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Malgré l’indépendance, la langue française a gardé son prestige au Maroc. Elle jouit toujours d’un statut de langue seconde privilégiée, puisqu’elle est perçue comme langue véhiculaire dans plusieurs domaines, comme langue de communication, de modernité et d’ouverture. Mais ces dernières années, une chose inquiète les pédagogues de la matière : la baisse vertigineuse du niveau du français malgré les réformes adoptées par le ministère. Quelles sont alors les causes de cette régression et quel avenir pour l’enseignement/apprentissage du français dans les établissements publics marocains? Les causes de cette dégradation du niveau du français sont multiples ; citons à titre d’exemples :
- L’arabisation hâtive de quelques disciplines a condamné cette interpénétration qui existait entre les matières enseignées autrefois en français et cela s’est répercuté négativement sur l’apprentissage de la langue (je ne suis pas contre l’arabisation, mais vous ne voyez pas que c’est un paradoxe d’enseigner des matières en arabe alors qu’elles seront dispensées à l’université en français ?)
- Les programmes et instructions officielles sont en désarticulation et déphasage avec la réalité vécue de l’élève.
- Le volume horaire réservé à l’enseignement/apprentissage du français au primaire est insuffisant et ne permet pas à nos élèves d’acquérir les compétences linguistiques de base pour maîtriser la langue, et même pendant les séances de français, la plupart des enseignants communiquent souvent avec leurs élèves en arabe et rares sont celles ou ceux qui n’utilisent que le français. En milieu rural, le constat est plus alarmant, même au second cycle du primaire, la majorité des élèves trouvent encore des difficultés à déchiffrer un texte, pire encore, il y a ceux qui ne reconnaissent même pas les lettres de l’alphabet. Je n’exagère pas, c’est une réalité choquante. Je crois que celles et ceux qui exercent en milieu rural vivent le même calvaire quotidiennement. Vous allez me dire, à qui incombe la faute ?
Je vous dirai que tout le monde est responsable :
- D’abord, les élèves n’ont pas bénéficié d’un enseignement préscolaire susceptible de les initier à l’apprentissage de la langue.
- Les classes uniques et les classes encombrées se répercutent négativement sur le processus d’enseignement/apprentissage du français.
- Le désintérêt et le manque de motivation des apprenants.
- L’engagement partiel de certains enseignants et inspecteurs dépourvus de conscience professionnelle.
- Certaines familles, par souci matériel ou par ignorance, ne jouent pas leur rôle de suivi et d’accompagnement de la scolarisation de leurs progénitures ; sans oublier bien sûr l’impact aussi des problèmes et des conflits sociaux sur la qualité éducative et sur la vie scolaire de leurs enfants : manque de concentration et d’assimilation. Ce problème de chute de niveau ne touche pas uniquement le primaire mais il s’étend aux autres cycles, collégial, qualifiant et même universitaire. Certains étudiants trouvent des difficultés à poursuivre leurs études surtout dans les filières scientifiques et économiques dont les cours sont en français.
Personne ne peut nier que l’ancienne génération maîtrisait mieux le français que l’actuelle : les jeunes autrefois avaient le goût de la lecture et de l’écriture (mémoires, journal intime, correspondance…), tandis que nos jeunes actuellement n’ont ni le temps de lire, ni d’écrire ; ils passent le maximum de leur temps dans le monde virtuel à naviguer sur le web, à chater en utilisant un langage spécifique de messagerie : un français «light» -si j’ose le dire- qui ne se préoccupe ni de la structure de la phrase ni de l’orthographe des mots et cela influe négativement sur l’apprentissage de la langue. Vous voyez que les contraintes sont multiples, et je crois que les intéressés de l’enseignement/apprentissage de la langue de Molière au Maroc sont sûrement conscients de l’ampleur de ce problème. Personnellement, en tant que praticien qui a un lien direct avec l’élève, qui exerce au primaire depuis plus de vingt ans en milieu rural, j’ai essayé à travers cet article non seulement de mettre le doigt sur les causes de cette régression du français dans l’école publique marocaine, mais de proposer quelques suggestions qui pourraient pallier ces dysfonctionnements :
- La généralisation de l’enseignement préscolaire dans tous les établissements publics en l’intégrant dans l’enseignement primaire pour constituer un socle éducatif cohérent, vu l’importance de cette étape dans le parcours scolaire de l’élève.
