Mozart : L’enfant espiègle (fin)


Libé
Samedi 8 Septembre 2012

Mozart : L’enfant espiègle (fin)
A Mannheim, il demeura chez la famille Weber dont il avait rencontré les membres lors de son voyage vers Paris. La famille incluait quatre filles dont deux d’entre elles étaient d’excellentes chanteuses. L’inévitable survint : Wolfgang courtisa Aloysia Weber, la plus belle et la plus talentueuse des quatre. Il écrivit quelques-uns de ses plus beaux airs de concert pour elle et pour sa sœur Josefa. (Des années plus tard, Josefa créa le rôle de la Reine de la Nuit dans la Flûte enchantée.) Malgré la passion de Wolfgang pour Aloysia Weber, le voyage de retour se termina par une autre déception; elle était intéressée par sa musique et non par son amour. Pendant ce temps, Leopold, apprenant les intentions de son fils, le rappela furieusement à la maison. Mozart père considérait que les Weber leur étaient inférieurs; de plus, il ne voulait pas que son fils se choisisse seul une femme. Comme il retournait furtivement à Salzbourg, Mozart ne se doutait pas qu’il n’avait pas fini avec les Weber, ni eux avec lui.
De retour à la maison, il occupa le poste ennuyeux d’organiste à la cour et à la cathédrale. Pendant ce temps, il était un maître d’un galant style de vie, non celui du profond et immortel Mozart, mais seulement le lucide et satisfait, avec une liste toujours grandissante de symphonies, d’opéras, de musique de chambre, et de musique chorale dans son portafolio.
En 1780, l’électeur de Munich, où Mozart avait obtenu d’importants succès, le rappela pour écrire un opéra. Le résultat fut Idomeneo, sa première œuvre mature de scène, et à la fin, le meilleur de ses opéras de série. Il le composa en grande partie durant les répétitions, personnalisant sa musique aux chanteurs; observant les effets de scène, ajustant le timbre de l’action en coupant ici et en ajoutant là. En agissant ainsi, il apprenait les leçons pratiques sur la mise en scène qui lui seront utiles lors de la production future de comédies.
Après son triomphe à Munich, Mozart affronta l’événement décisif de sa vie - une libération fiasco. L’archevêque Hieronymus décida de ramener son employé voyageur, de lui ordonner de se ranger et d’obéir aux ordres. Au début de 1781, il convoqua impérialement Mozart de Salzbourg à Vienne où l’archevêque était en visite. Lorsque le compositeur se présenta devant lui, l’archevêque lui déversa un torrent d’abus en tant que serviteur qui le servait mal. Lorsque Mozart tenta de se défendre, il fut physiquement mis à porte.
Dans une lettre à son père, il jura qu’il quitterait Salzbourg et qu’il irait faire fortune là où sont les grandes fortunes musicales en Europe et dans le monde : à Vienne.
Il était maintenant âgé de vingt-cinq ans et un compositeur pigiste à une époque où cela représentait une façon risquée de gagner sa vie. Quoique brillant comme virtuose et compositeur, il habitait maintenant une ville où maraudent toute sorte d’espèces qui sont toutes ambitieuses et qui ont faim. Il fut un temps où l’église était le principal consommateur d’art; maintenant, c’est l’aristocratie qui paie le loyer pour la plupart des artistes. Mozart espérait se joindre à une cour ou à une autre, ce qui était la voie habituelle du succès.
En premier, il vécut, à Vienne, avec les Weber qui avaient déménagé de Mannheim. Maintenant que Aloysia l’avait rejeté, la mère, devenue veuve, commença à présenter Constanze à Wolfgang. Elle était sa plus jeune, moins jolie, et moins talentueuse quoiqu’elle chantait bien. Il se laissa persuader et écrivit à Leopold pour obtenir son assentiment à cette union. Wolfgang et Constanze se sont mariés en août 1782 avant que la permission exaspérée et rancunière de Leopold ne fut reçue. A cause de la rupture avec l’archevêque et ce mariage impulsif, les relations entre le père et le fils se sont refroidies et vont le demeurer ainsi.
