Mohamed Nedali : La lecture est l’ unique moyen d’éveiller les consciences, d’ouvrir les mentalités, de former l’esprit critique et d’inculquer les grandes valeurs de l’humanité


Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub
Jeudi 27 Janvier 2022

Mohamed Nedali : La lecture est l’ unique moyen d’éveiller les consciences, d’ouvrir les mentalités, de former l’esprit critique et d’inculquer les grandes valeurs de l’humanité
Mohamed Nedali vient de publier le Poète de Safi, aux Editions de l’Aube en France, et aux Editions La Croisée des Chemins au Maroc. Ce roman constitue un hymne à la poésie de langue arabe qui fait face à tous les obscurantismes sectaires et intolérants et un bel hommage à Safi, ville que l’auteur aime sans conditions. Contacté par Libé, Mohamed Nedali nous a accordé cet entretien : 

Libé :Le père, aussi bien dans Morceaux de Choix que dans le Poète de Safi, a les pleins pouvoirs sur son fils. Mais il renonce à ce pouvoir laissant à ce dernier le droit de se comporter comme bon lui semble. Comment et pourquoi? Mohamed Nedali :En règle générale, le père dans notre société a tendance à soumettre femme et enfants à son autorité. C’est la figure classique du patriarche au droit divin, vénéré et craint par ses descendants, un stéréotype longtemps traité dans la littérature marocaine, toutes expressions confondues. Avec l’âge, ou suite à un revers du destin, ou encore à une maladie, cette figure perd brusquement son aura et donc son autorité. L’un de ses enfants, souvent l’aîné, se soulève contre lui, prend son destin en main et ouvre ainsi la voie de l’affranchissement aux autres. C’est une loi de la nature : elle fonctionne aussi bien chez les animaux que chez les humains. Dans « Le Poète de Safi », le père devient beaucoup moins autoritaire à l’égard de son fils, Moncef, depuis la disparition de sa femme, qu’il a provoquée par ses nombreuses infidélités conjugales. N’ayant plus aucun moyen de réparer sa faute à l’égard de l’épouse décédée, le père change de comportement à l’égard du fils, devenant ainsi conciliant, voire un peu laxiste envers lui. Sans doute espère-t-il, au fond de lui, obtenir ainsi le pardon de l’épouse disparue.

Comment le poète, ce prêtre selon Novalis, cet albatros selon Baudelaire qui hante la tempête, cet incompris à mourir (p.129), et dont la poésie constitue «un appel à la lutte contre l’ignorance et la bêtise ambiante», pourrait-il entretenir la flamme de l’espoir (p.138) en l’absence d’intérêt et de soin ?
En remettant le livre et la lecture au centre de l’opération enseignement- apprentissage. Il n’y a pas d’autre solution. Les régimes arabo-musulmans ont essayé l’intégrisme religieux durant ces quatre dernières décennies avec, comme résultat, des générations de bigots et de radicaux religieux, plus capables d’actes de barbarie que de comportements civilisés. Il est temps de changer de cap, sinon on va droit dans le mur. Bien entendu, il faut une réelle volonté politique pour opérer un tel changement ; le poète et l’écrivain auront toujours un effet limité sur les mentalités tant que leur travail n’a pas une place importante dans les programmes scolaires.

«Je dirais même que la lecture m’a sauvé…De l’ignorance et de la bêtise» (p.151)Comment ? Surtout dans une société où la lecture est traitée en parent pauvre ? La lecture est l’unique moyen d’éveiller les consciences, d’ouvrir les mentalités, de former l’esprit critique et d’inculquer les grande valeurs de l’humanité, à savoir la liberté, la justice, le respect de la différence, l’égalité, la solidarité… Quand je dis lecture, je pense principalement aux œuvres littéraires : poésie, roman, nouvelle, conte... Il faut évidemment initier l’enfant à la lecture dès son plus jeune âge, respecter les étapes et faire en sorte que toute lecture soit d’abord un plaisir pour le lecteur. Le problème dans notre système éducatif est que l’élève n’est pas du tout initié à la lecture, ni au primaire ni au collège. Arrivé au lycée, on lui demande de lire et de comprendre Le Bourgeois gentilhomme de Molière, Antigone de Jean Anouilh, Le Père Goriot d’Honoré de Balzac ou encore Il était une fois un vieux couple heureux de Mohamed Khair-Eddine, autrement dit de la littérature pour adultes, que même les enseignants ont souvent de la peine à comprendre. Conséquence, l’élève a une réaction de rejet total du livre et de la lecture. C’est comme si on donnait à manger un couscous à un bébé qui a faim : au mieux, il aurait une indigestion ; au pire il mourrait d’étouffement.

