La sous-liquidité du secteur bancaire, seule responsable du problème de financement de l’économie marocaine ?


Par Hicham El Moussaoui
Lundi 10 Décembre 2012

La sous-liquidité du secteur bancaire, seule responsable du problème de financement de l’économie marocaine ?
D’après la dernière note de conjoncture publiée par la Banque centrale marocaine (Bank-Al-Maghrib, BAM), le déficit de liquidités des banques ressort à 76 MM DH. Un chiffre qui fait écho aux difficultés de financement rencontrées par les  ménages et les entreprises. Cette aggravation intervient un mois après  la décision du directeur de Bank Al-Maghrib de maintenir le taux directeur à 3%, de baisser le taux des réserves obligatoires à 4%, et de continuer ses avances à 7 jours pour booster la liquidité du système bancaire et partant relancer la machine de crédit.  Le problème de financement de l’économie est-il lié uniquement à la sous-liquidité des banques ?
Il est vrai que depuis juin 2007, le marché interbancaire, sur lequel les banques se prêtent de l’argent, est devenu déficitaire, marquant le début de la sous-liquidité du système bancaire. Une sous-liquidité qui est devenue structurelle en raison de l’aggravation du déficit commercial, le recul des revenus liés aux IDE, aux transferts des MRE et des revenus du tourisme. Ceci, conjugué à un recul des dépôts par rapport aux crédits, en raison des sorties massives d’argent par certains opérateurs craignant les récentes dispositions relatives aux Avis à tiers détenteurs (ATD).
Toutefois, le resserrement du crédit par les banques n’est pas lié principalement au manque de liquidité, mais fondamentalement à la frilosité des banques qui ne veulent pas prendre de risques face à la fragilité des entreprises et à la morosité de la conjoncture. En principe, la baisse déjà du taux directeur en mars dernier devait réduire le coût de refinancement des banques et inciter celles-ci à en faire profiter leur clientèle, créant un cercle vertueux.
Mais au lieu de cela, les banques frileuses préfèrent placer leur argent dans les bons de trésor moins risqués. En témoigne, la décélération du taux d’accroissement du crédit bancaire qui s’est établi à 5,4 % au lieu de 7 % une année auparavant. L’examen du crédit bancaire, fin octobre 2012 par objet économique faisant apparaitre une baisse des crédits à l’équipement de 1% et un ralentissement du taux d’accroissement des crédits immobiliers et ceux de trésorerie passant respectivement à 5,8% et 10,4% contre 11,1% et 13,6% en octobre 2011. La ventilation du crédit bancaire par secteur institutionnel fait ressortir une décélération du rythme d’accroissement des concours alloués au secteur privé de 9% à 4,6%. Les créances nettes des institutions de dépôts sur l‘administration centrale ont marqué une progression de 29,8% contre 22,2%, attribuable à l’accélération du rythme de progression des détentions de bons du Trésor par les autres institutions de dépôts passant de 14,6% en octobre 2011 à 37,6%.
C’est l’exemple typique d’effet d’éviction selon lequel l’État, pour financer son déficit budgétaire, émet des bons de trésor, avec des conditions très avantageuses, ce qui, d’une part, limite le niveau de financement restant aux ménages et aux entreprises, et d’autre part, renchérit le coût de crédit en gonflant la demande sur le marché. Donc quand le directeur Jouhari déclare que la Banque centrale «suit la destination de ses injections de liquidités afin que ces fonds aillent au financement de l’économie et non à des opérations de spéculation, d’achat de bons du Trésor ou de portefeuilles», il est permis d’en douter.
Ainsi, au lieu du cercle vertueux promis on a droit à un cercle vicieux où l’Etat et les banques s’échangent les amabilités : l’État, via la banque centrale, soulage la trésorerie des banques, et celles-ci le lui rendent bien en finançant son déficit. Et il est fort probable que la  baisse du taux de réserves obligatoires, qui va fournir aux banques quelques 7 MM DH supplémentaires ne résoudra pas le problème, car non seulement les fonds supplémentaires sont faibles, mais également parce qu’ils n’iront pas financer l’économie.
Si le recours à l’emprunt à l’international, la diversification des sources de financements et l’optimisation par les banques de l’utilisation de leurs ressources est nécessaire pour améliorer la liquidité des banques, ces mesures restent insuffisantes. Pour un traitement de fond du problème de financement de l’économie marocaine il est impératif d’agir sur deux volets : la sous-liquidité et l’aversion au risque des banques.
Concernant le premier volet, il faudrait résoudre le problème du double déficit budgétaire et commercial et développer la bancarisation pour avoir un meilleur taux de couverture des crédits par les dépôts et assouplir les procédures des ATD. Pour ce qui est du second volet, il faudrait dans la prochaine loi de finances redonner confiance aux entreprises et aux banques en résolvant les distorsions créées par la TVA et par les délais de paiement.
De même, il est indispensable d’inclure des mesures qui donnent de la visibilité aux entrepreneurs, notamment en accélérant les réformes structurelles visant à assainir la gouvernance et à faciliter les affaires, ce qui drainera de nouveaux IDE. Cela est susceptible de réduire l’aversion au risque des banques et les inciterait à financer davantage l’économie. Sans oublier de consolider la concurrence dans le secteur bancaire pour une meilleure mobilisation et canalisation de l’épargne vers les meilleurs investissements productifs.

*Analyste sur www.libreafrique.org et maître de conférences à l’Université Sultan Moulay Slimane.


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