- Les programmes doivent être allégés visant la qualité et non la quantité («Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine», prenons cette citation de Montaigne comme base de départ de toute rénovation pédagogique).
- Le manuel scolaire du français au primaire doit être élaboré par une équipe pédagogique homogène spécialisée, loin de toutes directives des lobbys industriels (le manuel unique était efficient); ce manuel doit être concis avec un français facile, bien illustré et qui touche la réalité vécue de l’apprenant.
- La classe ne doit pas dépasser une trentaine d’élèves pour permettre à l’enseignant d’adopter les nouvelles pédagogies, à savoir la pédagogie du projet, la pédagogie de l’erreur et d’établir des contrats personnalisés avec ses élèves par le biais de la pédagogie de différenciation.
- Les AREF (Académies régionales de l’enseignement et de la formation) sont appelées à programmer davantage d’activités culturelles et artistiques en collaboration avec les Centres culturels français et d’organiser des sessions de formation sur le théâtre scolaire vu son importance pour l’épanouissement de la personnalité de l’élève et le développement de certaines compétences transversales en rapport avec la maîtrise de la langue.
- Les associations de la société civile à vocation pédagogique (AMEF et AMALEF à titre d’exemple) doivent être encouragées en leur octroyant des subventions supplémentaires pour pouvoir former plus de professeurs lors de leurs colloques du printemps ou leurs universités d’été.
- Activer les CDP (Centres de documentation pédagogique) comme par le passé, en les équipant de nouveaux ouvrages pédagogiques et en les dotant d’une banque de données numériques complémentaires, qui seront à la disposition des enseignants. Ces centres seront aussi des lieux destinés aux inspecteurs en vue d’organiser des rencontres pédagogiques et animer des débats, des tables rondes sur différents thèmes.
- L’espace de l’établissement scolaire public doit être attirant et accueillant pour encourager l’élève à l’auto-apprentissage.
- Il est souhaitable que nos établissements soient tous équipés d’une salle multimédias susceptible de faciliter la tâche de l’enseignant lors des activités de communication en exploitant des supports sonores et visuels (cassettes audio-vidéo, data show, ressources numériques…).
- Nous devons développer chez nos élèves et nos enfants la culture de la lecture. Pour cela, les enseignants pourraient exploiter les bibliothèques scolaires, surtout pendant les séances de lecture plaisir (pour les élèves du 5ème AEP et 6ème AEP) en les incitant à lire chez eux des contes et de petites nouvelles et d’en faire si c’est possible un résumé.
- L’enseignant doit toujours se poser la question suivante : et si j’enseignais autrement ? Pour atteindre cet objectif, l’enseignant a besoin de recycler ses connaissances, son savoir-faire, soit par l’auto-formation, soit en bénéficiant d’une formation continue de qualité, encadrée par de vrais formateurs, susceptible de permettre à l’enseignant d’innover ses méthodes de travail et de diversifier ses techniques d’animation. Pour que l’élève puisse acquérir des outils de la langue et développer ses compétences communicationnelles, l’enseignant est appelé à intensifier ses efforts en essayant de n’utiliser l’arabe que s’il s’avère nécessaire – la tâche n’est pas toujours facile surtout en milieu rural – mais il faudrait toujours essayer.
En me basant sur ce constat général, je me pose parfois la question autrement : vivons-nous l’agonie de la langue française dans nos établissements publics ? Certes, la situation n’est pas rassurante, mais nous ne devons pas lâcher les rênes. Collaborons tous ensemble pour un avenir meilleur de l’enseignement/apprentissage du français au Maroc.