Dans le roman, le poète Bahri, en défenseur convaincu, dit que « la femme n’est pas un bonobo… Les femmes ont besoin de se sentir écoutées, épaulées, …». Comment pouvoir le justifier à ceux qui le croient et à ceux qui ne le croient pas ?
Parla transmission à l’école d’un certain nombre de valeurs et de connaissances sur l’amour, la sexualité, l’affection, le respect mutuel… On a beau dire, ce problème ne sera résolu que par une éducation sexuelle et affective adaptée à notre culture.

Comment la poésie pourrait-elle retrouver la place qui lui sied ?
Sortir de l’élitisme et aller vers le lecteur lambda, plus particulièrement vers les jeunes. Les poètes n’ont évidemment pas les moyens d’une telle démarche, d’autant plus que la plupart d’entre eux s’autoéditent et s’auto-diffusent ; pourtant ils continuent d’écrire et de croire en la poésie. Je vais me répéter, mais il faut une réelle volonté politique des décideurs pour que la littérature retrouve la place qui était la sienne. Il faut lui donner plus d’espace dans les programmes scolaires et dans les médias. 

Biographie de l’auteur

Mohamed Nedali : La lecture est l’ unique moyen d’éveiller les consciences, d’ouvrir les mentalités, de former l’esprit critique et d’inculquer les grandes valeurs de l’humanité
Ecrivain marocain d’expression française, Mohamed Nedali vit et travaille à Tahennaoute,son village natal, situé au pied du Haut Atlas.Il est l’auteur de plusieurs romans, publiés en France et au Maroc, dont Morceaux choisis (Prix Grand Atlas 2005, Prix des Lycéens 2005, Prix de la Diversité, Espagne 2009), La Maison de Cicine, Triste Jeunesse (Prix de la Mamounia 2012)…
Ode à Tighaline (1)
« … Safi, la reine déchue, oubliée des dieux, reniée par les siens, malmenée par les nouveaux maîtres de céans.
Safi que les voyageurs évitent comme on évite un pestiféré. Seuls quelques curieux prennent le temps de s’arrêter cinq minutes là-haut, sur la falaise de Sidi Bouzid pour prendre une photo-souvenir de la ville en contrebas engourdie dans sa torpeur végétative, cinq autres minutes à la Colline des Potiers pour acheter une céramique bleutée. Sitôt après, ils reprennent la route vers le Sud, ou vers le Nord, vitres hermétiquement fermées pour, disent-ils, parer aux particules nocives. En ce qui me concerne, j’aime Safi. Je l’aime pour ce qu’elle est, pour ce qu’elle était. Je l’aime pour ce que les autres ne voient pas, ou ne peuvent pas voir : son passé florissant, sa grandeur d’âme, son esprit rebelle, sa beauté sans fard, sa façon d’être à la fois simple et élégante, farouche et accueillante, distante et proche, indifférente et attentive…
Ce livre est dédié à Safi et aux Safiots, en toute liberté».
(1)Tighaline, cité amazighe engloutie par l’Océan Atlantique au IIIème siècle avant J.C. Les archéologues la situent à une trentaine de kilomètres au nord de Safi. «Décidé à tirer ses concitoyens de leur léthargie séculaire, un jeune poète marocain, un peu éméché, pénètre en plein jour dans une mosquée de Safi et déclame un de ses poèmes les plus subversifs à travers les haut-parleurs du minaret. Un acte téméraire, périlleux, impensable en terre d’Allah. Une chasse à l’homme commence aussitôt dans la ville, menée, d’un côté, par des éléments de la police ; de l’autre, par une horde d’islamistes décidés à lapider le profanateur de la maison d’Allah jusqu’à ce que mort s’ensuive. Le poète de Safi est un roman doublement captivant : par son histoire passionnante et par sa langue jouissive et finement ciselée», lisons-nous dans la quatrième de couverture.
 


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