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Comment garder l’estime de soi face à la violence symbolique exercée par certaines situations d’apprentissage ? Comment respecter l’autodétermination et la réalisation de soi dans la relation d’aide en milieu scolaire ? Comment penser la liberté de l’élève dans les institutions scolaires normatives ? C’est à ces questions que tente de répondre le livre de Aïmane El Bakkali Kassimi, en centrant son approche sur l’importance de la relation dans l’apprentissage. En effet, limiter les processus d’enseignement à une simple transmission des savoirs, dispensée parfois de manière soporifique aux élèves, et ignorer la dimension « relationnelle », notamment à travers la mise en place d’un « environnement scolaire affectif », ne peut mener qu’à des impasses. Dans le « Théétète », Platon montre que Socrate n’hésite pas à mettre en difficulté son apprenant en lui posant des questions exigeantes et en déconstruisant ses réponses («la science n’est pas une opinion vraie accompagnée d’une définition»). Mais en même temps, il le valorise sans arrêt, l’encourage à aller plus loin dans ses réflexions et va jusqu’à partager avec lui ses propres ignorances, quand bien même il prétend l’accompagner dans la production d’une pensée vraie (Théétète, 150 c-151 a). Dans « Le maître d’école », une très belle comédie réalisée par Claude Berri, Coluche répond à un professeur utilisant systématiquement la discipline et la punition pour tenir sa classe qu’il faut peut-être commencer par apprécier les élèves à qui on prétend enseigner quelque chose. Tout cela fait écho à la pédagogie bienveillante dont parle Aïmane El Bakkali Kassimi. Ce dernier a été fortement inspiré par l’approche centrée sur la personne (ACP) de Carl Rogers, un psychologue américain cherchant une voie alternative au symbolisme freudien et au behaviorisme. Ce dernier privilégie l’attention non pas sur les techniques d’apprentissage, qui possèdent bien entendu leur importance, mais sur l’attitude des personnes aidantes (thérapeute, enseignant) : «L’hypothèse centrale qui a permis à Carl Rogers de développer son approche peut être résumée ainsi : l’individu possède en lui-même des ressources considérables pour se comprendre, se percevoir différemment, changer ses attitudes fondamentales et son comportement vis-à-vis de lui-même. Mais seul un climat bien définissable, fait d’attitudes psychologiques facilitatrices, peut lui permettre d’accéder à ses ressources » (p. 40). La confiance en soi ne tombe pas du ciel. Elle possède des conditions sociales qui la rendent possible en chacun de nous. Lors des premiers cours, avec les différentes classes de terminale (ES, STMG, S, que je salue au passage dans cette chronique), nous avons vu que la philosophie permettait à la fois de comprendre le monde qui nous entoure (Hannah Arendt) et de se connaître soi-même (Socrate). Se connaître soi-même amène à prendre conscience au moins de deux choses pas forcément contradictoires. D’une part, elle permet de saisir que nous sommes des personnes de valeur. Les autres peuvent dire de moi que je suis un raté, un minable, un nullard, un bon-à-rien (ou pire, un mauvais-à-tout), je me connais suffisamment bien moi-même pour savoir qu’ils ont tort. La philosophie est aussi un exercice spirituel. D’autre part, me connaître moi-même me permet de prendre conscience de mes limites. Je sais que je suis quelqu’un de valeur et que je peux réaliser des grandes choses mais à condition de me donner les moyens d’y parvenir, de bien me former, de progresser dans l’acquisition des connaissances et des savoir-faire. Je dois également prendre conscience de ce que je ne sais pas. Socrate rappelait également qu’il ne prétendait pas avoir de connaissances dans des domaines où effectivement il ne savait rien. Il y a pire que l’ignorance rappelait Bourdieu : il y a l’illusion de savoir.
Aïmane El Bakkali Kassimi montre que « l’élève a ses propres motivations et ses propres enthousiasmes qu’il appartient à l’enseignant de libérer et de favoriser à travers une attitude congruente, empathique et de considération positive inconditionnelle » (p. 50). On peut partir des goûts musicaux ou cinématographiques des élèves pour faciliter par la suite l’acquisition de connaissance et les amener à se confronter à des savoirs rigoureux. Il ne s’agit pas de verser dans un quelconque jeu démagogique avec les élèves et de transformer le contexte d’apprentissage en un espace anarchique avec au centre un apprenant qui ferait ce qu’il voudrait. Les règles doivent être présentes et les rôles de chacun bien déterminés au sein de l’ancrage institutionnelle dans lequel se fait l’apprentissage.Toutefois, celui qui prétend former à des compétences cognitives, linguistiques, méthodologiques ou comportementales ne peut focaliser uniquement sur le contenu de ce qu’il enseigne et ne pas tenir compte des modes de vie et de penser des apprenants : « La compréhension empathique est l’aptitude à entrer dans le monde intérieur d’une autre personne, à s’y mouvoir librement, à voir le monde extérieur du point de vue de cette personne » (p. 57). Dans « Comprendre », l’un des textes figurant dans « La misère du monde », Bourdieu décrit l’empathie comme une conversion spinoziste du regard qui amène à se dire que si l’on était à la place de l’autre, celui que l’on considère comme différent de soi, on penserait et agirait probablement comme lui. Cet aspect est omniprésent dans le livre de Aïmane El Bakkali Kassimi. Ne pas se moquer, ne pas déplorer, ne pas haïr, ne pas aduler, juste essayer de comprendre en essayant de se mettre à la place d’autrui.
Comme le montrent les différents cas pratiques constituant la seconde partie de l’ouvrage, la pédagogie n’est pas une science exacte et les outils qu’elle offre n’ont pas forcément la même application pratique. Bonne reprise à tout le monde.