Pour atteindre cet objectif, nous n’avons pas besoin d’un autre programme d’urgence, mais d’une vraie politique éducative dont les finalités doivent être claires. Une réforme efficiente ne se fait pas du jour au lendemain, mais après mûres réflexions. Pour cela, nous devons prendre tout notre temps pour élaborer un programme à long terme qui impliquerait toutes les parties concernées en toute conscience et responsabilité.
* Enseignant à Kénitra
- L’arabisation hâtive de quelques disciplines a condamné cette interpénétration qui existait entre les matières enseignées autrefois en français et cela s’est répercuté négativement sur l’apprentissage de la langue (je ne suis pas contre l’arabisation, mais vous ne voyez pas que c’est un paradoxe d’enseigner des matières en arabe alors qu’elles seront dispensées à l’université en français ?)
- Les programmes et instructions officielles sont en désarticulation et déphasage avec la réalité vécue de l’élève.
- Le volume horaire réservé à l’enseignement/apprentissage du français au primaire est insuffisant et ne permet pas à nos élèves d’acquérir les compétences linguistiques de base pour maîtriser la langue, et même pendant les séances de français, la plupart des enseignants communiquent souvent avec leurs élèves en arabe et rares sont celles ou ceux qui n’utilisent que le français. En milieu rural, le constat est plus alarmant, même au second cycle du primaire, la majorité des élèves trouvent encore des difficultés à déchiffrer un texte, pire encore, il y a ceux qui ne reconnaissent même pas les lettres de l’alphabet. Je n’exagère pas, c’est une réalité choquante. Je crois que celles et ceux qui exercent en milieu rural vivent le même calvaire quotidiennement. Vous allez me dire, à qui incombe la faute ?
Je vous dirai que tout le monde est responsable :
- D’abord, les élèves n’ont pas bénéficié d’un enseignement préscolaire susceptible de les initier à l’apprentissage de la langue.
- Les classes uniques et les classes encombrées se répercutent négativement sur le processus d’enseignement/apprentissage du français.
- Le désintérêt et le manque de motivation des apprenants.
- L’engagement partiel de certains enseignants et inspecteurs dépourvus de conscience professionnelle.
- Certaines familles, par souci matériel ou par ignorance, ne jouent pas leur rôle de suivi et d’accompagnement de la scolarisation de leurs progénitures ; sans oublier bien sûr l’impact aussi des problèmes et des conflits sociaux sur la qualité éducative et sur la vie scolaire de leurs enfants : manque de concentration et d’assimilation. Ce problème de chute de niveau ne touche pas uniquement le primaire mais il s’étend aux autres cycles, collégial, qualifiant et même universitaire. Certains étudiants trouvent des difficultés à poursuivre leurs études surtout dans les filières scientifiques et économiques dont les cours sont en français.
Personne ne peut nier que l’ancienne génération maîtrisait mieux le français que l’actuelle : les jeunes autrefois avaient le goût de la lecture et de l’écriture (mémoires, journal intime, correspondance…), tandis que nos jeunes actuellement n’ont ni le temps de lire, ni d’écrire ; ils passent le maximum de leur temps dans le monde virtuel à naviguer sur le web, à chater en utilisant un langage spécifique de messagerie : un français «light» -si j’ose le dire- qui ne se préoccupe ni de la structure de la phrase ni de l’orthographe des mots et cela influe négativement sur l’apprentissage de la langue. Vous voyez que les contraintes sont multiples, et je crois que les intéressés de l’enseignement/apprentissage de la langue de Molière au Maroc sont sûrement conscients de l’ampleur de ce problème. Personnellement, en tant que praticien qui a un lien direct avec l’élève, qui exerce au primaire depuis plus de vingt ans en milieu rural, j’ai essayé à travers cet article non seulement de mettre le doigt sur les causes de cette régression du français dans l’école publique marocaine, mais de proposer quelques suggestions qui pourraient pallier ces dysfonctionnements :
- La généralisation de l’enseignement préscolaire dans tous les établissements publics en l’intégrant dans l’enseignement primaire pour constituer un socle éducatif cohérent, vu l’importance de cette étape dans le parcours scolaire de l’élève.
