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Dans la région de l’Afrique du Nord, la presse ne fait pas exception. Les migrants et les associations ainsi que les institutions œuvrant dans le domaine de la migration estiment que les médias sont indifférents aux difficultés des migrants, et incapables de prendre en considération la complexité des questions liées à la migration. Qu’en est-il de ces accusations? Que peut-on dire du traitement médiatique de la question migratoire dans les pays de cette région? Comment la presse nationale traite-t-elle ce sujet? Sombre-t-elle dans un discours partial et indifférent ou est-elle plutôt objective et professionnelle? C’est à ces questions et à tant d’autres que le panel migration et médias, tenu dans le cadre de la Conférence internationale sur la migration, organisé du 7 au 10 septembre à Rabat, a tenté d’apporter des réponses ou du moins de débuts réponses.
Evoquant l’expérience tunisienne en matière de traitement médiatique de la question migratoire, l'ex directeur général de l'Observatoire national de la migration, Ali Belhadj, qui est également enseignant universitaire à l'université de Carthaginois, a indiqué qu’au niveau du continent, les médias tunisiens utilisent généralement des articles d'information, des commentaires et des articles d'opinion pour parler de la migration, avec une couverture régulière des différentes communautés étrangères en Tunisie, et en particulier des Tunisiens qui tentent d'émigrer. L'accent est mis sur les naufrages, les difficultés et les conditions de vie.
Il a relevé que la couverture médiatique de la diaspora tunisienne s'efface devant l'actualité plus dramatique et s'articule autour d'événements ponctuels et saisonniers tout en précisant que le genre "histoire de migration" décrivant les expériences de vie des migrants n'est pas particulièrement courant dans les médias tunisiens, à l'exception de quelques articles qui présentent des Syriens en Tunisie, ou qui relatent la scolarisation d'enfants syriens et subsahariens dans les écoles tunisiennes.
Ali BelhadjL’intervenant a, par ailleurs, constaté quelques lacunes dans ce traitement. Il a observé une utilisation indifférenciée des termes et des concepts en lien avec la question migratoire et un traitement émotif de la question. «Les termes utilisés par les journalistes pour parler de la question de la migration ne sont pas toujours cohérents. Il existe plusieurs exemples de terminologie incohérente dans différents médias mais aussi au sein d'un même média », souligne-t-il. Et d’ajouter : «Certains journalistes qui traitent de la question ont du mal à gérer leurs émotions. Cela peut être observé dans leur couverture des naufrages ou lorsqu'ils traitent de sujets sur les communautés étrangères établies en Tunisie. Dans certains cas, leurs positions sont négatives, voire ouvertement racistes. Ils véhiculent des images stéréotypées des migrants, fondées sur l'exclusion des autres ».
La question de la migration n 'est pas traitée de manière approfondie et objective par l'ensemble des journalistes en Tunisie
En conséquence, précise-t-il, "la question de la migration n'est pas traitée de manière approfondie et objective par l'ensemble des journalistes en Tunisie. Elle se limite généralement à l'information. « Les histoires sur les migrants n'ont pas modifié la façon dont les médias rendent compte de l'expérience de vie quotidienne des différents groupes. Le fait que les journalistes aient leur manière singulière de concevoir les histoires en fonction de leur vision individuelle, de leurs croyances et de leurs affiliations avec les communautés de migrants, affecte la qualité de leur travail », a-t-il expliqué. Et d’affirmer qu’« il n'est pas surprenant qu'en raison de ces facteurs, il y ait souvent un manque d'objectivité dans le traitement des questions liées à la migration, ce qui peut expliquer la faible réaction du public des médias aux défis de la crise migratoire.
Ali Belhadj soutient que la question du traitement médiatique de la migration est liée également aux conditions de travail des journalistes. A ce propos, il a noté la désaffection des rédacteurs en chef dont certains ne cherchent que des intérêts commerciaux et politiques. «Certains minimisent le sujet en optant pour des brèves sur les migrants et la migration ou publient des articles sur les migrants naufragés dans les pages "Autres nouvelles", d'où la négligence rédactionnelle, l'utilisation d'un vocabulaire stigmatisant et le manque de précision », a-t-il fait remarquer. Et de poursuivre : « Certains mettent en avant les conséquences de la présence de communautés spécifiques (Libyens, Subsahariens, etc.) et leur impact sur l'économie et le niveau de vie des consommateurs. Cela conduit souvent à des messages négatifs, d'exclusion, de racisme et de haine, et à la promotion de stéréotypes profondément ancrés au détriment de ces communautés ».
Le manque de ressources limitées ou la difficulté d’y accéder est également pointé du doigt (difficulté d’accéder à des données et statistiques fiables, pénurie en compétences spécialisées et formées. Exemple : les photographes intéressés par la question des migrations…). « Confrontés à la fois à des obstacles internes à la rédaction et à des obstacles externes, les journalistes ne savent pas vers qui se tourner. Ils sont mal équipés pour couvrir les questions liées à la migration. Ils sont également pressés par le temps et sous la pression de leurs rédacteurs en chef », a indiqué Ali Belhadj. Et de nuancer : «Il existe toutefois des exemples de bonnes pratiques journalistiques dans les médias alternatifs, qui tentent de traiter la question migratoire de manière objective en présentant un éventail d'intervenants et de points de vue différents ».
