Le cas de la guerre du Rif-1921-1926 : Crimes internationaux et droit des victimes à réparation(2/3)


Par Mustapha Ben Cherif
Mercredi 5 Octobre 2011

3- La thèse : un espace méthodologie  de travail

Monsieur le Président, Messieurs les membres du Jury.
Dans la perspective de la préparation de ce travail, nous avons pris la mesure de  consulter, avec la rigueur nécessaire,  l’important des écrits et archives relatifs à  la guerre du Rif, ainsi qu’une importante documentation portant sur le droit des conflits armés, le droit international public, le droit humanitaire, le droit international pénal  et le droit administratif.
L’approche méthodologique adoptée vise l’examen des faits politiques et socio-économiques du Maroc précolonial et sous protectorat. Elle tend à démontrer que le régime de protectorat institué au Maroc avait ses propres spécificités.  Son  institution  dans la zone  d’influence espagnole,  entreprise épineuse au début,  s’est  réalisée par la force  des armes chimiques déversées lors des combats pour s’assurer le triomphe, longtemps inaccessible, sur la résistance rifaine. L’approche entend présenter les fondements du protectorat, et souligner les particularités  de la révolution rifaine, ses origines et les instances de la jeune «République du Rif «, jusqu’à la reddition de son chef Mohammed Abdelkrim El  Khattabi.
Comme déjà annoncé, l’approche pour laquelle nous avons opté, se veut plus analytique que normative. Elle se propose d’analyser les faits dans leur dynamique, en particulier ceux en rapport avec la  pratique des hommes, des responsables et des Etats, quand il s’agit de la guerre ou d’un conflit armé. A la différence des écrits des juristes utilitaires, le travail soumis à votre appréciation est à la fois descriptif, analytique, et également perspectif ; fondé sur l’observation et l’analyse  des faits dans leur contexte historique  pour pouvoir en déduire des conclusions  personnelles pertinentes, évitant ainsi toute approche réductrice se limitant à la description et l’explication, au lieu de poser les vrais problèmes liés à la guerre du Rif au vu du droit et d’en proposer les solutions persuasives et prospectives. C’est à ce niveau d’ordre méthodologique que réside notamment notre apport et ce qui pourrait, à notre sens, présenter une valeur ajoutée.
Pour atteindre un tel objectif, nous nous sommes posé trois questions fondamentales :  Analyser quoi ? selon quelle approche ? et pour quelles fins ?
Lesquelles interrogations renvoient nécessairement à trois étapes de la recherche :
-Délimitation du domaine de la recherche ;
-Sélection des modalités d’approches adoptées pour l’étude du sujet et retracer les principales définitions qui cadrent le travail ;
- Définition  des objectifs-cibles que l’on souhaite atteindre.
Le sujet de crimes internationaux et droit des victimes à réparation : le cas de la guerre du Rif 1921-1926, est traité en trois points : du protectorat à la guerre du Rif (chapitre préliminaire), les crimes internationaux et le droit des conflits armés ( première partie) et enfin la responsabilité des Etats du fait illicite de guerre et le droit des victimes à réparation (deuxième partie).
Dans le chapitre préliminaire, nous avons de manière systématique examiné les caractéristiques de la société marocaine en général, et celles du  Rif en particulier, avant l’institution du régime du protectorat jusqu’à la guerre du Rif (1921-1926).
  Le  plan colonial, mis au point  par la France et l’Espagne, ayant pour objectif essentiel l’occupation de territoires marocains,  n’a pas eu  autant de  succès, du moins dans la zone du Nord du Maroc.   L’Espagne, s’est en effet, avérée incapable de donner, malgré  les guerres déclenchées,  au  traité de  protectorat français,  une réalité  de fait. Sa politique militariste, vouée  toutes les fois à l’échec, a généré une résistance de plus en plus aguerrie et contribué à son ascendant.
 La défaite de l’Espagne à Anoual et ailleurs, fut  très mal vécue par les  autorités  politiques et militaires espagnoles.   Un changement profond fut alors opéré au niveau de la  stratégie militaire se traduisant, par l’abandon de moyens de guerre classique, au profit d’une nouvelle génération d’armes modernes, n’excluant pas les armes chimiques ou gaz toxiques.
