Patrimoine et architecture : enjeux scientifiques, enjeux démocratiques 2/2


Libé
Lundi 3 Septembre 2012

Patrimoine et architecture : enjeux scientifiques, enjeux démocratiques 2/2
Les cinq années qui viennent devront être consacrées à tisser du lien entre l’Etat et ses opérateurs, entre l’Etat et les collectivités locales, entre Paris et les régions. La tâche sera rude pour le futur ministre de la Culture. Son action devra viser à refonder une unité à partir d’un paysage institutionnel devenu hétérogène. Plusieurs actions pourront y contribuer : – Le lancement d’un chantier social autours des nouveaux métiers muséaux
L’unité du monde muséal peut renaître sur une solidarité professionnelle élargie aux nouveaux métiers qui ont émergé au cours de la décennie : médiation culturelle, développement des publics, valorisation des collections et des marques. Une réflexion approfondie devra être entreprise sur les évolutions nécessaires des filières et un chantier de prospective sur les besoins de formation, initiale comme continue, devra être entrepris en relation avec les partenaires sociaux.
– Un chantier interne au ministère de réforme des relations entre l’Etat et ses opérateurs
Comme dans les autres secteurs d’intervention du ministère de la Culture, la réforme de la tutelle devra être réellement mise en oeuvre, au lieu d’être, depuis dix ans, toujours annoncée et jamais conduite.
– La refondation d’une relation de confiance avec les collectivités locales
Un transfert aux collectivités de structures muséales nationales ne constitue pas un objectif réaliste ni souhaité par les collectivités territoriales. Dans le même temps, un rééquilibrage des moyens d’intervention de l’Etat entre les grandes enveloppes (musées nationaux / musées territoriaux) devra être envisagé, l’Etat ne devant pas abdiquer son rôle de partenaire des collectivités, afin de permettre l’aménagement culturel du territoire. L’arrêt des grands chantiers que l’Etat mène seul, pour construire des équipements dont il n’a plus les moyens d’assurer le fonctionnement, devra faire place à un accompagnement des musées territoriaux dans leur modernisation : un plan de sauvegarde des réserves – y compris en envisageant des équipements mutualisés au niveau départemental ou régional – et les chantiers dédiés à la conservation préventive des oeuvres pourraient en être l’un des axes.

Nouveaux combats, la protection des monuments, des sites et des paysages

Plus personne ne conteste que l’aménagement des centres-villes anciens était le combat des années 1980 : celui-ci est pratiquement gagné. Le consensus s’est fait autour de l’intérêt à agir et les outils, tels les secteurs sauvegardés, font l’unanimité. Les élus et les associations s’en sont emparés et les font vivre au quotidien. Dans ces centres-villes, les collectivités ont montré, depuis plus de trente ans maintenant, leur capacité à gérer les espaces. Si les services de l’Etat doivent demeurer présents au moment de l’élaboration du document d’urbanisme, en revanche la gestion de ces documents consensuels pourrait tout aussi bien être assurée par des services territoriaux sous le contrôle du juge administratif et des associations.
L’expertise des services de l’Etat doit en conséquence être réorientée vers de nouveaux combats : protéger l’intérêt général face aux risques de dérives liées à l’essor sans contrôle des opérations privées, là où il est menacé ou fragilisé, c’est-à-dire en périphérie des villes, aux entrées de ville. Il faudra définir une identité pour ces espaces, s’accorder sur des valeurs architecturales qui ne considèrent plus les entrées de ville comme des zones où tout est permis. Bien entendu, cela doit s’accompagner d’une réflexion sur la place et le rôle de l’automobile et d’une manière générale des moyens de transports.
Il conviendra également de clarifier la frontière entre le monde urbain et rural. Si l’on veut traiter les deux de manière différenciée, il faut les définir et protéger les paysages, tous les paysages, y compris les littoraux. Il faut donc créer de nouveaux outils de protection permettant notamment d’appréhender les grands espaces. Dans ces zones en devenir, les services de l’Etat par la présence et le contrôle des architectes des bâtiments de France (ABF) ont un rôle primordial à jouer en concertation avec les représentants des territoires et avec un conservatoire des littoraux aux moyens d’actions, y compris légaux, renouvelés.
Ce combat sera d’autant plus efficace que le ministère de la Culture verra son périmètre augmenté. La gestion des sites et des paysages qui sont actuellement du ressort du ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL) devrait lui revenir : déjà compétent en matière de monuments, d’architecture et de protection des espaces, l’Etat a intérêt à regrouper l’ensemble des compétences et des instruments sur les paysages au même endroit.
En matière de restauration, l’argent du contribuable devrait être orienté de manière exclusive vers des sites, des espaces et des monuments historiques présentant un intérêt scientifique démontré, et ce quel que soit le statut du propriétaire. En revanche, les deniers publics ne devraient pas servir à compléter le montage financier d’une opération de restauration au seul motif que son propriétaire – public ou privé – peut apporter une part substantielle du financement, alors que cette restauration n’est pas indispensable à la conservation du bien.
Enfin, il conviendra d’engager une politique volontariste et forte de partenariat entre le ministère de la Culture et les collectivités territoriales afin de conserver au mieux et au plus près du lieu qui leur donne du sens l’ensemble des objets mobiliers protégés au titre des monuments historiques, qui vont ne l’oublions pas de minuscules objets d’art en orfèvrerie, par exemple, à des objets issus du génie technologique accumulé au cours des siècles.

