Maroc : quel modèle pour sortir de l’économie de rente ?


Par Hicham El Moussaoui *
Samedi 24 Mars 2012

Maroc : quel modèle pour sortir de l’économie de rente ?
Le 1er mars dernier, le gouvernement a publié la liste des bénéficiaires des agréments (licences) de transport, dans le cadre de sa lutte contre l’économie de rente. Si l’intention d’une telle démarche est louable, son efficacité risque d’être limitée si le gouvernement ne prend pas soin de prévenir l’amalgame, et s’il réduit la lutte contre la rente à une simple campagne de déballage médiatique.
En effet, il ne faut pas oublier le principe originel à la base de l’octroi de ces agréments : servir de mécanismes de solidarité, notamment avec les anciens combattants. Malheureusement ce mécanisme a été instrumentalisé par plusieurs opportunistes pour avoir accès à des privilèges indus, donnant lieu à la constitution d’une importante économie de rente au Maroc. Cela étant, il fallait faire le tri entre les bénéficiaires légitimes et ceux qui ne le sont pas avant de publier la liste, afin d’éviter l’amalgame.
S’il est vrai que l’économie de rente se nourrit, entre autres, de l’absence de contrôle, de l’opacité et du manque de transparence dans la sphère économique, la lutte contre la rente ne peut être réduite à des campagnes à effet d’annonce. Par ailleurs, le gouvernement, peut-être par manque d’expérience, s’est précipité et a lancé cette campagne sans qu’elle soit accompagnée par un projet contenant des objectifs et des mesures concrètes. Mais selon quel modèle peut-on lutter contre la rente?
La culture marocaine reste encore imprégnée par un certain féodalisme et une certaine soumission au Makhzen, ce qui explique la persistance du contrat implicite : rendre service au pouvoir contre l’obtention d’un privilège. Néanmoins, il faut bien comprendre que le problème de rente est au fond une question d’incitations, lesquelles dépendent des institutions (règles économiques et sociales) encadrant les interactions individuelles. Si le comportement de recherche de rente persiste au Maroc c’est parce que les institutions en place produisent des incitations le favorisant au détriment de l’effort productif. Comment ? En règle générale, les économies rentières sont caractérisées par la prédominance de la rente par rapport au travail productif, et la richesse est concentrée entre les mains d’une petite fraction de la société. Cela conduit à la distribution de privilèges et de monopoles, une véritable privatisation de l’Etat dont les groupes d’intérêt bénéficiaires sont évidemment hostiles aux réformes économiques.
Cet état de fait génère la dichotomisation de la société sous la forme d’une classe rentière et une autre classe pauvre, en l’absence d’une classe moyenne. En l’absence d’ascenseur social, c’est-à-dire des opportunités d’emploi et d’investissement qui permettent de passer de la classe pauvre à la classe moyenne ou riche, la seule issue pour prospérer reste le comportement de recherche de rente. Cela signifie qu’au lieu d’investir dans la production, l’innovation, c’est à dire dans la création de la valeur ajoutée, les individus investissent dans le lobbying auprès des bureaucrates, des politiques et des législateurs, pour acquérir des privilèges, notamment accéder à un marché public, créer un marché de toutes pièces, évincer un concurrent gênant, etc.
Cependant, il ne s’agit pas d’une fatalité : si l’on veut arrêter cette hémorragie qui coûte des points de croissance à l’économie marocaine, il faut changer les incitations, ce qui implique forcément un changement institutionnel, c’est-à-dire un changement des règles du jeu économique.  Les décisions économiques ne doivent plus être guidées par la logique politique consistant à acheter des voix ou à conclure des alliances ou encore acheter de la paix sociale de courte durée. Elles doivent désormais être fondées sur un critère de rationalité économique : offrir davantage de liberté économique à tous les individus pour se diriger vers l’économie productive. Celle-ci repose sur trois principes: le libre choix, l’Etat de droit et la libre concurrence.
Le premier principe implique une redéfinition du rôle de l’Etat : moins d’Etat pour mieux d’Etat. Cela doit se traduire par une rationalisation des dépenses publiques, un ciblage des transferts sociaux, une optimisation des investissements publics, et la contractualisation dans la fonction publique. Jusqu’à aujourd’hui l’interventionnisme a créé des opportunités aux rentiers pour obtenir, de la part des politiques et bureaucrates, des privilèges indus. Moins il y en a, mieux c’est !
Le second principe implique la consolidation de l’Etat de droit en faisant de l’indépendance de la justice une réalité quotidienne et en veillant à l’exécution des contrats par la modernisation et la décentralisation des tribunaux. Cela ne peut être réalisé sans une vraie séparation des pouvoirs pour éviter que le politique biaise le fonctionnement de la justice faussant ainsi le jeu économique et dévalorisant l’effort productif.
Enfin, le troisième principe implique l’activation des instances de lutte contre la concurrence déloyale, la promulgation de lois effectives contre les monopoles et les ententes sur les prix, qui créent des distorsions dans les prix biaisant la concurrence sur le marché. Il signifie aussi faire la chasse à toutes les barrières à l’entrée dans les différents marchés afin que les positions soient toujours contestables. Cela passe par la lutte contre la sur-réglementation et la rigidité des marchés ainsi que par l’accélération des réformes visant l’amélioration de l’environnement des affaires.
Cela ne sera pas possible sans que l’on ne s’attaque au tabou du mariage incestueux entre le politique et l’économique au Maroc. Car il n’y a pas que des licences (transport, carrières) dans ce pays qui constituent une source de rente.
Au final, à l’image de la démocratie qui a besoin de contre-pouvoirs politiques, la sortie de l’économie de rente passe par la création de contre-pouvoirs économiques. Ce n’est possible que si l’on libère l’économie de l’ingérence des politiques et des bureaucrates, et des monopoles qu’ils imposent. Cela implique des nouvelles règles du jeu économiques, libérant toutes les forces vives de ce pays désireuses de créer de la valeur ajoutée au lieu de profiter indûment de la rente.

