"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : La méthode et l'approche (3)


Libé
Samedi 14 Août 2010

"Le Maroc à l'épreuve du terrorisme" de Aziz Khamliche : La méthode et l'approche (3)
Précisions
Sur le plan de la démarche, des mises au point s'imposent. Elles concernent des précisions à apporter sur le registre définissant le guérilléro, le kamikaze et l'islamiste.
1- A la différence de la guérilla, la stratégie terroriste ne cherche pas à contrôler matériellement un territoire.
Le terrorisme en tant que stratégie ne s'appuie pas sur des "zones libérées" comme étape de consolidation et d'élargissement  de la lutte. Il reste dans le registre de l'influence psychologique et est dénué des éléments matériels de la guérilla.
Sur le plan de la tactique, les guérilleros mènent habituellement des actions militaires en unités de la taille d'une section ou d'une compagnie, parfois même de bataillons et de brigades. Les terroristes, eux, opèrent en très petites unités allant généralement de l'assassin isolé ou de la personne seule qui fabrique et pose un engin explosif de fabrication artisanale à une équipe de preneurs d'otages de cinq personnes.
Aussi, par rapport à la guérilla, le terrorisme est une négation du combat. Il ne s'agit plus de frapper par surprise les éléments d'une armée régulière mais de frapper un adversaire sans armes.
2- Contrairement à une métaphore trop répandue, l'assimilation du terroriste au kamikaze ne fait que rendre la définition encore plus pernicieuse et complexe.
Le kamikaze originel - en réalité le kami-kazé, qui signifie "force de vent"- est un pilote de chasse japonais de la seconde guerre mondiale, engagé directement contre les forces américaines dans le Pacifique entre novembre 1944 et avril 1945. Sa mission consistait à projeter son appareil bourré d'explosifs contre un bâtiment de guerre de l'US Navy. En vérité, une seule et unique similitude rapproche le terroriste islamiste contemporain du kamikaze nippon: la certitude quasi absolue de mourir dans l'opération. Mais deux différences tout à fait essentielles les distinguent par ailleurs.
La première est d'ordre moral. Le kamikaze s'attaquait à des militaires, à des hommes armés, entraînés, équipés, aguerris comme peuvent l'être des soldats en compagne. Au World Trade Center et à Casablanca, n'évoluaient que des civils. Pas même des colons ou occupants - objectifs ou supposés - d'un territoire disputé. Seulement des hommes, des femmes et des enfants ordinaires.
La seconde différence tient à la dimension rationnelle, pragmatique, réaliste de la tactique du kamikaze: décidé par l'état-major d'un Etat en guerre ouverte contre un autre Etat, elle visait à rééquilibrer un rapport de forces militaires, devenu défavorable, par la destruction à "faible" coût humain et militaire du fer de lance de la puissance offensive ennemie, soit les principaux navires américains. Nulle apocalypse ne sous-tendait cette geste, pas de Texte sacré pour la légitimer, point de diatribes racistes, antisémites, antichrétiennes vociférés sur la foi d'une interprétation eschatologique, aucune tentative de participer à une mythique "mère de toutes les batailles" en y impliquant à peu près toute l'humanité; il s'agissait d'une décision cynique et meurtrière, certes, mais d'essence nationaliste et rationnelle à un moment donné d'une confrontation militaire.
Enfin, une différence non moins importante. Le coût varie selon les situations. Un kamikaze japonais coûtait très cher : carburant, formation au pilotage militaire, vecteur de qualité, charge explosive. Un VM (volontaire de la mort) islamiste ne coûte rien au regard des aviateurs japonais.
Quel avantage par rapport à la voiture piégée ? La soudaineté, la surprise, la précision, la capacité de rapprochement de la cible.
Guidé par un homme, le vecteur peut exploser non pas "devant ou à côté" mais "dans". Intervient enfin le facteur psychologique de l'action-martyre que célébreront les partisans tandis que l'adversaire, lui, doit encaisser le choc moral de cette démonstration de volonté absolue.
3- Au terme d'une dangereuse dérive émotionnelle, l'appellation "islamisme", qui occupait au XIXe siècle la place de la référence à "l'islam", a pris, au fil des années, une connotation quasi-criminelle: pour les moins vigilants _ ou pour les plus entreprenants- des médiateurs de ce segment du puzzle humain de la planète, on peut être aujourd'hui "soupçonné d'islamisme" ou être un "islamiste présumé".
Plutôt qu'intégrisme ou fondamentalisme, il y a lieu d'employer, à l'instar de Bruno Etienne, le terme d'"islamisme radical" pour évoquer l'utilisation politique de l'islam à des fins d'hégémonie, notamment par des voies violentes.
Aujourd'hui encore, les islamistes continuent d'être divisés entre une majorité à tendance réformiste, qui cherche à pénétrer le pouvoir plutôt qu'à le renverser, et des forces radicales.
Malgré tout, les ponts entre les ailes extrémistes et modérées sont loin d'être rompus. Souvent, il s'agit plus d'une répartition des rôles que d'un véritable affrontement.
Au fond, l'islamisme est la religiosité des demi-savants, des demi-habiles et des demi-émancipés.
Et ceux-là préfèrent les joies faciles du populisme, de la même façon que ceux qui se sont un peu initiés à la pensée économique, mais luttent contre l'enseignement des mathématiques en économie, parce que toute complexité intellectuelle les offense.
Bien entendu, l'expérience "kamikaze" islamiste prend sa source dans le Moyen-Orient du XIe siècle et non dans le Japon de 1944, tandis que les premières racines dogmatiques auxquelles se réfère l'islamisme radical contemporain prennent corps dans des temps plus anciens encore et, au contraire des Hashashin promus par la légende, ils ne soulèvent aucun doute quant à leur réalité.