De son côté, le chercheur et journaliste spécialiste des questions migratoire et d’asile, Hassan Bentaleb a affirmé que la couverture médiatique de la migration au Maroc dépend souvent des événements. Elle reste occasionnelle et ne fait pas partie de la programmation habituelle des supports médiatiques. Il s’agit en règle générale d’une couverture non proactive et déterminée principalement par les événements, par l’actualité nationale ou internationale, ou par les politiques de communication du gouvernement ou des ONG.
«Cette presse a souvent comme sources les ONG, les ministères via les déclarations et les communiqués, et les dépêches des agences de presse, notamment étrangères, comme l’AFP et EFE », a-t-il estimé tout en soulignant que « la plupart des journalistes qui couvrent ces sujets n’ont pas de formation spécifique en la matière. Il s’agit de journalistes polyvalents qui touchent à tout et qui ont peu d’articles à leur actif concernant le sujet de la migration ».
L’ensemble de ces éléments, soutient-il, à savoir le peu d’intérêt accordé au thème de la migration, les relations passives avec les sources d’information et le manque de journalistes spécialisés, produit, en règle générale, des discours médiatiques trop étriqués, déséquilibrés et souffrant de quatre handicaps.
La première carence a trait à la terminologie d’usage. Les journalistes recourent souvent à des termes qu’ils ne définissent pas précisément et clairement. La deuxième carence à noter est le manque d’un background culturel solide et profond concernant le phénomène migratoire. Peu sont ceux qui maîtrisent les questions relatives aux routes migratoires, à leur histoire, aux législations, aux institutions nationales et internationales chargées de cette question, etc. Les articles ne comportent pas d’informations d’ordre historique, institutionnel, culturel, géographique, politique ou autres susceptibles de traiter le sujet dans toute sa complexité.
La presse se contente souvent de reproduire des discours sans prendre la peine de les analyser ou de les questionner. De fait, on a l’impression que les journalistes se transforment en de simples porte-parole de leurs sources. C’est également le cas des chiffres officiels ou non-officiels concernant la migration, exploités sans être remis en cause.
La troisième carence est celle relative au manque, voire à l’absence, de références aux textes fondamentaux (Déclaration universelle des droits de l’Homme, Pacte international relatif aux droits civils et politiques), ou à d’autres textes spécifiques (sur les réfugiés, les travailleurs migrants, le racisme et la discrimination, les enfants, la torture...).
Quant à la quatrième carence, elle concerne l’absence de dimension internationale dans cette couverture. Il y a un manque d’une vision globale de ce phénomène migratoire, qui dépasse pourtant les frontières du Maroc et qui concerne aussi les pays de départ, de transit et de destination.
En conclusion, Hassan Bentaleb pense que « l’information sur l’immigration au Maroc présente des caractéristiques similaires à celle diffusée dans d’autres pays du pourtour méditerranéen. Partout, on peut observer l’existence d’une presse non spécialisée qui a du mal à traiter ce sujet dans toute sa complexité et sa profondeur. Un état des lieux qui interpelle aujourd’hui sur le rôle et la responsabilité des journalistes, ainsi que sur le respect de la déontologie et de l’éthique journalistiques ».
Mohammed Al-Kazaz, journaliste égyptien spécialiste en migration, a expliqué, pour sa part, que la couverture médiatique en Egypte des questions d'immigration et de migrants ne fait pas exception. Selon lui, la presse traitant ce sujet demeure enfermée dans des approches traditionnelles et conditionnées par les données délivrées par l'Etat. Pire, cette couverture souffre du manque de journalistes professionnels, de ressources financières et d’intérêt pour la question migratoire.
Sur un autre plan, l’intervenant a indiqué que cette question ne fait pas partie des priorités de la presse nationale et qu’il a fallu attendre l’année 2005 pour que ce dossier suscite un grand intérêt dans la presse égyptienne. « Cet intérêt a été dû à la hausse du nombre des noyades de migrants en mer.
Cette attention s’est traduite par la hausse des pages et dossiers qui y ont été consacrés. Cette tendance va durer tout au long de 2007, 2008, 2009 et 2010, et exploser davantage avec l'avènement du soi-disant "printemps arabe"», a-t-il constaté. Et de poursuivre : « Mais, elle sera nettement stoppée à partir de l’année 2017 pour que l'attention des médias soit déplacée vers d'autres préoccupations nationales, régionales et internationales. Seule la question des migrants égyptiens à l’étranger ou ce qu'on appelle dans les médias les «expatriés», reste sujet de débat, mais souvent de la part des médias sociaux ».
Mohamme dAl – KazazSur le contenu du traitement médiatique de la question de l'immigration par la presse égyptienne, l’intervenant a expliqué que cette couverture privilégie l'actualité et le caractère critique, sans chercher à en explorer les aspects et à les analyser, comme un phénomène de société qui nécessite de révéler ses causes et d'essayer de trouver des solutions.
La couverture médiatique en Egypte souffre du manque de journalistes professionnels, de ressources financières et d’intérêt pour la question migratoire
L’intervenant cite, à ce propos, une étude effectuée en 2017 et qui a démontré que cette presse ne donne pas la voix aux migrants eux-mêmes, et qu’elle s’appuie souvent et d’une manière excessive sur des sources d'information officielles uniques. De plus, cette couverture médiatique est souvent biaisée et simplifiée faisant appel à peu de sources insuffisantes et en reproduisant les discours courants. Pis, cette presse néglige de présenter le phénomène de la migration dans toute sa complexité et le considère souvent comme un problème.
H.B