Les potiers de Safi tentent de ressusciter après les répercussions de la pandémie

​Le gouvernement marocain a rouvert le 7 février son espace aérien aux vols au départ et à destination du pays, après plus de deux mois de fermeture, selon un communiqué diffusé par la MAP. Cette décision intervient conformément aux dispositions juridiques relatives à la gestion de l'état d'urgence sanitaire et suite aux recommandations de la commission scientifique et technique et prenant en considération l'évolution de la situation épidémiologique dans le Royaume.


​Abdelkrim Mouhoub
Dimanche 13 Février 2022

Les potiers de Safi tentent de ressusciter après les répercussions de la pandémie
Libé surprend Safi ce 11 février pour partager d’abord avec les Safiots leur repas du matin dans ce bon café surplombant une mer source intarissable d’événements, d’us et d’usages dont les hommes passés par là ont été les auteurs et acteurs, pour ensuite s’enquérir du secteur de la poterie dont la ville détient les secrets d’un savoir-faire incomparable.

La ville de Safi constitue sans conteste le réceptacle d’une activité potière très enracinée dans l’histoire, et ce ne sont pas les témoins archéologiques qui manquent. En effet, les habitants de cette ville ont combiné, depuis leur existence, les ressources halieutiques et la fabrication d’objets utilitaires en poterie du fait qu’une argile de très bonne qualité ne se trouve pas loin de la cité.

La découverte d’énormes quantités de céramique archéologique dans le site de Lalla Hniya Hamriya, en 1994, constitue une grande preuve scientifique que Safi a connu l’industrie de la céramique au moins depuis le 11ème siècle, sous le règne de la dynastie almoravide avant qu’elle soit suspendue durant la colonisation portugaise (1508-1541).

Par ailleurs, dès le début du 18ème siècle, Safi renaît de ses cendres et redevient un centre de production de la céramique, soit un siècle avant l’installation de maâlem Boujemaa Lamali dans la ville; lequel a bouleversé l’art de la céramique et lui a donné plus de prestige dont la renommée a été reconnue hors des frontières nationales.

Les potiers exposent leurs produits dans un étalage pittoresque en excellant dans la présentation – l’élégance n’est-elle pas le propre des Aabdis ?- et l’occupation judicieuse de l’espace. Faute d’acquérir un article, le plaisir de regarder en vaut la chandelle, dit la sagesse marocaine.
La ville de Safi constitue sans conteste le réceptacle d’une activité potière très enracinée dans l’histoire, et ce ne sont pas les témoins archéologiques qui manquent
«A présent, nous confie Bouchaïb Taqi connu sous le surnom RASTA, les maâlem safiots doivent «se mondialiser» (sourire) et s’ouvrir à d’autres influences à même d’aller audelà des pratiques codifiées par la tradition pour innover au niveau des formes et des décors». Bouchaïb Rasta travaille sur deux couleurs, le noir et le blanc argenté. C’est pour s’affranchir du joug des codes et dogmes qui ligotent tout esprit créatif tout en gardant les pieds à Safi et rester fidèle au patrimoine ancestral marocain. « L’émaillé traditionnel, tu le trouves exposé à même le sol, au bord des routes, partout.

Cependant ce que nous faisons requiert une attention toute particulière; ces objets doivent occuper la place d’honneur, dans les maisons, dans les palaces, dans les salons de réception, dans les hôtels, les aéroports, …C’est un plaisir pour l’œil ; c’est pourquoi il ne doit pas être à la portée de la main. Parce que c’est l’œil qui perçoit le beau, c’est l’œil qui aime. N’est-ce pas ! »

Pour les motifs qui meublent cette aire noire, « ils sont inspirés de notre patrimoine culturel, à savoir le tapis, le tatouage. C’est cela qui donne à ces objets cet aspect original. Il y a aussi des dessins illustrant notre identité, notamment les marabouts qui foisonnent dans la région, les kasbahs, et le Sahara pour dire seulement et simplement que le Sahara est marocain», martèle Bouchaïb.

«Si la poterie souffrait de la concurrence des produits manufacturés à base de plastique et d’aluminium, ajoute-t-il, il n’en demeure pas moins que le secteur de la poterie représente l'activité artisanale par excellence et constitue conséquemment le patrimoine culturel et touristique de la ville de Safi. C’est notre raison d’être et notre source de vie».

A une question sur l’incidence de la pandémie de Covid-19, notre interlocuteur n’a pas caché son désarroi « surtout que nous vivons grâce à la vente de ces objets, notre nourriture et celle des nôtres en proviennent. La fermeture des frontières a entraîné celle de nos ressources. Les factures d’électricité, pour ne rien vous cacher, s’entassent depuis un an sur cette étagère et attendent d’être payées». Il affirme avec amertume qu’il y a des jours où il rentre bredouille. Parfois, il rentre avec 20 dirhams dans les poches. «Nous avons passé des moments difficiles, à cause de cette pandémie !»

