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Le quotidien “Liberté” obligé de disparaître sous un régime qui s ’ingénie à brimer les libertés

Alger se fend d’un énième acte liberticide


Rachid Meftah
Dimanche 10 Avril 2022

Le quotidien francophone algérien «Liberté», obligé de mettre la clef sous le paillasson. Les raisons invoquées par son propriétaire, l’homme d’affaires, Issad Rebrab, sont loin d’être convaincantes. «Liberté est effacé du revers de la main de la place publique. Dramatique. Car, dans quelques jours seulement, les vendeurs de journaux, les lecteurs, les annonceurs, mais aussi les institutions de la république seront orphelins d’un journal qui s’est imposé comme une référence à tout point de vue», a déploré l’éditorial du quotidien.

Réfutant le prétexte des difficultés financières, le collectif de la publication a écrit ne pas saisir «les véritables raisons» qui ont poussé à sa fermeture précisant que «la société éditrice dispose encore de ressources financières suffisantes pour lui permettre de continuer à exister». Aussitôt, l’Union européenne (UE) a réagi en estimant que « la disparition annoncée du quotidien Liberté risque de limiter davantage la liberté d’expression », et en précisant dans une déclaration de sa porte-parole rendue publique à Bruxelles que « l’Union européenne invite l’ensemble des composantes de la société et les autorités algériennes à préserver ces espaces indispensables pour toute démocratie ». La même source a mis en avant « l’importance d’une presse pluraliste pour consolider l’Etat de droit et les libertés fondamentales comme la liberté d’expression »

Dans ce sens, l’Union européenne n’a eu de cesse d’alerter la communauté internationale quant à la dérive sécuritaire et les restrictions imposées par le régime algérien à l’encontre des journalistes et des militants des droits de l’Homme. Il est à rappeler, à ce sujet, que le Parlement européen avait adopté successivement en novembre 2020 et en avril 2021 deux résolutions sur les violations massives des droits de l’Homme en Algérie, les limites imposées par les autorités à la liberté d’expression, l’emprisonnement des journalistes et la répression et l’incarcération des militants du Hirak.

D’ailleurs, la fermeture de ce journal, après 30 ans d’existence, survient dans un contexte difficile et largement déplorable pour la presse algérienne avec de nombreux journalistes poursuivis ou condamnés pour notamment «diffamation» de responsables politiques ou pour motif de publications «tendancieuses» sur les réseaux sociaux. «C’est une voie et une voix de l’expression plurielle qui s’éteignent dans un pays sur la pente de non-pensée unique », a relevé dans une tribune publiée jeudi par Liberté, l’écrivain algérien Kamal Daoud, estimant, par ailleurs, que la fermeture du journal était « la victoire du silence sur la parole et de la violence sur le débat. La victoire du repli, du rejet».

Là-dessus, l’éditorialiste du quotidien Liberté a fustigé avec grande amertume la décision de cette fermeture brutale et a estimé qu’il s’agit d’un «véritable cataclysme médiatique que nul n’a vu venir après trente ans de lutte et d’existence». «Ceux qui pensent que nous sommes un journal qui dérange et qui mérite sa mort peuvent nous supporter encore une petite semaine. Ils pourront ensuite – dormir- tranquilles. Mais qu’ils sachent que l’Algérie ne peut pas se réjouir d’une telle fin. Parce que la disparition d’un journal est souvent suivie de la naissance d’un démon », met-il en garde. A cet égard, pour sa part, le vice-président de la Ligne algérienne des droits de l’Homme, Saïd Salhi, a souligné que « Liberté paie aujourd’hui pour sa ligne éditoriale ».

« Quant à nous, les militants, dans ces moments, témoins impuissants de cette énième attaque dans le dos et contre nos acquis, nous sommes tous bouleversés, il ne nous reste que l’indignation », fustige-t-il dans un communiqué rendu public. Il a précisé, en outre, en dénonçant un « pouvoir qui bâillonne la parole et l’opinion libres», qu’en tant qu’allié objectif du système dans sa mission de mise à mort des voix discordantes et de la presse libre, le propriétaire de Liberté a choisi de sortir de l’histoire et désormais, il fait partie du passé ». De son côté, le président du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), Mohcine Belabbas, a vivement fustigé la décision de Rebrab de fermer le quotidien, la qualifiant d’offrande faite au pouvoir pour l’amener à réviser un certain nombre de mesures économiques contraignantes pour son Groupe Cevital.

De même que, joint à ce vaste mouvement d’indignation et de protestation, un collectif d’intellectuels, d’universitaires, de chercheurs et d’artistes algériens qui se sont dits « inquiets » du sort réservé au journal Liberté, ont exprimé leur profond attachement au pluralisme médiatique, soulignant qu’ils ne peuvent pas rester insensibles au risque de la disparition d’un titre qui porte la voix plurielle de l’Algérie.

Cette décision incompréhensible et brutale est un énième coup dur asséné indirectement par la junte au pouvoir en Algérie au monde des médias et de communication, d’autant plus que le journal « Liberté », l’un des plus anciens et les plus lus des journaux algériens, a été créé dès le début de l’expérience du pluralisme médiatique et son premier numéro a été publié, au plus fort de la décennie noire, le 27 juin 1992.

Le quotidien, au fur et à mesure de son épanouissement, s’est appuyé sur une approche progressiste et a adopté une ligne moderniste, ouverte et critique, ce qui n’a pas manqué de lui attirer la foudre de l’autoritarisme politico-militaire fixant les règles et les « limites » des droits humains et en particulier la liberté d’expression.

Par ailleurs, cette décision n’affecte pas seulement les journalistes, employés et personnels techniques de la publication mais aussi les lecteurs et plus généralement les Algériens, au vu du rayonnement assuré par le journal « Liberté », qui demeure l’un des rares médias en Algérie, se caractérisant par la qualité de son contenu, le professionnalisme de ses équipes, leur observation de l’éthique et la déontologie de la profession et leur ténacité et persévérance pour parvenir à recevoir et donner une information correcte, objective et significative. C’est un acte déplorable qui interpelle la société civile mondiale, les ONG à vocation humaine s’activant et militant pour la promotion des libertés fondamentales, dont essentiellement celle d’expression et d’opinion … mais aussi tout un chacun.

Rachid Meftah


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