Magnus Carlsen, un roi insatiable de succès aux échecs

Mon joueur passé préféré, c'est probablement moi il y a trois ou quatre ans", disait-il il y a quelques jours


Samedi 1 Décembre 2018

On le croyait repu, privé de son instinct de tueur... Muselant les critiques, le prodige norvégien des échecs Magnus Carlsen a conforté sa place aux côtés des plus grands en remportant mercredi son quatrième titre de champion du monde.
Le jeune homme à l'allure désinvolte et à la mine bougonne a finalement pulvérisé (3-0) son challenger américain Fabiano Caruana au tie-break, un ensemble de parties semi-rapides visant à départager les deux rivaux après leur série sans précédent de 12 nuls frustrants dans la phase classique.
Les experts commençaient pourtant à douter. A bientôt 28 ans -il les aura ce vendredi-, dont plus de la moitié dans les habits de grand maître international, Carlsen commençait-il à montrer des signes de lassitude?
Promptement acceptée par Caruana, son offre de nul lundi dans la 12e partie, alors que le Scandinave était en position de force tant sur l'échiquier qu'au chronomètre, a en particulier fait jaser.
"Choquant", s'étaient exclamés en choeur les commentateurs. "Encore plus de la part d'un joueur connu pour être un broyeur", estimait la Hongroise Judit Polgar, considérée comme la plus grande championne féminine d'échecs de tous les temps.
Autre légende de la discipline, le Russe Garry Kasparov renonçait même à voir un favori en Carlsen, qu'il a un temps entraîné. "Les tie-breaks exigent du sang froid, et il semble qu'il perde le sien", lâchait-il sur Twitter.
"Il est peut-être fatigué de la tension, des combats; peut-être même des échecs dans une certaine mesure", avançait un autre grand nom russe de la discipline, Vladimir Kramnik.
Carlsen a mis les pendules à l'heure après son triomphe mercredi.
"Je pense que j'ai pris la bonne décision", a-t-il déclaré. "Et pour ce qui est de l'avis de Garry et de Vlad, ils ont le droit d'avoir des opinions stupides".
Au fil des ans, le Norvégien a troqué la fulgurance de ses plus jeunes années pour un pragmatisme moins spectaculaire mais néanmoins efficace.
"Mon joueur passé préféré, c'est probablement moi il y a trois ou quatre ans", disait-il il y a quelques jours. Des propos qui sonnent comme l'aveu d'une aisance révolue.
Alors fraîchement couronné champion du monde, il accouchait à cette époque dorée d'échec et mat dans des situations apparemment inextricables et affichait le meilleur score jamais atteint au classement mondial (Elo).
S'il domine toujours la hiérarchie planétaire aujourd'hui, son score est nettement retombé.
En allant jusqu'au tie-break à Londres contre Caruana comme en 2016 lors de la défense de son titre contre Sergueï Kariakine, Carlsen a peut-être versé dans le cynisme, conscient qu'il excelle dans les formats rapides.
Mais sa victoire le fait entrer un peu plus encore dans la légende où il s'est invité en 2004, à l'âge de 13 ans seulement.
Initié aux échecs par son père dès sa plus tendre enfance, Carlsen fait sensation cette année-là quand, le visage poupin, il bat l'ex-champion du monde Anatoli Karpov, accule Kasparov à un nul, puis devient grand maître international.
Le Washington Post voit déjà en lui un "Mozart des échecs" capable de mémoriser des milliers de parties.
Plus jeune numéro un mondial à l'âge de 19 ans et un mois, il décroche le Graal en 2013 en remportant le championnat du monde aux dépens de l'Indien Viswanathan Anand. Un titre qu'il a maintenant réussi à conserver à trois reprises consécutives. Dans une Norvège jusqu'alors sans grande tradition échiquéenne, ses succès à répétition ont généré un véritable engouement. Pendant les principales compétitions retransmises en direct à la télévision, les échiquiers se vendent comme des petits pains.
Dans les bars et les écoles ou dans l'intimité des foyers, les Norvégiens sont désormais nombreux à pousser leurs pions, fous et cavaliers.
"Je ne pense pas que la Norvège accouchera de nouveaux Magnus Carlsen", expliquait le secrétaire général de la Fédération norvégienne d'échecs, Geir Nesheim, à l'AFP en 2016. "Il est trop exceptionnel pour ça. Mais en élargissant la base de l'iceberg, on peut espérer avoir plus de sommets".


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