourte...
Mais cela ne plaît pas à tout le monde. Pourquoi toujours devoir s'arranger avec des inconnus, a fortiori si l'on est pressé? D'autant que beaucoup sont à 50 cents près au Zimbabwe, où le PIB par habitant ne dépasse pas les 600 dollars.
"La monnaie est un grand problème, et les passagers sont souvent impatients. J'ai été giflé à plusieurs reprises parce que je ne pouvais rien rendre", témoigne Walter Chakawata, un chauffeur de taxi collectif.
L'an dernier, un agent de sécurité de l'Etat a sorti son pistolet et a abattu un conducteur de bus dépourvu de pièces.
Les taxis collectifs ont bien tenté d'éditer des coupons, mais ceux-ci ne sont valables que sur certains itinéraires, ce qui n'arrange pas les voyageurs occasionnels. De nombreux coupons ont donc fini dans des tiroirs. Des transporteurs se sont aussi retrouvés certains jours avec des montagnes de coupons et pas assez d'argent liquide pour remplir leur réservoir. Sans parler des faux...
Du coup, il a été admis que, dans les transports en commun, une pièce de 5 rands sud-africains valait 50 cents, quel que soit le taux de change (environ 60 cents actuellement).
Il n'en a pas fallu plus pour que de jeunes gens commencent à importer des pièces sud-africaines pour les revendre aux chauffeurs de taxis collectifs. Comme Simon Mazorodze, qui a abandonné son boulot de chaudronnier pour proposer des rands à un carrefour.
"La situation est nettement meilleure maintenant, parce que vous pouvez acheter de ma monnaie si vous voulez", dit la vendeuse de glaces Locadia Chimimba. Mais elle-même oblige sa clientèle à acheter par paires ses produits étiquetés 50 cents pièce.
Au supermarché, les clients sont obligés d'accepter des petits objets tels que bonbons, boîtes d'allumettes, chewing-gum et même préservatifs en guise de monnaie, même s'ils n'en ont pas besoin.
Réclamer un avoir est une option même pour quelques centimes, mais les Zimbabwéens se plaignent de ce qu'ils sont souvent imprimés sur un papier thermique qui s'efface facilement.
Les opérateurs de téléphonie mobile ont sans doute trouvé la meilleure solution, comme l'indique Walter Chipangura, créateur de Yo-Time: "Nous nous sommes dit: pourquoi ne pas rendre la monnaie en temps de communication, afin que les gens ne soient plus obligés d'acheter des bonbons? Nous en avons assez des bonbons!"
Et de proposer un système créditant la carte prépayée des clients de n'importe quelle somme allant de 10 cents à 50 dollars.
Les autorités ont un moment envisagé d'importer des pièces des Etats-Unis, mais les coûts seraient trop élevés: il faudrait dépenser 2 dollars pour acheminer des pièces d'une valeur d'un dollar.
Des banques ont aussi tenté d'importer des pièces en rands --les billets sud-africains étant également acceptés partout au Zimbabwe-- il y a deux ans. Les commerçants n'en ont pas voulu car elles revenaient trop cher.
Le Zimbabwe pourrait aussi frapper des pièces, à l'image de l'Equateur qui utilise également le dollar américain.
Mais il est sans doute trop tôt pour réintroduire une monnaie zimbabwéenne: l'hyperinflation des années 2000 a fait perdre toutes leurs économies à des millions de personnes, et le mauvais souvenir du temps où il fallait des sacs de billets pour faire ses courses est encore trop présent.