Libertés, journaux clandestins et révolutions via Internet


Par Jerzy Buzek
Lundi 28 Novembre 2011

Neuf jours après la chute du dictateur libyen, alors que je me promenais dans les rues de Tripoli, un homme d'âge moyen m'aborde et me dit : «Mon ami, nous avons besoin que vous nous aidiez ». J'ai été ému, impressionné par son regard empli d'espoir et d'enthousiasme. Il a réveillé en moi de puissants souvenirs de mon propre pays, la Pologne, il y a de cela 22 ans, lorsque nous nous battions pour notre liberté.
Cette rencontre m'a également conforté dans mon opinion fondamentale : nous voulons tous la même chose, que nous venions de Libye, de Pologne ou de toute autre région du monde. Les peuples veulent vivre en démocratie, être capables de prendre la destinée de leur pays en main, assurer un avenir stable à leurs enfants.
Au sein de l'Union européenne, nous considérons la liberté comme un droit naturel, un dû. D'autres, souvent proches de nous, en sont privés.
Au cours de ma visite en Libye, je n'ai cessé de songer aux souffrances du plus ancien prisonnier d'opinion libyen, Ahmed al-Sanusi. Il a passé plus de 30 ans dans les geôles libyennes, payant le prix fort pour avoir tenté de renverser le régime Kadhafi.
J'ai éprouvé un sentiment d'humilité en pensant à ce que cet homme a enduré au nom de ses convictions. J'ai également songé avec fierté que le Parlement européen venait de reconnaître son sacrifice en lui décernant le Prix Sakharov 2011 pour la liberté de l'esprit. Il partage le Prix de cette année avec quatre autres lauréats qui symbolisent tous le courage, la lutte et le sacrifice au cours de ce Printemps arabe.
Ce Prix, baptisé ainsi en mémoire du célèbre dissident politique soviétique Andreï Sakharov, est décerné annuellement par le Parlement européen depuis 1988 à des personnalités ou à des organisations qui ont contribué de façon décisive à la défense des droits de l'homme ou de la démocratie. Le Parlement européen veut ainsi souligner que la liberté d'expression et de la presse sont aussi des droits fondamentaux, et des critères essentiels pour mesurer le degré d'ouverture et de démocratie d'une société.
En Pologne, il y a 30 ans, nous publiions des journaux clandestins du fond de caves noires et froides. Ils étaient distribués à nos concitoyens par des personnes qui prenaient de grands risques dans l'espoir d'une vie plus digne. Nous avions également réussi à créer des réseaux d'information avec d'autres dissidents de Tchécoslovaquie, de Lituanie, de Lettonie et de Hongrie communistes.
Vu d'ici, nos activités clandestines tenaient du film d'espionnage. Pour bien des gens, cependant, notre passé reste une réalité actuelle.
Parmi ces personnes courageuses figurent les lauréats du Prix Sakharov de cette année, par exemple l'Egyptienne Asmaa Mahfouz et la Syrienne Razan Zeitouneh. Elles ont contribué à organiser des grèves en faveur des droits fondamentaux, en publiant leurs protestations sur des blogs, sur Youtube, Facebook et Twitter. Ces messages ont incité les Egyptiens à faire valoir leurs droits sur la place Tahrir. En Syrie, Razan Zeitouneh révèle sur son blog les atrocités qui se produisent actuellement dans son pays. Ses messages sont devenus une source d'information importante pour les médias internationaux.
Les femmes sont, depuis le début, aux côtés des hommes dans ces révolutions. Après avoir été longtemps victimes de discriminations, elles font preuve d'un même courage, d'une grande fierté, et transforment les étincelles des révolutions de leur pays en flammes de liberté.
Que ce soit dans l'ancienne Europe communiste ou dans le récent Printemps arabe, nous aspirons tous aux mêmes libertés. La seule différence réside dans la manière d'y parvenir. La presse écrite clandestine a été remplacée par l'internet et les médias sociaux. Nous sommes à un moment capital marqué par de nouvelles «révolutions internet », qui voient des gens s'unir et partager leurs expériences et objectifs communs au travers des nouvelles technologies.
Nous devrions tirer les bons enseignements de ces événements.
La défense des droits de l'homme figure toujours au premier rang des priorités du Parlement. En tant que seule institution européenne démocratiquement élue, nous nous efforçons de garantir que les droits et les libertés sont défendus et promus au sein de l'Union européenne et au-delà. Nous voulons que Bruxelles, capitale européenne, soit aussi considérée comme une plateforme des droits de l'homme. C'est pourquoi nous souhaitons renforcer le réseau du Prix Sakharov.
Je sais, par l'expérience de mon propre pays, à quel point il peut être difficile de rétablir des procédures et des institutions démocratiques en partant de rien. Il est important de pouvoir compter sur des réseaux, des personnes dont l'expérience et le soutien peuvent être utiles.
Je peux dès lors regarder l'homme rencontré à Tripoli dans les yeux et lui dire : «Nous, l'Union européenne, sommes à vos côtés et aux côtés des peuples du monde entier qui luttent pour leur liberté et le respect des droits de l'homme. Vous avez également un devoir : favoriser le développement d'une Libye libre avec l'aide de vos propres réseaux nationaux établis par la société civile, les ONG, les intellectuels, les organisations de femmes et les médias pluralistes. Je puis vous assurer que le Parlement européen ne fera jamais la moindre concession lorsque les droits de l'homme seront menacés. Nous serons à vos côtés. Toujours ».

 * Président du Parlement européen, ancien Premier ministre
de Pologne (1997–2001), ancien
dirigeant du syndicat Solidarnosc


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