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Le privilège de l’écrivain est de nous entraîner là où il veut et où nous ne serions pas allés sans lui. Et comme le lecteur disposant d’outils de recherche, il va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
Libé : Comment avez-vous pu adopter l’écriture, cette monture indomptable et si capricieuse, et l’adapter à vos exigences ?
Mon premier roman a germé après ma visite d'un orphelinat auquel j'apportais une modeste contribution. Le contact de ses enfants a produit en moi une véritable déflagration émotionnelle. Presque d'instinct, j'ai alors courbé le dos pour raconter une histoire directement inspirée de mon séjour dans cette institution. Ce fut un besoin, une sorte d'exigence à laquelle je ne pouvais me soustraire. L'écriture me libérait des tensions accumulées dans le partage de ces vies frappées à la source de la vie. Mais cette première immersion dans la littérature aurait-elle été possible sans la lecture des romans qui décrivent l'âme humaine. Car c'est bien dans la fréquentation des grands auteurs à qui l'on doit nos aptitudes littéraires que l'acte d'écrire puise sa substance nourricière.
Quel a été votre premier texte, nouvelle, roman ou poème, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Ils sont nombreux. Principalement ceux qui sondent l'âme sans toutefois se départir des réalités sociales. Les auteurs témoins de leur temps qui nous donnent à mieux comprendre la complexité de la nature humaine à l'intérieur d'une société troublée. Sans vouloir hiérarchiser, je pense à Tolstoï, à Dostoïevski, à SandorMaraï, à Gamal Ghitani, à Zola, Flaubert, Zweig …, tous ces auteurs que l’on peut classer dans le « roman social » et dont les œuvres portent une part d’universel qui les rend intemporels. Je reconnais aussi une grande influence des «Décadents», ce courant que représente J-K Huysmans dont l’exigence première est l’observation minutieuse, poussée à l’extrême, des événements et de ceux qui les animent; des sentiments aussi, parfois jusqu’au pathos. En définitive, les influences sont innombrables car toute lecture abandonne une empreinte.
Lire pour avancer et être autre chose qu’une chose.
Libé : La langue française a su se soumettre à votre volonté, à vos volontés, à vos exigences. Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ? En est-il de même pour vous ?
L’écriture est à la fois un sacerdoce et une catharsis, un dévouement et un purgatoire. Elle est pétrie de ce double mouvement qui l’oblige à une sorte de rituel façonné dans une répétition respectueuse de l’acte créatif. L’écriture est un combat que seul l’acharnement permet de vaincre. «Je ne crois pas à l’imagination mais à l’obstination», disait J Echnoz.
S’imposer une cadence, une discipline afin de ne pas distendre une pensée contrainte à la cohérence et à la fidélité à l’ambition littéraire.
Mais il n’y a pas de codes standards, chacun ses manies, ses obsessions, ses caprices et ses fantasmes.
Libé : Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
Ecrire et se projeter sur la page blanche. Imprimer ses pensées dans le silence des mots et en retour les partager dans le même silence avec le lecteur, ce complice anonyme de l’écrivain. User de mots parfois brouillés dans la métaphore pour façonner le miroir devant lequel, à la dernière ligne, l’écrivain se reconnaît. Composer les images parfois ombrées par la pudeur pour se raconter, se confier et se donner une chance, une seule chance, de se retrouver dans la dernière phrase.
Ecrire pour fixer ses joies mais aussi ses peines afin de ne rien abandonner à une mémoire souvent oublieuse des bonheurs et des douleurs.
Ecrire et reconnaître l’autorité de la chose écrite, rendre hommage aux mots, ces petites choses qui peuvent dire de grandes choses.
Oui, c’est peut-être cela écrire : donner la main aux mots et se laisser dériver au-delà des horizons avec pour unique cicérone le plaisir d’échapper autant au passé qu’au présent et à l’avenir.
Libé : « Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable », dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969.
Dans « La recherche », Proust a tenté de conquérir le temps, autrement dit, d’en restituer tous les événements qui le composent. Dès lors, ce qu’il en écrit est plus riche que ce qu’il en vit en tant que l’écriture accorde un recul sur la réalité. De plus, la vie écrite contient les émotions qui agitent les individus quand la vie vécue les camoufle ou tout simplement les ignore.
Quand il est authentique, l’acte d’écrire est un engagement qui ne s’accommode ni de compromission, ni de compromis. Il donne de la sagesse à la vie réelle qui est elle-même dopée par cette part invisible logée dans le jardin secret de l’individu. La sociologie, la psychologie… nous éclairent sur la nature humaine. La littérature apporte ce qui manque à ces disciplines pour mieux découvrir les tremblements de l’âme. Puisque chaque mot écrit appartient à l’auteur, alors chaque mot est sur l’auteur. Cette fusion procure à la chose écrite plus d’intensité que la chose vécue.