Lesquelles armes chimiques, (phosgène  et ypérite ou gaz moutarde), comme prouvé ont été utilisées de manière systématique, durant la guerre du Rif par la France et l’Espagne contre les civils rifains entre 1921 et 1926. Nombreux sont les documents  historiques et militaires  qui en ont fait l’écho.
 Nous avons établi une certaine ressemblance entre les données offertes par l’OMS, relatives aux conséquences des armes chimiques employées lors de la Première Guerre mondiale et celles que présentent l’emploi de l’ypérite et le phosgène durant la guerre du Rif.  J’ai induit d’importantes précisions sur l’impact  que pourrait avoir,  à long terme, l’utilisation d’armes chimiques. A ce niveau, il est fait mention de maladies chroniques causées par l’exposition aux agents chimiques et biologiques ; effets à retardement sur les personnes directement exposées aux agents chimiques et biologiques, création de nouveaux foyers de maladies infectieuses  et d’effets liés à des modifications écologiques 
Selon  les experts de  l’OMS,  les effets, suscitant le  plus  d’inquiétude, résident dans : la cancérogénèse, la tératogenèse et la mutagenèse. Ils ont également soulevé « la fréquence du cancer des voies respiratoires, nettement supérieure à la normale parmi les anciens combattants exposés à l’ypérite lors de la Première Guerre mondiale, un accroissement considérable de la fréquence de  cas, atteint par le même type de cancer,  signalé chez les travailleurs de fabriques  d’ypérite pendant la Deuxième Guerre mondiale.
 Nous avons dans la première partie de ce travail, souligné l’importance que représentait le respect du droit des conflits armés lors des hostilités devant les horreurs qu’entraînent les actes guerriers.
Les actes commis par les militaires pour le compte des Etats à l’occasion d’un conflit armé international ou interne sont qualifiés de crimes de guerre et sont parfois aussi  des crimes contre l’humanité. Le crime de guerre n’existe qu’une fois commis dans un conflit armé, international ou interne. Il est aussi un type de crime contre l’humanité, souvent les crimes de guerre se rapprochent de crimes contre l’humanité.
 Il ressort de l’étude abordée que  les crimes du droit international et le droit des conflits armés, le droit international comme le droit interne obligent les Etats à réprimer les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. L’écoulement du temps  n’entraîne pas une quelconque prescription  et ne constitue pas un obstacle pour rendre la  justice pénale ou civile.
Le système répressif international a évolué de façon considérable depuis les années 90  à travers  la création de  juridictions ad-hoc et permanentes, c’est la transition de la ponctualité à la permanence. Il complète les juridictions nationales pour constituer toutes les deux une hétérogénéité des systèmes de par la cœxistence de différentes juridictions: nationales et internationales, offrant aux victimes les possibilités et les opportunités de défendre leurs intérêts dans un espace judiciaire devenu ouvert, par la sélection des juridictions et en présence de juges aptes à exercer leur pouvoir de juridiction. L’histoire du droit et des institutions révèle que la justice pénale internationale a toujours été sélective, en raison de limiter les poursuites aux « gros poissons », c’est-à-dire les grands criminels ou hauts responsables. Par ailleurs, elle vise davantage les personnes que les Etats.
  Dans le cas de la guerre du  Rif, nous avons relevé  d’innombrables violations, telles   les attaques massives, généralisées et disproportionnées sans distinction aucune  entre  objectifs militaires  et  civils constituant des actes fort pertinents s’insérant  dans le cadre  des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.  Commis par des Etats à grande échelle pour des motifs politiques. Les faits reprochés à l’Espagne et à la France  répondent, de ce fait, à la définition du crime de guerre et de crime contre l’humanité. Les bombardements de souks (marchés) et de villages sont des actes constitutifs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.    Les responsables politiques et militaires des deux pays, présumés protecteurs du Maroc, ont violé les règles qui interdisent d’attaquer les civils avec intention, de causer des maux superflus  ou d’attaquer des objectifs non militaires.   Ces actes ont  causé la mort des civils à court terme et sont à l’origine de  la prolifération de  maladies  graves, tels les cancers, conséquence des bombardements chimiques massifs et indiscriminés menés contre les villages et les souks (marchés) d’après l’archive  du service historique de la défense à Paris, que  nous avons pu consulter. Les deux puissances protectrices, par l’emploi des gaz toxiques dans le conflit armé qui s’est déroulé au  Rif entre 1921 et 1926, ont transgressé  les lois et coutumes de la guerre, y compris les Conventions de La Haye de 1899 et 1907, le  Protocole de Genève de 1925 et les règles impératives de droit international ou de jus cogens.     