Constanze, alors âgée de vingt ans, n’était pas la partenaire intellectuelle ni l’âme sœur mais il semble que ce n’était pas ce que le mari recherchait. Mozart voulait une compagne de jeu enthousiaste et une partenaire sexuelle et c’était ce que la pétillante et coquette Constanze semblait être. Quant au mari, il était un homme-enfant qui pouvait tantôt improviser sublimement dans un élégant salon tantôt enjamber les meubles et miauler comme un chat.
Qu’il soit en public ou en privé, il ne pouvait tenir en place, tambourinant ses doigts partout, bougeant nerveusement même lorsqu’il se lavait les mains. Contanze prit sur elle de couper sa viande pour lui de peur qu’il ne se coupe les doigts. Il adorait la musique et tout ce qui l’entourait; d’autre part, il aimait la danse, le billard, la nourriture, le vin, les réceptions, le sexe, et le plaisir en général, le tout avec une jouissance animale insatiable. Jusque vers les dernières années de sa vie, il était indifférent à la littérature, la philosophie, la politique - à moins qu’il y ait quelque chose en ces matières qu’il puisse utiliser et alors il s’en accaparait de façon tenace. Pas plus que personne d’autre, il ne pouvait expliquer les choses magiques qui se passaient dans sa tête. Avec Constanze, il n’avait pas besoin de lien spirituel mais ses lettres démontrent qu’il était profondément amoureux d’elle.
Juste avant son mariage, Mozart causa toute une sensation à Vienne avec sa comédie irrésistible, L’enlèvement au Sérail. Cette histoire de deux nobles dames vendues par des pirates à un pacha turc était conçue pour tirer avantage d’un envoûtement courant à Vienne pour tout ce qui était turc - café, confiseries, cigarettes, musique pseudo-turque avec ses cymbales et des tambours. Pour en assurer la réussite, l’opéra prenait la forme d’un singspiel allemand, un genre populaire d’œuvre de scène similaire à la comédie musicale américaine : des chants liés à des dialogues. Les Viennois ont acheté cette concoction d’intelligence mozartienne et de niaiseries exotiques.
Entre L’enlèvement et ses prestations brillantes au piano, Mozart était, pour un temps, la vedette de la ville. Lui et Constanze ont aménagé dans un appartement luxueux et richement meublé, incluant une magnifique table de billard. Il donna libre cours à ses goûts pour les vêtements de fantaisie et effectuait une visite journalière à son coiffeur.
Evidemment, ils n’étaient pas réellement riches et ne le seront jamais même s’il obtenait les meilleurs cachets alors payés aux artistes. Il pouvait obtenir l’équivalent de 6 000$ pour une soirée de concert soit autant que certains officiers de la cour recevaient pour une année entière. Il avait les revenus imprévisibles d’un pigiste, vulnérables aux lois économiques, aux goûts du public viennois, et au sabotage de ses ennemis. Le succès de L'enlèvement a été obtenu, par exemple, malgré les machinations menées par Antonio Saleri, chef de l’Opéra de Vienne et un compositeur favori de l’empereur Joseph II. Salieri fit de son mieux pour ridiculiser et abattre son rival et ce, incluant la présence dans la salle de personnes pour chahuter durant la représentation. Dans ce cas, le stratagème n’a pas fonctionné mais Salieri serait un rival formidable. Il entrera dans l’histoire non en tant que compositeur mais en temps que némésis de Mozart.
Pour le reste de sa vie à Vienne, Mozart travaillera à pleine vapeur alors en possession de sa pleine maturité. Ses créations s’échelonneront sereinement malgré tous les désordres de sa vie, les périodes de prospérité et de sécheresse ainsi que les aléas de sa santé.
Plus que toute autre chose, il voulait écrire un opéra, mais après L’enlèvement, il examina des douzaines de librettos incapable de trouver un sujet qui le satisfasse jusqu’au jour où il tombe sur la pièce célèbre de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro.
Par les temps qui courent, Mozart est tel un meuble à la cour de Joseph II, empereur du Saint Empire Romain. En tant que « despote éclairé » et patron des arts, Joseph a imposé de nombreuses réformes incluant l’abolition du servage, la limitation des pouvoirs de la noblesse, et la rationalisation des pratiques funéraires. Les réformes de Joseph étaient si dictatoriales qu’à la fin il a réussi à s’aliéner presque tout le monde. Malgré tout, Joseph maintint une brillante cour. Parmi les prétendants à la cour, il y avait le poète, librettiste et aventurier Lorenzo Da Ponte : moitié obscur journaliste, moitié génie, hautement instruit mais aussi un addict aux femmes et à la grande vie. Mozart approcha Da Ponte avec l’idée de Figaro. Da Ponte le connaît très bien et sait que ça peut être trouble - Joseph a banni la pièce. Mais Da Ponte promet d’arranger les choses avec l’empereur.