Mais avec l’ouverture des frontières aériennes, l’espoir n’est pas moins grand. « C’est cette confiance qui nous anime, qui nous rassure contre un avenir morose. Le marché a connu ces trois derniers jours le passage de visiteurs marocains. Ça augure d’un certain déblocage de la situation. Les touristes n’ont pas encore fait surface, si ce n’est l’ambassadeur de France qui nous a rendu visite et auquel nous avons donné toutes les explications nécessaires sur notre métier. Il nous a remercié et est reparti».

Cependant, « il faut louer Dieu dans toutes les circonstances. Avec l’ouverture des frontières aériennes, nous espérons que les choses s’amélioreront et la Colline des potiers, la vallée Chaâba s’animeront certainement de nouveau et redonneront vie à ce secteur qui a beaucoup souffert. Que dois-je donner au propriétaire de l’atelier et qu’est-ce que je peux garder, moi ? Allah yerhamna ou khlass ! »

Sur la Colline où on travaille l’argile, nous avons pu nous rendre chez Fatima Asfi, une jeune femme, potière de formation et de vocation. Elle nous apprend que « Safi est réputée pour sa faïence aux couleurs bleutées héritée des mâalems venus de Fès; mais comme l'argile de Safi est riche en oxyde de fer, les potiers de la région ont vite adopté la polychromie ».

Pour ce qui est de la préparation, notre interlocutrice nous a dit qu’«une fois l’argile est sur les lieux de travail, M’hamed Touille l’expose un certain temps au soleil et au vent pour qu’elle devienne sèche. L’un de nos ouvriers la concasse et la réduit en petits fragments, puis il la laisse se fermenter dans la jabya (bassin) pleine d’eau, pendant trois ou quatre jours jusqu’à ce qu’elle s’amollisse et devienne bonne à travailler. Ensuite on passe au malaxage aux pieds après avoir pris sa dose de chaleur et d’air, et faire en sorte que les poches d’air disparaissent et obtenir une pâte homogène susceptible d’être aisément façonnée. Vient enfin l’étape du pétrissage de la pâte pour en former des mottes appelées Toba, prêtes à modeler au tour, un tour à pied».
Safi est réputée pour sa faïence aux couleurs bleutées héritée des mâalems venus de Fès; mais comme l'argile de Safi est riche en oxyde de fer, les potiers de la région ont vite adopté la polychromie

Les potiers de Safi tentent de ressusciter après les répercussions de la pandémie
Les pièces céramiques doivent subir sous l’effet du soleil ou à l’abri un séchage adéquat avant de passer à la première cuisson. Pour ce, toutes les précautions nécessaires pour réaliser une parfaite déshydratation, éviter le risque de gauchissement ou de fissuration des pièces, sont à prendre.

Pour reprendre le jargon des enfants, qu’en est-il du coloriage ? M’hamed qui est déjà à l’œuvre nous écoute converser sans pour autant lever les yeux de sa pâte qui ne tarde pas à prendre forme : un tagine, une assiette, un bol,… pointe le doigt vers sa coéquipière, et Fatima reprend magistralement son discours en connaisseuse avertie : « Il faut procéder par étapes : la teinte nous parvient de l’étranger, sauf celle dont la couleur est rouge; elle est produite à Safi», ajoutant : « Je la dilue avec l’âalk dans de l’eau, une matière qui permet une forte adhérence des motifs aux parois de l’objet. Du reste, nous fait-elle remarquer, on trempe l’objet modelé dans cette matière blanche qui constitue le fond de nos motifs, et qui est également importée».
Avec l’ouverture des frontières aériennes, l’espoir n’est pas moins grand. « C’est cette confiance qui nous anime, qui nous rassure contre un avenir morose
Donc, les dessins doivent attendre que le tout soit bien sec pour que Fatima entame la zouaqa. Les motifs dépendent de la commande et de l’objet. Lequel objet doit être enfourné avec habileté dans un four pour être cuit et biscuit à une température variant de 960 à 1000°c pendant quatre heures. Cela dépend de la qualité de l’émail qu’on compte lui appliquer. Cette première cuisson rend l’argile plus solide et plus résistante».

Les potiers de Safi tentent de ressusciter après les répercussions de la pandémie
« Une fois l’émail passe dessus, l’objet retourne au four pour subir la même température et en sortir fin prêt à la consommation. Selon Fatima, adieu les fours traditionnels ! Des fours à gaz sont là pour nous faciliter la tâche».

Où est passé le client, alors ? «La pandémie de Covid-19 l’a empêché de prendre contact direct avec nous, s’exclame M’hamed Touil, arrêtant son tour et pointant ses deux index vers le ciel, implorant le Tout-Puissant d’éradiquer à tout jamais ce fléau !»

« Nous avons supporté durement et avec résignation cette pénible période, reprend Fatima sans mâcher ses mots. Ce secteur souffre beaucoup du manque de soutien, moral et financier. Nous aurions bien aimé percevoir ces deux mille dirhams comme beaucoup d’entre nous, mais louange à Dieu, nous voilà encore en vie ! Dieu est omnipotent ! », conclut Fatima Asfi.

Bouchaïb Rasta, Fatima Asfi et M’hamed Touil n’ont pas caché leur joie du fait que nous leur avons rendu visite sans être invités et que nous étions tout ouïe sans prétention aucune.

Abdelkrim Mouhoub


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