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Pour des raisons obscures, les jeunes nationalistes ont décidé de centrer la construction idéelle et idéale de la nouvelle nation non sur le folklore, la langue, l’ethnicité, les valeurs ou l’histoire, mais sur la personne du Sultan. Ils voulaient probablement déclencher une mobilisation collective qui ne soit pas trop en rupture avec les structures traditionnelles pour ne pas éveiller les soupçons de la Résidence générale.
Pour catalyser l’imaginaire du plus grand nombre de manière rapide, les jeunes nationalistes, notamment les équipes de la revue « Al-Maghrib » et du journal « L’Action du peuple », décident de célébrer l’accession au pouvoir de S.M Mohammed V (1927-1961), considéré comme le symbole de la souveraineté et de l’unité nationales. Cet événement pourrait en effet être une occasion en or pour rassembler la population autour de sentiments et d’aspirations communs et propager les idées nationalistes sans inquiéter les autorités. Cela a été le cas en Egypte, source d’inspiration inépuisable pour les nationalistes marocains, où le parti al-Wafd profitait des célébrations annuelles de Aïd al-Joulus (Fête de l’intronisation), instauré en 1923, pour organiser des manifestations publiques exaltant le sentiment national et dénonçant l’occupation. Il va sans dire que cette fête est d’origine européenne et, plus précisément, britannique. Elle a été célébrée pour la première fois au XVIème siècle, sous le nom d’Accession Day, avant d’être adoptée par la plupart des autres monarchies du monde en l’adaptant plus ou moins aux différents contextes locaux.
En juillet 1933, Mohammad Hassar publie un article dans la revue « Al-Maghrib», sous le pseudonyme d’Al-Maghribi, intitulé «Notre gouvernement et les fêtes musulmanes », dans lequel il demande aux autorités françaises de faire du 18 novembre, jour de l’intronisation du Souverain, une fête nationale (Aïd Ouatani). Quelques mois plus tard, c’est le journal «L’Action du peuple», dirigé par Mohammad Hassan El-Ouazzani, qui prend le relais. Entre septembre et novembre 1933, le journal publie plusieurs articles appelant à faire de ce jour «une fête nationale, populaire et officielle de la nation et de l’Etat marocains». Il propose la création de comités d’organisation dans chaque ville et la mise en place d’un fonds de bienfaisance auquel contribuera l’ensemble de la nation. Le journal nationaliste suggère également aux organisateurs d’embellir et de pavoiser les rues, de chanter l’hymne national, d’organiser des meetings où l’on prononcera des discours et récitera des poèmes, et d’envoyer des télégrammes de félicitations au Sultan. Par ailleurs, pour rassurer les plus conservateurs, «L’Action du peuple» publie une fatwa de l’alem Abd al-Hafid al-Fasi qui affirme que ce rituel et tout ce qui l’accompagne – musique, pavoisement, etc. – ne sont pas des innovations blâmables (Bidaâ) aux yeux de l’islam.
Les autorités françaises suivent cette dynamique de très près. Elles ont en effet peur des conséquences politiques que pourrait avoir cette entreprise de mobilisation collective. Elles ont essayé d’entraver, voire d’interdire son organisation. Mais devant l’enthousiasme des jeunes et l’acquiescement des notables, elles finissent par céder.
La première célébration de la Fête du Trône, dont le nom n’était pas encore bien précis (Fête de l’accession, Fête du Sultan, Fête nationale) a eu lieu à Rabat, Salé, Marrakech et Fès. Plusieurs rues des médinas ont été embellies et pavoisées, les gens se sont réunis dans des cafés ou des maisons de notables pour écouter de la musique, des poèmes et des discours tout en sirotant du thé et en dégustant des gâteaux. La plupart des réunions se sont terminées par des invocations pour le Maroc et des vivats au Sultan, à l’exception de Salé qui a organisé en plus un feu d’artifice. Enfin, les jeunes et les notables ont profité de l’occasion pour envoyer des télégrammes de félicitations à S.M Mohammed V.
Bien qu’elle soit restée relativement limitée, la première Fête du Trône est une véritable réussite. Elle a en effet attiré la sympathie populaire et acculé l’autorité tutélaire. Cela pousse les nationalistes à voir plus grand l’année suivante. Les préparatifs commencent des mois à l’avance. Plusieurs comités d’organisation voient le jour dans les différentes régions du Maroc, notamment dans la zone espagnole, et des brochures contenant des poèmes et des chants nationalistes sont distribuées aux écoliers et aux jeunes. Des journaux et des revues publient des numéros spéciaux consacrés à l’événement.
L’engouement populaire oblige les autorités coloniales à agir. Acculée, la Résidence générale décide d’officialiser la Fête du Trône pour faire de ce jour une célébration étatique. Le 31 octobre 1934, le grand vizir (Premier ministre) Al-Mokri promulgue un décret dont le premier article stipule qu’«à partir de la présente année, le 18 novembre, anniversaire de l’accession de S.M. le Sultan au Trône de ses ancêtres, sera consacré à la commémoration de cet événement».
Celui-ci aura pour nom Aïd Attidkar (Fête de la commémoration). La dénomination Aïd Al Arch ne s’imposera que par la suite.
Ainsi, la Fête du Trône s’impose très rapidement comme une fête nationale. C’est pour cette raison qu’elle est devenue un moment privilégié de mobilisation populaire contre la puissance coloniale, même après le départ en exil du Père de la Nation et l’interdiction de sa célébration, le 5 septembre 1953.
Extrait de «La Fête du Trône :
petite histoire d’une tradition inventée», une contribution de Nabil Mouline parue dans l’ouvrage «Le Maroc au présent : D'une époque à l'autre, une société en
mutation», de Baudouin Dupret,
Zakaria Rhani, Assia Boutaleb
et Jean-Noël Ferrié, édité à Casablanca en 2015 par le Centre Jacques-Berque et la
Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines.