Souad Begdouri, a perdu son mari Khammal (avocat) et son fils Taïeb (lycéen) dans l'attentat qui a visé la Casa de España. Elle préside l'Association des victimes du 16 mai à laquelle elle assigne comme objectif de lutter contre l'oubli des morts. Dans un entretien à la presse, elle a déclaré que "nombreux sont ceux parmi nous qui ont perdu le goût de vivre après le 16 mai.
J'ai été si bouleversée par la mort de mon mari Abdelouahed et de mon fils Taieb que j'ai passé une très longue période dans un état de quasi-désespoir total. J'ai fait une dépression nerveuse et ai été suivie par des médecins. D'ailleurs, je ne suis pas encore sortie du tunnel. Je trouve le sommeil grâce aux somnifères et j'ai peur de me retrouver seule. Je me cramponne à ma fille pour trouver en elle l'espoir de vivre et puiser en ses ressources la force de lui donner une vie normale".
"Pas moins de cinquante enfants des victimes ont des difficultés pour financer leurs études, et à cela s'ajoute la situation financière des veuves qui, d'année en année, s'aggrave", a-t-elle déclaré, quelques années plus tard, dans un communiqué de presse.
Après les attentats, chaque famille des victimes décédées a reçu un don de 500.000 DH.
Un footballeur du Raja
Parmi les victimes, on cite Abdellatif Beggar ex-joueur du Raja de Casablanca, du Wydad et du Moghreb de Tétouan. Pétri de qualités, Abdellatif fit toutes ses armes dans l'un des clubs les plus populaires du Royaume, le Raja de Casablanca. A son arrivée chez les juniors, cet enfant de Derb Soltane fut prêté au club du Maghreb de Tétouan.
Quelques mois plus tard, il rejoint son club d'origine, s'impose, très vite comme un meneur de jeu et connaît avec ce club des distinctions en tous genres. A la retraite, il participe à l'entraînement des jeunes.
Un commerçant juif
Dans le registre des victimes, il y a lieu de rappeler également l'assassinat d'un commerçant juif, Albert Rebibo, 55 ans, abattu en pleine rue à Casablanca, le jour de l'anniversaire des attentats du World Trade Center en 2001, soit le 11 septembre 2003.
Plus de 3000 Marocains de confession juive résident encore au Maroc alors que leur présence dans ce pays remonte à l'an 535 avant avant JC et que leur nombre dépassait les 350.000 au début du siècle dernier.
Le calvaire des survivants
Les victimes d'actes terroristes, même sans avoir été blessées, ne se remettent jamais complètement du traumatisme.
Les effets tragiques du terrorisme ne sont pas limités à ceux qui meurent, car le terrorisme réussit, par la destruction de gens à qui nous nous identifions, à détruire l'espoir en l'humanité, en la bonté de l'homme. Certes, cette bonté n'est peut-être qu'une illusion, mais elle constitue une illusion nécessaire à la capacité d'aimer, d'être aimé et de pouvoir établir des relations interpersonnelles saines. En ce sens, le terrorisme est pernicieux, parce que ses témoins, du fait de leur impuissance, sont souvent obligés de se défendre, par la régression, de la menace dépressive.
Menée sur 251 personnes touchées par les attentats de 1995 et 1996, une étude a révélé que plusieurs années après les faits, les victimes souffraient encore de nombreuses séquelles. Audition, vue, apparence physique: 38% des personnes interrogées ont subi une atteinte sévère. Les conséquences psychologiques sont également lourdes: plus du tiers des victimes consommaient des calmants et des antidépresseurs au moment de l'étude, et ce malgré l'amélioration de la prise en charge et même si elles n'avaient pas été physiquement blessées.
Dans cette étude, 70% des victimes ont des maux de tête, plus de la moitié des vertiges et près de 20% des troubles de vue. Les douleurs sont fréquentes et un quart des victimes recourt régulièrement à des traitements lourds.
Les 35 miraculés des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca meurent à petit feu: durement touchés dans leur chair, ils ont perdu leur emploi et n'ont reçu aucune indemnité de l'État.
"C'est gravé dans ma mémoire. Il était 21h50. Les clients jouaient au bingo, quand deux fortes détonations m'ont soulevé du comptoir pour me propulser 20 mètres plus loin. Il y avait des cadavres partout, et moi j'ai perdu l'usage de mes deux jambes", raconte à l'AFP Mohamed Mehdaoui, 53 ans, ancien serveur du restaurant "La Casa de España", aujourd'hui sur une chaise roulante.