Originalement une comédie, la pièce est un réquisitoire féroce sur la noblesse où le barbier Figaro et sa fiancée, Susanna, combattent les intentions du galant Comte Almaviva - principalement son droit féodal de coucher avec les nouvelles épouses. En apprenant les plans de Mozart, ses rivaux ont senti sa perte; mais Da Ponte a promis à l’empereur que le tout serait aseptisé pour y retirer les parties inadmissibles, et Joseph a accepté de lever son interdiction.
Ainsi commença la collaboration entre Mozart et Da Ponte qui produira trois opéras immortels. Peut-être le plus parfaitement réalisé de tous, Figaro fut écrit en six semaines au début de 1786. Les ennemis, en cour de loi (non limités à Salieri), ont tenté de faire avorter la production mais peine perdue, les chanteurs et les musiciens furent emballés par la musique. A la première, le temps de la représentation a été presque doublé parce que l’audience demandait la reprise de plusieurs numéros. L’empereur Joseph a exprimé son enthousiasme. Mais la publication d’un petit opéra Una Cosa Rara par l’espagnol Martin y Soler portant sur le même sujet força Figaro à être retiré après seulement neuf représentations et, pour plusieurs années, sera rarement entendu. Une production à Prague peu de temps après, toutefois, remporta un succès retentissant. A ce sujet, Mozart écrivit à son père : « Ici, on ne parle que de Figaro. Rien n’est joué, chanté, ou sifflé que Figaro! Aucun opéra n’attire autant de gens que Figaro. Rien, rien, seulement Figaro. Certainement un grand honneur pour moi! »
Inévitablement, ce triomphe est temporaire. En ce temps-là, les royautés sur les œuvres n’existaient pas. Quelqu’un payait pour écrire l’œuvre et c’était fini; la pièce pouvait être chantée partout et le compositeur ne recevait absolument rien. La seule façon de survivre pour un pigiste est d’écrire et de produire constamment, connaître constamment des succès, et espérer que l’économie reste forte. Autour de 1786, l’activité créatrice de Mozart a fleuri comme jamais. En six mois, de la fin de 1785 au printemps de 1786, alors qu’il finissait Figaro, il a aussi complété trois concertos pour piano, plusieurs pièces pour les services maçonniques, une sonate pour violon et plusieurs petites œuvres. Pendant ce temps, l’empereur Joseph est entré en guerre avec la Turquie ce qui a eu comme conséquence de saper les ressources de l’état et, inévitablement, de heurter les arts. Pour rendre les choses encore pires, Constanze développait une maladie chronique et devait passer beaucoup de temps dans des spas dispendieux. Pour sa part, Mozart a toujours regardé l’argent comme étant quelque chose que l’on dépense plutôt que d’être mis de côté pour le futur.
Pour toutes ces possibles raisons, entre 1788 et 1790, Mozart s’appauvrit et commença à quémander des prêts auprès de ses amis et principalement auprès de son frère maçonnique Michael Puchberg.
Il écrivit maintes lettres et l’ensemble de celles-ci ont aidé à créer le mythe que Mozart était négligé et pauvre. Les circonstances de sa vie à ce moment, si difficiles aient-elles été, ne semblent pas être aussi misérables qu’il les dépeignait; on est souvent porté à exagérer lorsque l’on quémande. Dans tous les cas, en moins de deux ans, les finances de Mozart seront de nouveau stables. Les historiens ont rarement rapporté qu’au moment de sa mort, Mozart avait commencé à repayer Puchberg et que Constanze a pris soin des dettes qui restaient.
Parmi les récompenses des années passées à Vienne, il y a l’amitié que Mozart a développée avec Haydn. La réputation mondiale du vieux maître le dispensait d’avoir à compétitionner avec quiconque; puis à part, il était généreux par nature. Malgré tous ses jugements sévères envers ses contemporains, Mozart reconnaissait sa dette envers Haydn.


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