Les Arabes, ces éternels outsiders


Par Nejm-Eddine Mahla
Mardi 21 Juillet 2015

Barack Obama est enfin arrivé à ses fins en faisant des mains et des pieds pour aboutir à un accord sur le nucléaire iranien. Il voulait terminer son deuxième mandat en apothéose et en même temps baliser le terrain au prochain colistier de son parti à l’Investiture suprême : la présidence des Etats-Unis d’Amérique. Les pourparlers n’étaient pas une simple sinécure puisque durant 23 mois d’intenses et  d’interminables discussions se sont déroulées entre les deux parties, USA et ses alliés européens d’un côté et l’Iran de l’autre, avec au juste milieu, la Chine et surtout la Russie qui ne voulait pas rester en laisse d’autant plus que le pays des Ayatollahs est considéré comme faisant partie de ses plus fidèles alliés, ou plutôt entrant, avec l’Empire du juste milieu, dans sa stratégie pour  reprendre sa place de grande puissance. Ce 14 juillet a vu donc la signature de cet accord historique pour reprendre les propos des protagonistes même. Pour les Perses, c’est un triomphe sur toute la ligne et qui confirme leur pays comme puissance régionale incontournable qui va avoir son mot à dire dans tout règlement des conflits en cours (Irak, Syrie, Yémen…). 
Israël, par le truchement de son premier ministre, a crié au scandale, qualifiant cet accord de «faute historique» (sic). Bien sûr pour apaiser la peur de leur protégé, les USA et la France ont imposé des garde-fous dont le plus important étant celui qui fait perdurer l’embargo sur la vente des armes de destruction massive, les fusées balistiques en premier, encore cinq ans pour juger de la bonne volonté des Iraniens. Les éternels outsiders de ce rendez-vous historique comme toujours, ce sont les Arabes, l’Arabie Saoudite en tête. Cette dernière avait fait des mains et des pieds pour que cet accord n’aboutisse pas, peut-être plus qu’Israël. Mais est-elle à la hauteur de la mission et du rôle qu’elle s’est adjugés ? Les rentrées du pétrole et du tourisme religieux sont-elles en mesure de faire basculer la balance de son côté ? Autant de questions qui restent sans réponses pour l’instant. Ce qui est sûr, d’après les spécialistes, l’immixtion de Riad, directement et/ou indirectement dans plusieurs conflits à la fois, ne lui faciliterait guère la tâche. Pire encore, elle est en train de creuser sous ses pieds d’argile. La preuve : le conflit dans l’Arabie heureuse est en passe de devenir un vrai bourbier pour le Royaume wahhabite.
Connaissant l’Iran, ce pays ne resterait pas les bras croisés, il va agir et de plus belle du moment  qu’il va avoir les coudées plus libres dorénavant. Certains observateurs voient dans cet accord un rapprochement inéluctable de l’Arabie saoudite et tenez-vous bien… avec Israël dans un axe qui pourrait regrouper outre ces deux pays, les autres pays du Golfe -exit le  Sultanat d’Oman (1)- et la Jordanie. Pour l’information, tous les pays du Golfe ont une grande minorité chiite quand ce n’est pas une majorité (2).  Une bombe à retardement en perspective et dont le détonateur se trouve à … Téhéran. L’axe qui pourrait se constituer -si ce n’est pas déjà  fait- serait une fuite en avant, une déclaration de guerre. Ces pays, Israël y compris, tableraient sur une déroute des démocrates aux prochaines élections américaines et le retour aux affaires des Républicains qui sont de facto hostiles à tout accord avec les Ayatollahs. Ceci reste des spéculations avant terme, rien de plus. Les plus scéniques y voient le sésame qui va régler la question palestinienne. Le malheur des uns ferait-il le bonheur des laissés-pour-compte que sont les Palestiniens ?