Libé : Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Kundera est un véritable spéléologue de l’âme et de la société. Son œuvre est un questionnement sur la nature humaine. A mon avis, ses livres relèvent autant du roman que de l’essai. Ainsi, en tant que scribe de l’existence, il ne peut donc se départir du doute, ce moteur indispensable à la connaissance.
Mes romans sont bien entendu irrigués d’incertitude, d’interrogations, toutes convergeant vers la même finalité : mieux comprendre les ressorts qui animent l’esprit. Ils sont adossés à la réalité avec en renfort une volonté d‘observation nourrie de doute et de curiosité. Dans « La rencontre » par exemple, j’interroge la dignité de l’être, l’insignifiance du matériel sur le sentiment. Dans « De peine et de cendre », j’explore l’identité et la primauté de l’origine.
Dans « Le dernier manuscrit », je me penche sur le courage, la fidélité… Ce qui lie tous mes romans, c’est avant tout l’interrogation qui les creuse. Je n’écris pas pour faire dissonance et l’écriture m’inonde de plaisir. Mais elle m’écrase sous les incertitudes qu’elle soulève en me donnant parfois l’impression que je m’ensable sous mon propre discours. Chacun de mes romans est un ensemble de questions dont je ne possède aucune réponse.
Oui, le roman est bien le territoire de l’ambiguïté car c’est le réceptacle de la pluralité humaine.
Propos recueillis par Mouhoub Abdelkrim
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
Libé : Comment avez-vous pu adopter l’écriture, cette monture indomptable et si capricieuse, et l’adapter à vos exigences ?
Mon premier roman a germé après ma visite d'un orphelinat auquel j'apportais une modeste contribution. Le contact de ses enfants a produit en moi une véritable déflagration émotionnelle. Presque d'instinct, j'ai alors courbé le dos pour raconter une histoire directement inspirée de mon séjour dans cette institution. Ce fut un besoin, une sorte d'exigence à laquelle je ne pouvais me soustraire. L'écriture me libérait des tensions accumulées dans le partage de ces vies frappées à la source de la vie. Mais cette première immersion dans la littérature aurait-elle été possible sans la lecture des romans qui décrivent l'âme humaine. Car c'est bien dans la fréquentation des grands auteurs à qui l'on doit nos aptitudes littéraires que l'acte d'écrire puise sa substance nourricière.
Quel a été votre premier texte, nouvelle, roman ou poème, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Ils sont nombreux. Principalement ceux qui sondent l'âme sans toutefois se départir des réalités sociales. Les auteurs témoins de leur temps qui nous donnent à mieux comprendre la complexité de la nature humaine à l'intérieur d'une société troublée. Sans vouloir hiérarchiser, je pense à Tolstoï, à Dostoïevski, à SandorMaraï, à Gamal Ghitani, à Zola, Flaubert, Zweig …, tous ces auteurs que l’on peut classer dans le « roman social » et dont les œuvres portent une part d’universel qui les rend intemporels. Je reconnais aussi une grande influence des «Décadents», ce courant que représente J-K Huysmans dont l’exigence première est l’observation minutieuse, poussée à l’extrême, des événements et de ceux qui les animent; des sentiments aussi, parfois jusqu’au pathos. En définitive, les influences sont innombrables car toute lecture abandonne une empreinte.
Lire pour avancer et être autre chose qu’une chose.
Libé : La langue française a su se soumettre à votre volonté, à vos volontés, à vos exigences. Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits et de les écrire ? En est-il de même pour vous ?
L’écriture est à la fois un sacerdoce et une catharsis, un dévouement et un purgatoire. Elle est pétrie de ce double mouvement qui l’oblige à une sorte de rituel façonné dans une répétition respectueuse de l’acte créatif. L’écriture est un combat que seul l’acharnement permet de vaincre. «Je ne crois pas à l’imagination mais à l’obstination», disait J Echnoz.
S’imposer une cadence, une discipline afin de ne pas distendre une pensée contrainte à la cohérence et à la fidélité à l’ambition littéraire.
Mais il n’y a pas de codes standards, chacun ses manies, ses obsessions, ses caprices et ses fantasmes.