 * Analyste sur
www.unmondelibre.org  


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1.Posté par Benchi le 26/03/2012 00:59
Et bien, Libé a fait du chemin pour publier ce genre d'analyses ! Je me demande s'il y a encore une fibre de l'USFP là dedans !? Si j'ai bien compris, l'auteur préconise (1) moins d’Etat et donc moins de régulation institutionnelle, (2) l'établissement d'un Etat de droit est un pré-requis, ce qui prendra des générations et ce si et seulement si tout ce qu'il faut pour y arriver est fait, ce qui es loin d’être le cas, et (3) l'auto-régulation du marché par la magie de la "main invisible" à laquelle personne ne crois plus même au pays de l'Oncle Sam, bastion du libéralisme sauvage!

Permettez-moi de suggérer que la solution est bien plus simple, du peu qu'on veuille s'y attaquer et vite. Si la seule raison (légitime) de l’existence des agréments est d'ordre social alors il faut tout simplement (1) retirer les agréments à tous ceux qui les ont aujourd'hui, (2) les louer à des tiers sur la base des cahiers des charges et des contrats clairs et renouvelables sous conditions, et (3) verser une partie des revenus de ces contrats dans un compte spécial pour venir en aide aux personnes dont le besoin d'assistance sociale est caractérisé, (4) actualiser la validité de ces besoins sociaux régulièrement afin d'arrêter l'aide si la situation financière de la personne s’améliore ou encore si le bénéficiaire décède. Tant que ces aides (sous forme pécuniaire directe ou d’agrément) sont octroyées à vie et donc sans conditions de ressources ou pire de façon héréditaires, on ne pourra les appeler que des rentes illégitime et clientélistes.

Alors, on n'a pas besoin de théoriser là-dessus. C'est une simple décision politique dont les dimensions économique et sociale sont plus que gérables... à moins que certains veuillent continuer à faire des cadeaux à leurs amis de façon arbitraire et sur le dos du peuple dont ceux qui ont vraiment besoin d'aide.

2.Posté par Assou OU OUCHEN le 30/03/2012 07:17
bonjour les fidèles de Libé
Pour ma part, je voudrais juster aborder deux points qui sont soulvés ci- dessus: féodalisme et construction d'un Etat de droit d'une part, et retrait des agréments d'autre part.

Un siècle de modernité n'est rien comme temps dans l'âge d'une nation, les stigmates du féodalisme vont susbsister encore pour lontemps qu'on le veuille ou non du moment où des habitudes et des comportements collectifs qui perdurent finissent à accéder au rang d'instincts sociaux dont le domptage et l'evolution positive exigent de grands efforts et le remodelage progressif des valeurs social.
un Etat féodal mute dans un premier temps vers un Etat corrompu qui traverse une ère creuse en valeurs morale, car les valeurs de la noblesse féodale fondée sur la base de la servitude et l'abnégation des cerfs et la charité et le "cavaliérisme" des seigneurs, en s'effritant générent un système de non-valeurs morale.
En outre, l'Etat corrompu, à force d'exacpérer, ouvre automatiquement la voie à la lutte pour le fondement d'un Etat de droit où il n' y a plus de seigneurs de cerfs, juste des citoyens jouissant des mêmes droits et supportant les mêmes obligations au prorata des capacités de tout un chacun;
la corruption, et la rente qui n'est autre chose que l'une de ses facettes légales, puisque c'est le système qui devient corrompeur en usant d'une batterie de prérogatives qui ne suscitent, aux yeux de leur légalité et légitimité, aucune contestation collective sérieuse, si ce n'est sporadiquement aux veilles des échénces electorales, est un outil de mutation écomonique et sociale dans la mesure où il s'avère que son produit a été injecté dans des projets d'investissements durables, elle devient automatiquement productrice de la valeur ajoutée en terme de création d'emploi et d'emergence d'une classe moyenne dans un environnement illicite certes, mais catalysant et légitimant les revendications de l'Etat de droit et l'application des principes de transparence et d'égalité.

En ce qui concerne le retrait des agréments, à mon avis c'est une revendication impulsive dont l'ampleur des conséquences ne sont évaluées à leur juste valeur:

1/ il s'agit d'abord de droits acquis aux bénéficiaires et dans un système d'etat de droit, il est difficile de remettre en cause des droits acquis et dont les délais de remise en cause sont prescris,
2/il faut avoir présent à l'esprit que derièrres le beneficiaire il y une dimension de service public avec ses employés et ses usagers
3/ la différence entre privatiser un service public ou de le fragmenter pour le céder à titre gracieux sous forme d'agréments au profit des démunis, des personnes qui se sont distingués par leur lutte contre les ennemis de la nation, ou des artiste pour combler le trou béant de l'absence d'une véritable couverture sociale leur garantissant une fin de vie digne, etc...je veux dire que la différence est quasiment nulle si ce n'est la cadre réglementaire où s'inscrit chaque démarchen,
4/ donc, au lieu d'aller réveiller le démon pour animer les campagnes électorales , il serait plus judicieux pour ce gouvernement de repenser le cadre réglementaire de ses agréments qui doivent être exploités dans le cadre de cahiers de charges claires et sur la base d'un système fiscal positif et non pinitif, encourgeant l'investissement d'une part et cadrant les bénéfices dans des limites normales d'autre part;
merci

3.Posté par bienfaiteur le 05/06/2012 14:41
La solution est là

http://www.youtube.com/watch?v=359-HHivmBM&feature=relmfu

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