Le patrimoine au service du territoire


Libé
Lundi 10 Octobre 2011

L’engouement actuel pour le patrimoine pousse à approfondir cette notion largement mobilisée dans le cadre des diagnostics de territoire. A ce sujet, nombre d’interrogations se font jour.
De quoi parlent les acteurs quand ils mobilisent la notion de patrimoine pour initier un projet territorial ? Quel est le rôle du patrimoine dans la construction territoriale ? S’agit-il de mettre en avant les spécificités d’un territoire dans l’optique de la valorisation de ses potentialités, d’initier un mouvement collectif, d’encourager une mobilisation autour du thème sensé être fédérateur, de faire appel à des ressorts plus profonds qui relèveraient du rapport intrinsèque de l’homme au territoire ?Le recours au patrimoine engendre-t-il des pratiques, des comportements et des stratégies particulières ? Constitue-t-il un facilitateur dans le processus de construction territoriale ? Est-il objet de consensus ou de conflit ?
Pour la géographie culturelle le territoire fait lien entre les hommes et il possède une valeur identitaire essentielle aux sociétés. Le patrimoine revêt une utilité de légitimation territoriale. Il balise le territoire, lui donne une réalité, construit du sens. Le patrimoine peut constituer un levier de développement territorial. À travers les projets et actions à dominante patrimoniale mis en place sur et pour les territoires, on peut dégager un certain nombre de configurations-types qui permettent de définir les organisations spatiales privilégiées (Bonerandi, 2005).
Le territoire est considéré comme le lieu fondateur des identités locales et le ressort secret de leur survie. Il est d’abord une valeur, c’est l’écoumène au sens que lui donne Augustin Berque pour qui la relation de l’humanité à l’étendue terrestre est “par nature quelque chose d’éthique” (Berque, 1996).
L’homme a besoin d’appartenance. Le territoire culturel se définit comme une forme d’enracinement et d’attachement aux lieux, selon un principe culturel d’identification. La construction territoriale relève alors non seulement des actions matérielles, mais aussi des discours, des valeurs et des mythes qu’elle renferme. Les hommes ne construisent pas uniquement leur environnement dans un but matériel, mais pour s’offrir une image d’eux-mêmes, prendre conscience de ce qu’ils partagent et éprouver le rapport à l’autre (Bonerandi, 2005).
Bien plus que support, le territoire, à la fois lieu et lien, est un constructeur d’identité. Selon Paul Claval, il ne peut y avoir d’identité sans référent spatial, réel ou imaginaire (Claval, 1996).
Face à l’ouverture grandissante des sociétés et des économies, relayée par des modes de communication et d’échange de plus en plus performants, rapides et généralisés, on aurait tendance à s’attendre à un effacement des identités traditionnelles, et donc d’une certaine dimension culturelle dévolue au territoire. En fait, rien de tel ! Le lien territorial se maintient dans sa dimension éthique, car sa nature est ailleurs (Bonerandi, 2005). En outre, la transformation contemporaine des sentiments d’identité a des répercussions sur la territorialité. Elle entraîne une réaffirmation des formes symboliques d’identification, comme en témoignent le sens retrouvé de la fête (Di Méo, 2001), l’attention portée aux lieux et aux hauts-lieux (Debarbieux, 1995), ainsi que l’engouement pour le patrimoine (Claval, ibid), mais aussi pour les affirmations identitaires conflictuelles.
Si l’on définit le patrimoine comme “ce qui est censé mériter d’être transmis du passé, pour trouver une valeur dans le présent” (Lazzarotti, 2003), on se doit d’ajouter qu’outre le la relation passé-présent, il permet également de se projeter dans l’avenir par les projets de valorisation qu’il sous-tend. Le patrimoine peut ainsi être défini comme “un ensemble d’attributs, de représentations et de pratiques fixé sur un objet non contemporain (chose, œuvre, idée, témoignage, bâtiment, site, paysage, pratique) dont est décrété collectivement l’importance présente intrinsèque (ce en quoi cet objet est représentatif d’une histoire légitime des objets de société) et extrinsèque (ce en quoi cet objet recèle des valeurs supports d’une mémoire collective), qui exige qu’on le conserve et le transmette” (Lazzarotti, ibid.). Non seulement, il donne une identité au territoire, mais bien plus il le légitime comme territoire (Micoud, 1999). Ainsi entre patrimoine et territoire se dégage ce que le géographe Guy Di Méo nomme une “parenté conceptuelle” (Di Méo, 1994) au sens où la démarche patrimoniale consiste à construire une image forte et simplifiée d’un passé commun à un groupe. Cette image se doit d’assurer la cohésion des membres du groupe dans le temps (en renforçant la liaison passé-présent-avenir et la fonction de transmission) et dans l’espace (en structurant durablement un territoire) (Bonerandi, 2005). Le patrimoine est envisagé ici en qualité de producteur de sens et d’identité territoriale (Garat, Gravari-Barbas, Veschambre, 2001).
Le patrimoine constitue alors une valeur ajoutée du territoire, une ressource territoriale. La désignation d’un territoire par la simple présence d’éléments patrimoniaux est indigente, si le patrimoine ne renvoie pas à une dimension prospective (Bonerandi, 2005).
le recours au patrimoine permet de soulever des enjeux de développement car l’objet patrimonial renvoie généralement à un contexte socio-économique fragile. Le patrimoine doit servir de levier actif, en ce sens qu’il doit servir de passeur pour envisager un avenir. À ce titre, il convient d’éviter toute muséification patrimoniale qui chercherait à idéaliser un âge d’or pour mieux faire ressortir le malaise du présent et le trou noir de l’avenir.
Les enjeux, s’ils sont culturels (assurer la transmission d’une identité collective) sont aussi d’ordre économique : comment le patrimoine peut servir de levier de développement ? Sans réduire le développement à sa seule expression économique, le recours au patrimoine permet parfois de passer le gué vers un nouveau modèle de développement. On connaît ainsi des territoires qui ont vendu leur savoir-faire “ancestral” dans le textile pour développer des centres d’ingénierie dans le domaine des nouvelles fibres et ainsi créer des emplois (Bonerandi, 2005). La valorisation touristique du patrimoine peut fréquemment conduire à un redémarrage socio-économique et à de nouvelles configurations spatiales pour le territoire (Lazzarotti, 2003b).
Le patrimoine peut être défini comme un objet intermédiaire par le simple fait que son évocation réussit à faire réagir, à rassembler et éventuellement à fédérer. Mais il convient ici de pointer le danger de l’amateurisme si l’on s’en tient uniquement à des types d’acteurs, plus ou moins organisés et reconnus officiellement (Bonerandi, 2005). Si le projet de territoire est l’affaire de tous, il passe nécessairement par une prise en charge par les acteurs de la sphère décisionnelle à quelque niveau qu’ils se trouvent, à commencer par les élus, issus du suffrage universel et représentants de la population. Mais nous ouvrons là le champ de la confrontation entre démocratie participative versus démocratie élective qui est un autre débat.
Par Hassan FAOUZI
Docteur en géographie, environnement, aménagement de l’espace et paysages - Université Nancy 2, France - GEOFAO, Bureau d’études et d’ingénierie, Agadir


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1.Posté par El adnani souhail le 14/10/2011 19:45
Le patrimoine est l'héritage de la terre où il est considéré comme un point important dans la mise en place de projets peuvent augmenter le niveau de cette terre.

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