"Franchement, j'aurais préféré mourir sur le coup comme mes clients; aujourd'hui je suis réduit à mendier et nous sommes cinq dans la famille", dit-il. Pourtant, selon lui, l'État s'était engagé à indemniser les victimes de ce funeste jour.
Ne voyant rien venir, le 16 mai 2007, les mutilés ont organisé un sit-in devant le restaurant espagnol. Sans résultat. Mesbah Fiyach, un responsable de l'Association des victimes des attentats de Casablanca, qui a perdu l'œil gauche, constate amèrement que "malgré ses promesses, l'Etat n'a toujours pas indemnisé la trentaine de blessés graves".
Lors de l'explosion, Fiyach sirotait son café en compagnie d'Aziz El Ansari, un commerçant de 48 ans: "Nous vivons dans un total dénuement après avoir perdu nos emplois car qui va nous faire travailler avec nos handicaps", déplore cet ancien représentant de commerce. Il affirme que son association a écrit à plusieurs reprises aux autorités, mais en vain. Seules les veuves des 33 Marocains décédés dans les attentats ont reçu des dons.
El Ansari sursaute en entendant un panneau publicitaire s'écraser sur le sol à cause du vent. "Ce genre de bruit me rend malade: cela me rappelle ce tragique soir. Pendant le Ramadan, le son du canon annonçant le début du jeûne à l'aube est un vrai calvaire", dit-il.
Autrefois femme de ménage dans ce même restaurant, Aïcha Chakour, 34 ans, montre sa chair meurtrie par les clous que les terroristes avaient mélangé aux explosifs. "Avec mon travail, je subvenais aux besoins de mes vieux parents; maintenant je suis réduite à des expédients", assure-t-elle.
Gérant de "La Casa de España" en 2003, Mhamed Mahboub a subi sept opérations chirurgicales de la mâchoire. "Les autorités sont sourdes aux plaintes des victimes du 16 mai", dit-il résigné.
" C'était une guerre. Ce jour-là, j'ai vu l'enfer", disait Hakim Gardaoui, un fonctionnaire, né en 1960. Ce soir, il dînait à La Casa Espana avec six autres amis, dont Abdellatif Beggar, quand les explosions l'ont projeté à plusieurs mètres de la table. Trois jours après, il se réveille à l'hôpital et apprend que presque tout son groupe a péri dans l'attentat.
"Je me demande toujours comment j'ai pu, moi et un ami, échapper à la mort", dit-il.
Au temps des interrogations succède la dure réalité. "Après soixante jours d'hospitalisation et quatre mois de repos, je garde toujours les séquelles de ce drame. Nervosité, diabète et cauchemars sont devenus mon lot quotidien. Ma peau est criblée d'éclats. Les chirurgiens disent qu'il me faut quatre jours successifs d'opérations pour me débarrasser entièrement de ces petits intrus".
Par expérience, on sait que certains effets des bombes sur les personnes sont immédiats, d'autres pas. Ce peut être des troubles organiques au niveau des poumons (surtout sous la forme d'hémorragie ou de déchirures pulmonaires).
On constate aussi des troubles auditifs provenant des déchirures des tympans et des troubles oculaires ayant leur origine dans l'action des corps étrangers projetés dans l'œil. De plus, la projection de matériaux durs ou non (clous, pointes, morceaux de verre, etc.), ajoutés dans le dispositif d'explosion ou occasionnés par la détonation, est susceptible d'effets mécaniques très dommageables (coupures plus ou moins profondes, déchiquetage de membres, etc.). En cas d'explosion dans un immeuble de facture récente, le verre est un élément très meurtrier.
Les victimes d'une bombe ont aussi des troubles nerveux provoqués par les phénomènes de choc (visage très pâle, sudation abondante, pulsation ralentie).
Des commotions cérébrales avec hémorragies méningées et lésions encéphaliques se manifestent encore par des pertes de conscience (de quelques minutes à plusieurs jours) suivies d'un état de panique grave, de tremblement et d'amnésie.
S'il a des conséquences physiques sur les victimes, un attentat à la bombe peut aussi avoir des conséquences psychologiques. La névrose traumatique, occasionnée par un attentat, peut être durable et invalidante. Tout ceci a été observé aussitôt après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca.
Plusieurs blessés sont devenus incapables de réintégrer la vie active et de subvenir aux besoins de leurs familles.