Libé : Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
Ecrire et se projeter sur la page blanche. Imprimer ses pensées dans le silence des mots et en retour les partager dans le même silence avec le lecteur, ce complice anonyme de l’écrivain. User de mots parfois brouillés dans la métaphore pour façonner le miroir devant lequel, à la dernière ligne, l’écrivain se reconnaît. Composer les images parfois ombrées par la pudeur pour se raconter, se confier et se donner une chance, une seule chance, de se retrouver dans la dernière phrase.
Ecrire pour fixer ses joies mais aussi ses peines afin de ne rien abandonner à une mémoire souvent oublieuse des bonheurs et des douleurs.
Ecrire et reconnaître l’autorité de la chose écrite, rendre hommage aux mots, ces petites choses qui peuvent dire de grandes choses.
Oui, c’est peut-être cela écrire : donner la main aux mots et se laisser dériver au-delà des horizons avec pour unique cicérone le plaisir d’échapper autant au passé qu’au présent et à l’avenir.
Libé : « Ecrire, c’est le double plaisir de raconter et de se raconter une histoire, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable », dit Françoise Sagan dans un entretien accordé au Magazine littéraire en juin 1969.
Dans « La recherche », Proust a tenté de conquérir le temps, autrement dit, d’en restituer tous les événements qui le composent. Dès lors, ce qu’il en écrit est plus riche que ce qu’il en vit en tant que l’écriture accorde un recul sur la réalité. De plus, la vie écrite contient les émotions qui agitent les individus quand la vie vécue les camoufle ou tout simplement les ignore.
Quand il est authentique, l’acte d’écrire est un engagement qui ne s’accommode ni de compromission, ni de compromis. Il donne de la sagesse à la vie réelle qui est elle-même dopée par cette part invisible logée dans le jardin secret de l’individu. La sociologie, la psychologie… nous éclairent sur la nature humaine. La littérature apporte ce qui manque à ces disciplines pour mieux découvrir les tremblements de l’âme. Puisque chaque mot écrit appartient à l’auteur, alors chaque mot est sur l’auteur. Cette fusion procure à la chose écrite plus d’intensité que la chose vécue.
Libé : Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Kundera est un véritable spéléologue de l’âme et de la société. Son œuvre est un questionnement sur la nature humaine. A mon avis, ses livres relèvent autant du roman que de l’essai. Ainsi, en tant que scribe de l’existence, il ne peut donc se départir du doute, ce moteur indispensable à la connaissance.
Mes romans sont bien entendu irrigués d’incertitude, d’interrogations, toutes convergeant vers la même finalité : mieux comprendre les ressorts qui animent l’esprit. Ils sont adossés à la réalité avec en renfort une volonté d‘observation nourrie de doute et de curiosité. Dans « La rencontre » par exemple, j’interroge la dignité de l’être, l’insignifiance du matériel sur le sentiment. Dans « De peine et de cendre », j’explore l’identité et la primauté de l’origine.
Dans « Le dernier manuscrit », je me penche sur le courage, la fidélité… Ce qui lie tous mes romans, c’est avant tout l’interrogation qui les creuse. Je n’écris pas pour faire dissonance et l’écriture m’inonde de plaisir. Mais elle m’écrase sous les incertitudes qu’elle soulève en me donnant parfois l’impression que je m’ensable sous mon propre discours. Chacun de mes romans est un ensemble de questions dont je ne possède aucune réponse.
Oui, le roman est bien le territoire de l’ambiguïté car c’est le réceptacle de la pluralité humaine.
Propos recueillis par Mouhoub Abdelkrim
Biographie
Comme professeur à l’université, Mamoun Lahbabi a d’abord écrit des livres en sciences économiques. Puis au début des années 90, il fut aspiré par la littérature. Son premier roman date de 1994. A ce jour, il en est à son vingtième dont les quatre derniers sont : Le dernier manuscrit (Marsam, Rabat, 2019), La rencontre (Ed Orion, Casablanca, 2022), De peine et de cendre (Ed Orion, Casablanca, 2023) et Le miroir du temps (L’harmattan, Paris, 2024).
En 2023, il a obtenu le Grand Prix du roman des éditions Orion.
Dans chacun de ses écrits, l’auteur dévoile quelques pans de la société, parfois en empruntant des métaphores, souvent en essayant de sonder les âmes. A bien des égards, Mamoun Lahbabi est un écrivain de l’intime qui cherche à mieux révéler la nature des rapports humains.
En 2023, il a obtenu le Grand Prix du roman des éditions Orion.
Dans chacun de ses écrits, l’auteur dévoile quelques pans de la société, parfois en empruntant des métaphores, souvent en essayant de sonder les âmes. A bien des égards, Mamoun Lahbabi est un écrivain de l’intime qui cherche à mieux révéler la nature des rapports humains.