Approches

Plusieurs thèses ont tenté d'expliquer le terrorisme et ses causes.
En droit international, le terme "terroriste" apparaît pour la première fois dans deux textes très récents: la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif  (New York, 15 décembre 1997); et la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme (New York, 9 décembre 1999).
Le terrorisme est vu comme un acte de guerre illicite dans la mesure où il s'attaque à la population civile, qui, du moins d'après les règles traditionnelles de la guerre, devait rester en marge d'un conflit dont les acteurs ne sont que les forces armées. Ainsi, il est assimilé à un crime de guerre au sens des principes du Tribunal de Nuremberg (6.B).     
Ceci étant, le matraquage médiatique sur le terrorisme ne devrait pas nous faire oublier que celui-ci a des causes et que dans une grande mesure, elles sont intestines au capitalisme néolibéral globalisé et ne sont souvent pas séparables des agissements irresponsables d'une politique étrangère impériale qui a joué avec du feu et a souvent accepté de pratiquer la violence contre les populations civiles.
"Ces jeunes qui se sont fait sauter avec leurs bombes, ce sont les mêmes que ceux qui embarquent sur les pateras", constate Mounia Bennani Chraibi, politologue à l'Université de Lausanne (Suisse), qui estime qu'il y a chez les terroristes la même frustration, la même désespérance et la même attente d'un "ailleurs" que chez les jeunes qui décident de "griller" - leur expression pour évoquer ce grand saut dans l'inconnu qu'est le choix de l'exil sans un sou, et surtout sans papiers, en sachant qu'au bout du chemin il y aura l'Europe, ou la mort.
Pour l'approche psychologique, le terrorisme serait un cas de névrose traumatique.
"Cette interprétation est fondée sur le postulat que les terroristes ont souffert de traumatismes produisant des effets pathologiques sur la structure de leur personnalité, lesquels, généralement, affectent le moi profond", résume le Dr Ruby. Pour soutenir cette théorie, certains psychanalystes "pensent que le terrorisme est le reflet de sentiments inconscients d'hostilité envers les parents, surtout s'il y a eu maltraitance durant l'enfance ou la période de rébellion adolescente".
Ainsi, Charles Ruby évoque la théorie du philosophe et consultant international en matière de terrorisme Abraham Kaplan (The psychodynamics of terrorism (éd. Pergamon) qui croise les "raisons" et les "causes" du terrorisme en postulant que les "raisons" seraient les "variables sociales qui incitent l'individu à rationaliser son comportement terroriste"; les "causes" résideraient "au plus profond de l'individu lui-même". Les "raisons" incluraient des variables "comme la pauvreté, un gouvernement injuste et des principes du matérialisme dialectique". Les "causes" seraient à rechercher  dans "la psychopathologie de l'assassin", car "les terroristes ont un besoin pathologique de poursuivre des fins absolues".
La personnalité "prédisposée à devenir terroriste est déficiente" et ne possède pas un ego assez fort pour faire face aux difficultés de l'existence en utilisant les codes sociaux habituels. Ayant été lui-même agressé, l'individu traumatisé s'identifie à son agresseur, adopte des solutions agressives devant le stress de la vie et se joint à d'autres personnes ayant des problèmes similaires, dans le but de réparer son estime de soi.
Il semble que l'individu soit impliqué dans le terrorisme "plus en fonction de ses besoins psychologiques qu'en raison du désir d'améliorer la situation sociopolitique des masses", reprend Charles Ruby.  
De son côté, le philosophe allemand, Enzensberger, y voit le prototype du perdant radical.
"Celui qui porte en lui cette violence, dit-il, est extrêmement susceptible, à l'affût de tout ce qui pourrait le blesser. Pour le vexer, il suffit d'un regard ou d'une plaisanterie. Il est incapable de tenir compte des sentiments d'autrui; mais ce qu'il ressent lui-même est sacré.
Lorsque le perdant radical surmonte son isolement, lorsqu'il s'allie à ses semblables, trouvant refuge dans un cercle de perdants, dont il n'attend pas seulement qu'il le comprenne, mais aussi qu'il lui témoigne du respect, c'est alors que se déroule l'énergie destructrice dont il est porteur, lui faisant perdre ses derniers scrupules; un mélange de pulsion de mort et de mégalomanie s'opère, et à son impuissance vient se substituer un sentiment de toute-puissance aux conséquences catastrophiques.


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