L’architecture: un enjeu culturel du quotidien, une priorité à réaffirmer

Depuis dix ans, le ministère de la Culture a considéré l’architecture d’un point de vue académique. Son action a privilégié une diplomatie de perron fondée sur une communication autour de grands projets, de grands travaux, de grands noms. La gestion du « Grand Paris » est de ce point de vue emblématique.
Ce prisme a eu pour effet d’éloigner l’architecture de sa dimension humaine, sociale et quotidienne qui la lie si fortement à l’urbanisme et au cadre de vie.
Pourtant le ministère de la Culture n’est plus celui des grands travaux et la politique de l’architecture ne doit pas être un avatar du star system. Le temps de l’Etat bâtisseur est révolu.
Le ministère de la Culture est responsable de la profession d’architecte, de la formation mais aussi de la qualité architecturale et du cadre de vie. Il a donc un rôle majeur à jouer dans les grands défis du siècle en termes d’aménagement du territoire et des protections des paysages : mitage versus densification, rénovation des grands ensembles.
Il doit faire entendre sa voix dans les grands débats d’aménagement urbain et porter une position qui donne une large place à l’intérêt du citoyen, de l’habitant. Il doit également jouer activement son rôle de conseil auprès des collectivités territoriales notamment. Ce rôle sera accru s’il acquiert une compétence en matière de paysages et de sites comme nous le suggérons.
Les documents d’urbanisme ne doivent pas entraver l’exercice des architectes mais doivent au contraire les compléter : un équilibre doit être trouvé entre la nécessaire stratégie d’ensemble et la liberté de réalisation d’un objet adapté aux attentes et aux besoins contemporains. Il est nécessaire d’envisager très vite une réforme pour les adapter aux priorités. Ils pourraient ainsi être d’autant plus contraignants que la zone est aujourd’hui délaissée et ils pourraient fixer dorénavant des règles plus strictes en périphérie, dans les zones commerciales, les zones industrielles, les entrées de ville.
A travers sa politique architecturale, le ministère de la Culture doit être partie prenante des débats qui animent la société notamment en ce qui concerne le logement, priorité des priorités compte tenu de l’ampleur des besoins (il faudrait construire 70 000 logements par an pour rattraper le retard et répondre à la demande rien qu’en Ile-de-France). Il convient de bien intégrer le fait qu’il s’agit de loger de plus en plus de ménages en ville (ménages seuls, âgés, familles recomposées : autant de situations qui existaient peu ou pas durant les décennies précédentes).
L’augmentation du droit à construire de 30 % ne répond pas à la crise du logement. Confuse et précipitée, cette mesure favorable aux promoteurs devra être amendée.
La formation des futurs architectes devra particulièrement insister sur l’importance des contextes, afin de passer d’une architecture des objets très prégnante depuis la fin des années 1990 à une architecture des contextes. L’immeuble ne doit pas simplement être vu, il doit répondre aux besoins de ses utilisateurs. L’acte de bâtir va bien au-delà de l’ambition du chef-d’oeuvre pour brochure sur papier glacé puisqu’il doit correspondre à des usages et s’inscrire dans un environnement.
Le réseau des écoles d’architecture est l’héritier d’une période où la construction et la rénovation de bâtiments ont tenu lieu de politique. Ces dernières années, il a subi son passage au dispositif licence-master-doctorat (LMD) et présente aujourd’hui un caractère fragile tant les établissements sont différents, livrés à eux-mêmes, et, malgré la bonne volonté des dirigeants et des équipes pédagogiques, sans moyens en rapport avec leurs missions. Ce réseau a besoin d’être renforcé pour s’inscrire pleinement dans la dynamique de l’enseignement supérieur dans les grands pôles universitaires notamment. La recherche constitue un axe structurant pour un réseau qui doit être dynamisé. Il a besoin, pour rattraper son retard, de moyens accrus mais aussi d’un programme d’évolution sur plusieurs années.
Ces pistes, si elles étaient mises en oeuvre conjointement et simultanément, pourraient contribuer à refonder durablement la politique du patrimoine, de l’archéologie au cadre de vie, dans une perspective à la fois soucieuse des enjeux démocratiques et des nécessités scientifiques et techniques. Il est important de souligner que ces actions structurantes fondées sur le dialogue ministériel et interministériel et la collaboration avec les collectivités et les partenaires sociaux permettraient une évolution profonde de ces politiques publiques à coûts constants. Des transferts de compétences et des moyens afférents seront nécessaires depuis les ministères de la Défense, des Affaires étrangères et du ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement afin que le ministère de la Culture puisse pleinement jouer le rôle qui est sien dans le domaine du patrimoine et de l’architecture.

Note rédigée par les Groupes d’études et de recherches sur laculture de la Fondation Jean-Jaurès


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