Les pérégrinations d’un nom de famille


M.J
Mercredi 12 Mars 2014

Les pérégrinations d’un nom de famille
Avant ma retraite administrative, j’ai travaillé comme journaliste-reporter à la RTM, puis je me suis spécialisé dans la communication comme attaché de presse pendant une vingtaine d’années. Un jour, le directeur de l’établissement où j’exerçais me demanda si Abdelhamid Jmahri, directeur du quotidien Al Itihad Ichtiraki, était mon frère. Je lui ai répondu que si on partageait le même nom, le même métier et la même nationalité, malheureusement on n’était pas de la même famille. Mais qui sait ?
Jusqu’au début des années 1980, j’avais toujours cru que mon nom de famille, qu’on porte depuis déjà deux siècles, était limité à nous. En fait, mes trois grands-pères successifs Haj Jilali, Haj Ahmed et Haj Taieb qui furent «Raïs», c’est-à-dire maîtres marins au port d’El Jadida, ont porté  ce patronyme de façon continue. Le port d’El Jadida fut leur univers où ils exercèrent leur métier avec bonheur, heureux comme des poissons dans l’eau. C’est dire combien ma famille fut toujours liée à la cité d’El Jadida depuis sa reconstruction, soit depuis l’ouverture de son port au commerce international dans les années 1820. 
Originaires de la proche région d’El Jadida, les ouled Rafaë, tribu arabe qui a donné un érudit connu : le fqih M’hammed Rafy (1884-1941), mes aïeux ont d’abord, au temps de l’anarchie (siba), déménagé à Azemmour. Dans cette cité ancienne, la famille a fait souche au XVIIIème siècle avant de regagner El Jadida à l’appel du sultan Moulay Slimane (1792-1822). Pour dynamiser le port, ce sultan peupla la cité naissante d’une population d’Azemmour, les tribus des Ouled Hassine et des Ouled Douib ainsi que d’une minorité juive. 
Le nom de famille «Jmahri» a connu des mutations successives. Au temps du règne du sultan Hassan Ier (1873-1894), il était prononcé «Joumhour», littéralement «Foule». D’après les témoignages d’anciens de la famille, il existe deux versions quant à l’origine du nom. La première veut que le grand-père paternel lors de sa présentation d’allégeance «beïa» au sultan, s’entourât d’un grand nombre d’accompagnateurs c’est-à-dire d’un «Joumhour». La seconde affirme qu’un jour, en voulant descendre au port, un dignitaire du gouvernement monté sur une petite barque, était tombé à l’eau avec son assistant. Sur ces entrefaites, Haj Taïeb Jmahri et ses fils se dépêchèrent pour les sauver. Les témoignages disent que ce grand-père coupa le bas de sa jellaba pour nager à l’aise. Il pût ainsi sauver les deux personnalités. Une foule immense suivit la scène depuis le rivage. Les gens disaient : «Joumhour wach men Joumhour » (Foule et quelle foule !). Dans d’anciens documents adoulaires, le nom est écrit «Jamaher» ou «Joumaher». Dans la langue arabe, selon le dictionnaire Lissane al-Arab, ce mot signifie «une personne épaisse» comme il peut signifier «le noble d’une communauté». A la fin du XIXème siècle, le nom reçut sa prononciation actuelle «Jmahri». En 1950, le nom fut inscrit comme tel sur le registre de l’état civil.
Un jour, avec mon frère Rachid, nous avons appris que quelques autres familles au Maroc notamment à Oujda, Casablanca et Marrakech  portaient le même nom que nous. On ne pouvait donc prétendre à l’exclusivité. Sommes-nous issus d’une même tribu d’Arabie ? Posant la question à mon père, nous avons recueilli son hypothèse. Au XIXème siècle, ses oncles faisaient le pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam en caravane. Ils passaient par le Maroc oriental, puis par les territoires algériens et libyens et ensuite ils prenaient le bateau à Alexandrie pour la Mecque. Le périple, aller et retour, pouvait durer deux ou trois ans. Certains de ses oncles n’étaient pas revenus. Sans doute, avaient-ils, pour une raison ou une autre, choisi de s’établir là où ils se trouvaient. 
L’histoire des noms au Maroc est un vaste chantier de réflexion et d’investigation surtout que les familles n’ont pas accumulé de traditions écrites et d’arbres généalogiques.
 


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