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La grande ambition de Belkhayat et ses équipes est d’élaborer une stratégie nationale multisectorielle intégrée de la jeunesse. Un projet conduit tambour battant, décliné en 4 phases qui vont du cadrage de l’étude sur les jeunes, au diagnostic et l’état des lieux à travers des forums organisés dans les 16 régions, en passant par les assises nationales de la jeunesse et enfin l’élaboration de la Charte nationale d’engagement pour la jeunesse.
Sur papier, la stratégie vaut son pesant d’or. Le concept est très «com’», professionnel comme seules peuvent l’être les boîtes spécialisées sur l’axe Casa-Casa et forcément il séduit. Des grands mots se bousculent. On y parle de «périmètre d’étude et de la maille d’analyse pertinents», de «benchmarking international» d’«affinement du cadre logique stratégique». Visiblement, la stratégie nationale intégrée pour la jeunesse est non seulement ambitieuse -4000 jeunes seront rencontrés dans le cadre des forums régionaux qu’organise dans ce cadre le ministère de la Jeunesse et des Sports- mais elle est aussi intelligente.
Le successeur de la championne olympique Nawal Moutawakil est un pro. Un féru d’études aussi, tant il est vrai qu’on ne décide de rien sans diagnostic «scientifique», sans sondages, sans questionnaires dûment remplis.
Alors, depuis plusieurs semaines, un questionnaire est distribué aux jeunes qui participent à ces forums régionaux. 47 questions en arabe à choix multiples où le jeune Marocain est interrogé sur ses études, son école, sa santé, ses loisirs, ses activités parascolaires, le métier qu’il veut faire plus tard, etc, etc. Noyées dans le sondage, une panoplie de questions sur la religion laisse stupéfait. A la 21ème question, la couleur est en effet annoncée. «De quelle religion es-tu ?». Quatre réponses sont proposées au jeune interviewé qui est invité à cocher la bonne réponse : musulman, chrétien juif ou autres. En ces temps de chasse au prosélytisme, la question prête à sourire… jaune.
Soit M. Belkhayat ne sait pas que quelques chrétiens ont été expulsés récemment du Maroc sous l’accusation de «christinisation» de jeunes enfants marocains de Ain Leuh, soit il n’a pas relu le questionnaire distribué par son ministère.
La 22ème question se fait plus précise. Le sondeur veut savoir si le jeune qui répond aux questions du sondage fait le Ramadan. Quatre réponses lui sont proposées. «Tous les ans», «toujours», «parfois» et «jamais». L’actualité, encore elle, nous renvoie inévitablement aux jeunes objecteurs de conscience du «mouvement mali», qui avait tenté, au cours du mois de Ramadan dernier, de rompre le jeûne en public au nom des libertés individuelles. On imagine mal le ministre Belkhayat avoir oublié cet épisode qui avait fait débat au Maroc. Les jeunes Marocains observent-ils le Ramadan et avec quelle régularité relève d’une question personnelle autant que la religion. Imaginons que ce même jeune ne respecte pas le rite du jeûne et qu’il ait embrassé le christianisme. C’est un sérieux problème qui se posera alors à ce responsable gouvernemental. En informera-t-il son collègue de l’Intérieur ? En touchera-t-il un mot au ministre de la Justice ? Le fera-t-il savoir au ministre du Culte ?
Mesurer le degré de religiosité de jeunes Marocains
Revenons au questionnaire qui porte le très officiel logo du ministère de la Jeunesse et des Sports. La 23ème question est relative à la fréquentation de la mosquée. «Te rends-tu à la mosquée ?». Même technique des choix multiples : «tous les jours», «plusieurs fois par semaine», «plusieurs fois par mois», «plusieurs fois par an», «jamais». La 24ème question enfonce le clou. «Accomplis-tu les 5 prières de la journée?». Le jeune questionné a choix entre quatre réponses : «tous les jours», «plusieurs fois par semaine», «parfois», «jamais». Le département de la jeunesse et des sports veut à l’évidence mesurer le degré de religiosité des jeunes de ce pays. A l’américaine, bien sûr. La dernière question de ce volet consacré à la religion est un modèle d’anthologie. «Où as-tu appris la religion ?». La question interpelle. Forcément, le jeune ne peut que se sentir coupable. Mais le gentil interviewer –au Club Med’ on dit G.O- lui donne 5 réponses et une chance sur cinq de s’en sortir. «Dans une école coranique», «à l’école», «à la mosquée», «à la maison», «autre».
Cochez la bonne réponse, cherchez l’erreur aussi. Ici l’erreur est quelque part au gouvernement. Une stratégie nationale intégrée et multisectorielle dédiée à la jeunesse n’a d’intérêt que si elle prend en considération les réalités, les vraies, des jeunes de ce pays. Il ne s’agit surtout pas de se tromper de méthodes et encore moins de tomber dans le piège du copier-coller des bureaux d’études.
La question de la religion est bien sûr importante et ne saurait se suffire de cette insoutenable légèreté. Mais attention, elle ne relève ni de la vision sécuritaire ni d’un regard venu d’ailleurs qui observe les comportements de jeunes musulmans comme on observerait des souris de laboratoire. Les ministres qui fonctionnent à l’américaine, c’est bien, les ministres qui pensent et réfléchissent à la marocaine, c’est encore mieux dans un pays musulman depuis 14 siècles…