Le café des chevaux arnaques


SIBA NOUFISA
Mercredi 15 Août 2012

Le café des chevaux arnaques

 
Rendez vous est pris ce dimanche matin à 10 heures, bien entendu car Si Mohamed qui est un lève-tard, prend tout son temps pour venir et consent à pointer le bout de sa cigarette déjà consumée à moitié à 11 heures 10, GMT cette fois ci. Le temps de commander un petit café « noir » et c’est parti et au galop !
Une chaîne satellitaire « chevaline » aidant, et ça galope, à croupetons sur la selle de sa chaise en bois dur, ça galope, bien attelé sur ses jambes, debout face à l’écran juché haut sur un tréteau pour que les regards suspendus aux sabots des chevaux ne ratent rien de leur course ni de leur chute. Quant au patron du café, que je nommerai par décence, le Café des Equidés, et je ne mets pas en cause, bien entendu, ni les douces juments ni les fougueux étalons, il reste là, derrière son comptoir à guetter son petit monde.
Ah, et que de monde ! Toutes catégories socio-économiques confondues. Quant au mélange des races, quel sacré mélange ! « chevalo-humain ou humano-chevalin ». Equidé en aparté ou quadragénaires en quartet. Des hommes à la dentition chevaline, des bipèdes en survêtement et sabots, des solitaires guettant l’ultime instant d’un cheval qui chevauche, un homme et une femme (mais que fait-elle celle-là dans ce milieu promu à « l’homme qui aimait trop les chevaux ») dont les mains sur un ticket se chevauchent dans une double passion, la première pour l’homme, la seconde pour l’animal. Et le garçon, mal habillé qui scelle avec nous un brin de causette sur les pronostics.
Mais ne nous hasardons pas, comme cela au hasard. Mon ami se lance dans une chevauchée verbale où les numéros pairs et impairs vont en randonnée, où les combinaisons de chiffres sont étudiées presque scientifiquement à en perdre le boire et le manger, et parfois même le sommeil. Quant à la bourse !! de quoi rebrousser chemin vers d’autres équidés plus tranquilles qui portent leur bâts en patience et pour lesquels aucun turfiste ne s’intéresse. Mais ne passons pas du coq à l’âne. Restons chevaleresques !  
Soudain, une détonation retentit. Je me retourne surprise vers la porte. Le patron est seul à s’esclaffer de ma surprise. Pour lui, je suis un nouveau poulain, pas encore habitué. Je regarde les autres. Tous sont attirés religieusement vers l’écran cathodique. La chevauchée a commencé. Quinze partants pour la course. Les jockeys sont debout, les spectateurs dans l’hippodrome sont debout, les chaises commencent à se renverser dans la salle, tout le monde se lève au passage des chevaux sur l’écran et ça défile rapidement : « Ecrin de nacre », grand favori, défile en tête « du troupeau », derrière ses sabots, on voit « Epine dorsale » qui manque de faire tomber à la renverse le jockey qui le ou (la) monte.
Derrière cet attelage hermaphrodite, s’attelle à les dépasser au grand galop le numéro 16. Renseignement pris, ce numéro 16 s’avère être un cheval inconnu des pistes. Pas favori pour une crotte … …. /…  Loin des pistes et les naseaux écumant de colère, je veux dire les narines, mon ami se mord les doigts. Diable de cheval à la traîne sur lequel il a tant misé, Bon Dieu ! Le langage est blasphématoire, dans la bouche d’un pieu musulman.  Ne faudrait-il pas mettre le mors aux dents, histoire de l’assagir à ce converti à l’appel équestre de la selle et des 4 sabots ? Et pourquoi pas, même une musette ?
Mais trêve de bavardage. Les chevaux essoufflés, cravachés par leurs jockeys respectifs, arrivent en tête de peloton. Les crinières volent aux quatre vents, les sabots font voleter la poussière jusqu’au ciel, les bouches écument, les spectateurs bien que restant simplement debout sont haletants. Leur cigarette se consumant bêtement, faute d’être fumées, leurs cafés refroidissent. Mais qui semble s’en soucier ? Personne. Même le garçon est sorti prendre l’air à l’extérieur. Car celui à l’intérieur est irrespirable.
De la sueur de maçons réveillé et pas encore lavé, alléché par le tiercé dans l’ordre, de l’haleine fétide du couche tard parti se taper une cuite le soir et juste réveillé pour suivre (et pour survivre, l’espoir aidant,) la course où ce qui lui tient lieu d’appât, de l’étudiant en 2ème année de fac qui redouble dans ses études et qui redouble d’efforts pour jouer de nouveau afin de garantir de vieux jours à sa jeunesse et qui trépasse dans la misère, du préposé aux postes qui rêve de se payer le tour du monde derrière son guichet et qui s’habille costume cravate même le dimanche pour parier sur le cheval, le même dont il s’évertue à suivre la course depuis bientôt sept ans et de tant d’autres, réunis ce matin et encore là, ce soir, à prier pour que les chevaux arrivent dans l’ordre, dans le désordre, leur pensées perdues à suivre la croupe d’un cheval, les sabots d’un cheval, le hennissement d’un cheval.
Le chroniqueur s’époumone à égrener les chevaux par ordre d’arrivée, Rio De Noga est chef de file, en seconde position Mirabelle (arrivée sans jockey qui a trop usé de la cravache, bien fait pour lui, ça lui apprendra à maltraiter nos amies les bêtes) et peut être disqualifiée, troisième …… Les halètements s’apaisent. Les déceptions se lisent dans les visages. Si Mohamed est atterré. Sa mine est défaite. « écrin de nacre », joyau réputé de la race chevaline, sur lequel il a misé tant, s’est avéré être « crin de fiacre ».
De quoi frotter toute l’écurie et même, la rage de vaincu aidant, tout l’hippodrome. Les parieurs revenus à leur table, apaisent leur colère en fumant cigarette sur cigarette. Les disputes fusent « je t’avais bien dit qu’il fallait mettre le 11, pourquoi tu m’as recommandé le 8, hein, hein ?  Il est déjà 13 heures, l’heure de déjeuner, semble-t-il au mortel que je suis pour filer au petit trot chercher paille et ripaille.  
 

 


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