Le  scénario catastrophe verrait les Saoudiens, lestés des Egyptiens (3), s’asseoir à la table des négociations avec les Iraniens sous l’égide des Américains au grand dam de l’Etat hébreu et de la Turquie. Les conséquences directes, seraient le desserrement de l’étau qui tient à l’écart les chiites des pays du Golfe, ce qui changerait les équilibres fragiles dans la région. Passant aux actes, la Turquie et Israël, mettant de côté leurs différends, entament un rapprochement tactique, voire une alliance qui contiendrait tous les pays hostiles à cet accord. L’ennemi de mon ennemi est mon ami. 
De Washington, le président Obama ne cache pas son optimisme, il compare cet accord à ceux déjà signés par son pays avec l’ex-Union Soviétique et qui avaient permis d’éviter une troisième guerre mondiale, autrement la fin du monde. L’Histoire se répète avec les Iraniens, bien sûr, dans une moindre mesure. Dans un clin d’œil aux Iraniens pour montrer sa bonne foi, il a menacé d’imposer son droit de véto au cas où les Républicains feraient des siennes. Mais saura-t-il convaincre ses alliés traditionnels dans la région, Israël et l’Arabie saoudite à leur tête ? Ce ne sont pas les entretiens téléphoniques qui feraient disparaître la panique qui commence déjà à s’emparer d’eux.
Pour sa part, le ministre français des Affaires étrangères, qui était, au tout début des négociations, un farouche opposant à tout accord avec les Iraniens, dans son allocution à sa sortie des pourparlers, parle d’un accord  qui garantirait dix ans de paix au monde et annonce sa visite prochaine au pays des Mollahs. Le vice- chancelier allemand fait une annonce de même type. Il faut dire que bon gré mal gré, l’Iran reste un grand marché à investir (4). Economiquement s’entend. Les cent quarante milliards de dollars iraniens que vont débloquer les banques européennes et américaine font que certains se pourlèchent déjà les babines pour les parts du marché qu’ils vont se partager. Les Iraniens le savaient et en ont profité à l’extrême pendant les négociations. 
Les perdants dans ce tournant historique seront comme toujours les pays arabes qui n’ont pas vu venir les changements sur l’échiquier de la géopolitique, puis les Kurdes qui vont voir leur marge de manœuvre se réduire comme peau de chagrin (5) avec le renforcement de l’axe Iran-Syrie-Irak (6). Quant aux Palestiniens, leur avenir dépendrait du rapprochement des pays arabes avec Israël. Mais accepteraient-ils -je parle des Palestiniens- les quelques miettes que daignerait leur jeter l’Etat hébreu? Auraient-ils d’autres choix avec le schisme où ils vivent depuis des décennies ? Hamas dans tout cela ? L’Iran, toujours lui, et pour redorer son blason sur la scène internationale, commence à se désolidariser et à s’éloigner de cette secte de plus en plus encombrante. S’il y a au moins un point commun qui puisse expliquer ce rapprochement contre-nature entre le grand Satan d’hier et le pays des Mollahs, c’est qu’ils ont, tous les deux, une facilité incomparable à se délester de leurs pions dans la région. 

(1) Parce que à majorité Ibadite, une des branches du chiisme.
(2) Au Koweït, la moitié de la population est chiite, au Bahreïn, les deux tiers. 
(3) Puissance militaire sunnite, le seul contrepoids aux cent millions d’Iraniens.
(4) Une guéguerre se profile déjà à l’horizon concernant la plus grosse part de la tarte iranienne puisque 
cet accord permettra à l’Iran de récupérer plus de 140 milliards de dollars de ses avoirs bloqués dans les banques européennes. 
(5) Comme toujours, les Américains vont se démettre de leur responsabilité quant aux garanties qu’ils ne cessent de donner à leurs alliés conjoncturels. Realpolitik quand tu me tiens !
(6) Parmi les conséquences inéluctables de cet accord, il ya la réhabilitation du régime baathiste alaouite syrien, seul capable militairement de contenir les hordes de Daech sur le terrain, selon les Américains eux-mêmes.
 




 


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