- Les programmes doivent être allégés visant la qualité et non la quantité («Une tête bien faite vaut mieux qu’une tête bien pleine», prenons cette citation de Montaigne comme base de départ de toute rénovation pédagogique).
- Le manuel scolaire du français au primaire doit être élaboré par une équipe pédagogique homogène spécialisée, loin de toutes directives des lobbys industriels (le manuel unique était efficient); ce manuel doit être concis avec un français facile, bien illustré et qui touche la réalité vécue de l’apprenant.
- La classe ne doit pas dépasser une trentaine d’élèves pour permettre à l’enseignant d’adopter les nouvelles pédagogies, à savoir la pédagogie du projet, la pédagogie de l’erreur et d’établir des contrats personnalisés avec ses élèves par le biais de la pédagogie de différenciation.
- Les AREF (Académies régionales de l’enseignement et de la formation) sont appelées à programmer davantage d’activités culturelles et artistiques en collaboration avec les Centres culturels français et d’organiser des sessions de formation sur le théâtre scolaire vu son importance pour l’épanouissement de la personnalité de l’élève et le développement de certaines compétences transversales en rapport avec la maîtrise de la langue.
- Les associations de la société civile à vocation pédagogique (AMEF et AMALEF à titre d’exemple) doivent être encouragées en leur octroyant des subventions supplémentaires pour pouvoir former plus de professeurs lors de leurs colloques du printemps ou leurs universités d’été.
- Activer les CDP (Centres de documentation pédagogique) comme par le passé, en les équipant de nouveaux ouvrages pédagogiques et en les dotant d’une banque de données numériques complémentaires, qui seront à la disposition des enseignants. Ces centres seront aussi des lieux destinés aux inspecteurs en vue d’organiser des rencontres pédagogiques et animer des débats, des tables rondes sur différents thèmes.
- L’espace de l’établissement scolaire public doit être attirant et accueillant pour encourager l’élève à l’auto-apprentissage.
- Il est souhaitable que nos établissements soient tous équipés d’une salle multimédias susceptible de faciliter la tâche de l’enseignant lors des activités de communication en exploitant des supports sonores et visuels (cassettes audio-vidéo, data show, ressources numériques…).
- Nous devons développer chez nos élèves et nos enfants la culture de la lecture. Pour cela, les enseignants pourraient exploiter les bibliothèques scolaires, surtout pendant les séances de lecture plaisir (pour les élèves du 5ème AEP et 6ème AEP) en les incitant à lire chez eux des contes et de petites nouvelles et d’en faire si c’est possible un résumé.
- L’enseignant doit toujours se poser la question suivante : et si j’enseignais autrement ? Pour atteindre cet objectif, l’enseignant a besoin de recycler ses connaissances, son savoir-faire, soit par l’auto-formation, soit en bénéficiant d’une formation continue de qualité, encadrée par de vrais formateurs, susceptible de permettre à l’enseignant d’innover ses méthodes de travail et de diversifier ses techniques d’animation. Pour que l’élève puisse acquérir des outils de la langue et développer ses compétences communicationnelles, l’enseignant est appelé à intensifier ses efforts en essayant de n’utiliser l’arabe que s’il s’avère nécessaire – la tâche n’est pas toujours facile surtout en milieu rural – mais il faudrait toujours essayer.
En me basant sur ce constat général, je me pose parfois la question autrement : vivons-nous l’agonie de la langue française dans nos établissements publics ? Certes, la situation n’est pas rassurante, mais nous ne devons pas lâcher les rênes. Collaborons tous ensemble pour un avenir meilleur de l’enseignement/apprentissage du français au Maroc.
Pour atteindre cet objectif, nous n’avons pas besoin d’un autre programme d’urgence, mais d’une vraie politique éducative dont les finalités doivent être claires. Une réforme efficiente ne se fait pas du jour au lendemain, mais après mûres réflexions. Pour cela, nous devons prendre tout notre temps pour élaborer un programme à long terme qui impliquerait toutes les parties concernées en toute conscience et responsabilité.
* Enseignant à Kénitra