"Enfant, je venais souvent jouer dans le cimetière. C'était comme un jardin. Mais avec l'embargo contre l'Irak dans les années 90, tout a commencé à aller de travers", soupire Misac Jabbar Abdallah, 34 ans, propriétaire d'un générateur qui alimente les riverains en électricité lors des coupures que connaît cette ville du sud du pays.
Pour accéder au cimetière, il faut enjamber d'innombrables fils de fer rouillés et des morceaux de verre. Difficile de se recueillir dans ces circonstances.
Depuis l'invasion du Koweït par l'Irak en 1990, rares sont ceux venus rendre hommage aux soldats de l'armée britannique des Indes enterrés ici.
"L'état du cimetière est allé de pair avec les relations entre l'Irak et le Royaume-Uni. Au temps de la monarchie irakienne, il était très bien conservé. Puis la république a été proclamée (en 1958, ndlr) et il a été laissé à l'abandon. Et cela n'a cessé de s'aggraver depuis 2003 et la chute de Saddam Hussein", note Moussana Hassan Mehdi, spécialiste de l'histoire de Kout.
Les soldats du cimetière militaire de Kout sont tombés pendant le siège de la ville par l'armée ottomane, entre décembre 1915 et le 29 avril 1916, date de la capitulation britannique. Cinq mois de calvaire, où sous les ordres du général Charles Townshend, les soldats ont dû se résoudre à "manger des chats, des chiens, des ânes", comme le souligne M. Mehdi.
Aujourd'hui, les quelques pierres tombales encore debout sont dissimulées derrière des roseaux sauvages.
En grattant la terre, on devine un bout d'épitaphe: "a accompli son devoir. Pour toujours dans nos pensées". "Caporal H.E. Hawkett. Infanterie. Mort le 20 décembre 1915. 23 ans".
A la Commonwealth War Graves Commission, un organisme britannique qui gère l'entretien des tombes des soldats du Commonwealth morts pendant les deux Guerres mondiales, on invoque la périlleuse situation de l'Irak.
Mais "dès que la situation politique et sécuritaire le permettra, nous restaurerons les cimetières et les monuments du souvenir", assure Matt Morris de la Commission à l'AFP.
"Les Turcs prennent soin de leur patrimoine"
Si le cimetière britannique ressemble à une jungle urbaine, son pendant turc, un peu à l'écart de Kout, a tout d'une oasis.
"Martyrs turcs. La Nation vous est reconnaissante", clame, en turc, à l'entrée du cimetière une plaque en cuivre qu'on imagine régulièrement astiquée.
Impossible de savoir combien de soldats de l'Empire ottoman sont enterrés ici, "des centaines, voire des milliers", explique M. Mehdi, l'historien de Kout. Eux aussi sont tombés pendant le siège de 1915-16.
Mais ici, la pelouse est manucurée et le drapeau turc flotte au vent.
Car c'est la Turquie qui paye pour l'entretien, indique Ahmed Hashim Anbar, un Irakien, qui avec son oncle, perçoit 300 dollars par mois pour s'occuper du cimetière.
"Les seuls visiteurs que nous voyons sont des Turcs", souligne M. Anbar. "Eux prennent soin de leur patrimoine".
D'autant qu'entre les tensions religieuses et la reconstruction qui avance au ralenti, le gouvernement irakien a d'autres soucis que la sauvegarde de son patrimoine.
"Saddam Hussein n'en avait que pour la guerre"
Témoin de cet abandon, une des plus vieilles maisons de Kout, dont le général britannique Townshend avait fait son quartier général pendant le siège de 1915-1916, et qui paraît s'affaisser sous le poids de ses 129 années. Des chauves-souris ont élu domicile dans une chambre et dans la cour intérieure s'entassent ordures et pneus "entreposés par des voisins", constate son propriétaire Hussein Hassan.
"Seul le gouvernement a assez d'argent pour les travaux", explique M. Hassan. Mais pour l'heure ni le gouvernement de Bagdad, ni celui de la province de Wasit, dont Kout est la capitale, ne lui ont fait de propositions.
A la commission des Affaires culturelles de Wasit pourtant, on assure s'intéresser à la maison de M. Hassan. "Nous envisageons d'acheter la maison. Nous aimerions la transformer en musée", explique Haider Jassim Mohammed, directeur de la commission.
Hussein Hassan n'est pas convaincu.
"Saddam (Hussein) n'en avait que pour la guerre. Et de toute façon, l'Irak n'est pas l'Egypte. Ici, on se fiche du patrimoine", fulmine-t-il.