Il s’agit notamment de  violations graves des lois et coutumes de la guerre applicables aux conflits armés internationaux, tels la Déclaration de La Haye de 1899,  le Règlement figurant en annexe de la Convention IV de La Haye de 1907, et  le Protocole de Genève de 1925.  Nous avons noté que la Commission d’enquête internationale des N-U sur le Darfour, s’est basée sur  l’article 3 de la Convention IV de La Haye de 1907, pour affirmer en 2005 que les violations graves du DIH et des droits humains n’entraînent pas uniquement une responsabilité pénale pour les auteurs, mais aussi une responsabilité pour l’Etat au nom duquel l’acte illicite a été commis.
Il découle du raisonnement envisagé, que le crime international se caractérise  par l’existence d’un dol spécial, il est  commis avec intention et en connaissance de l’attaque lancée par une application de la politique d’un Etat; planifiée et ordonnée par une autorité de droit  ou de fait.    
 Nous avons précisé qu’il résulte de la jurisprudence et de la doctrine, que les controverses  liées aux crimes internationaux sont de trois ordres : elles concernent la compétence universelle,  l’immunité des responsables et l’imprescriptibilité.  
 Comme vous pouvez le constater, la seconde partie est consacrée à l’étude des mutations du processus de la responsabilité internationale des Etats, résultant de la commission d’un fait reconnu internationalement fait illicite : la guerre. La responsabilité de l’Etat ne se conçoit pas sans faits générateurs du dommage, qui est une condition nécessaire de la réparation des conséquences générées par la guerre illicite. La responsabilité d’un Etat peut être recherchée quand il y a un comportement attribuable à cet Etat, d’une part, et que ce comportement constitue un manquement au droit international, d’autre part.  
La pénalisation de la responsabilité de l’Etat n’a pas de place en droit,  principe confirmé dans les travaux de la CD I relatifs aux projets de textes concernant la responsabilité internationale des Etats, commencés en 1954.  
  A la lumière de cette approche, dès  qu’il y a une guerre, il y a inéluctablement, des victimes et des dommages. J’ai évoqué deux systèmes de responsabilités, celui de la responsabilité internationale et celui de la responsabilité administrative, c’est-à-dire, j’ai étudié dans quelles conditions un militaire  qui commet un acte de guerre illicite peut engager la responsabilité administrative et internationale.    
 Nous avons fait observer que les auteurs de crimes internationaux sont, par nature, les Etats ou les organisations paramilitaires, tandis que les victimes, sont les civils et les Etats.     L’ordre de bombardement des souks, des villages et des civils au Rif émanait directement des gouvernements français et espagnol ; ils figuraient comme étant un objectif militaire.
Pour agir internationalement, seuls les Etats ont qualité à saisir la juridiction internationale compétente : la CIJ ; les individus n’y ont pas accès direct. Ils devraient  nécessairement passer par le canal étatique, par l’exercice de la procédure de la protection diplomatique.
    Nous avons également procédé à  l’analyse de la réalité internationale des individus -victimes à partir du droit interne et du droit international, pour  montrer leurs places au sein  des systèmes juridiques, surtout quand il s’agit de crimes relevant du droit international et engageant la responsabilité de l’Etat. La place de l’individu en droit international est floue et mal définie. Comment peut-il se protéger sur la scène internationale ?
Certes, la commission d’un crime international entraîne la responsabilité pénale personnelle d’un dirigeant en exercice ou ayant cessé d’exercer une responsabilité officielle, mais la poursuite pénale des responsables ne peut entraver le droit des victimes à réparation, que l’Etat doit  assumer dans le cadre d’une responsabilité internationale ou dans le cadre de la responsabilité administrative.
Nous avons constaté que pour exercer leurs droits à obtenir justice et réparation, les victimes de la guerre du Rif devraient engager des actions judiciaires contre les Etats (la France et l’Espagne) présumés responsables des atteintes, devant leur propre juridiction administrative ou devant la juridiction internationale (CIJ).  
L’individu victime  pourrait soit  opter pour la saisine de la juridiction administrative, soit que l’Etat endosse  en son nom le mécanisme de la protection diplomatique qui est son droit absolu comme étant une « nationalisation » de la pratique des représailles privées.  
    (A suivre...)


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