La révolution du jasmin et la place Tahrir vues de Rabat : Des intellectuels marocains sortent de leur silence


Narjis Rerhaye
Jeudi 10 Février 2011

Des intellectuels marocains sortent de leur silence pour exprimer leur solidarité avec le mouvement culturel tunisien et celui égyptien. Ce mardi 8 février, et à l’initiative de l’Union des écrivains du Maroc, la Maison de la poésie et la Coalition des arts et de la culture, ces intellectuels qui sont aussi, il convient de le souligner, des hommes politiques se sont exprimés sur la révolution du jasmin et les manifestants de la place Tahrir. Tour à tour, l’intellectuel, l’homme de presse et ancien ministre istiqlalien, Larbi Messari, l’universitaire proche de l’USFP Kamal Abellatif, le membre dirigeant et idéologue du PAM Habib Belkouche et l’homme de gauche  et ancien député aux couleurs de l’OADP Abdessamad Belkebir ont dit toute leur difficulté à analyser les événements de Tunis et du Caire. « Il est temps de relire Najib Mahfoudh ! » s’exclame Larbi Messari qui ne cache pas sa perplexité face à « ce qui se passe en Egypte ». « Il n’y a visiblement pas de feuille de route. Et une feuille de route ne se fait sûrement pas dans la pression et devant les caméras. On l’a bien vu, on ne dialogue pas avec les foules, muni d’un mégaphone. Ce n’est pas une question de décibels mais d’interlocuteurs. Le danger réside justement  dans l’absence d’interlocuteurs politiques dans une foule qui n’est pas encadrée politiquement ».
L’universitaire Kamal Abdellatif ne voile pas non plus son incapacité à mettre en mots et en concepts les événements tunisien et égyptien. « Entre les morts, les violences, les incendies, les prisonniers qui s’échappent de prison, réalité et mensonges s’emmêlent. Plus que jamais, il faut faire l’éloge de la sérénité ». L’intervenant reconnaîtra avec beaucoup d’honnêteté que toute révolution a ses pans sombres. « Tout n’est pas positif dans ce qui se passe en Egypte, même si c’est la faillite de l’enseignement, la crise de l’emploi, l’étouffement de l’opposition et la répression qui ont largement conduit les citoyens à se mobiliser et à occuper la place de la Liberté. Je ne suis pas sûr non plus  que la révolution du jasmin ait  porté et réalisé tous les rêves des Tunisiens. L’appropriation du projet démocratique doit être au cœur de tout combat politique ».

« L’Histoire ne s’explique pas par facebook »

Un vent de démocratie et de liberté souffle au Maghreb et dans le monde arabe. La chute du régime policier de Ben Ali  en Tunisie et la revendication du départ du Président Moubarak en Egypte se sont faites autour d’un mouvement spontané, loin de tout encadrement et  mobilisation politiques.
C’est le constat que dresse Habib Belkouch, membre fondateur du Parti Authenticité et Modernité. Les nouvelles méthodes de mobilisation, fait-il valoir, sont virtuelles et sans frontières  et ces mouvements spontanés s’imposent comme des interlocuteurs qui ont des revendications. « Il faut bien l’admettre dans ces pays arabes, en bas du tableau en matière de démocratie et de respect des droits de l’Homme, les partis politiques n’ont pas su, pas pu apporter de réponses aux attentes de ces jeunesses. Et ceux qui prédisaient une déferlante islamiste ont eu tout faux. Aussi bien en Tunisie qu’en Egypte, les soulèvements sont le fait d’une jeunesse qui s’est approprié le discours de la démocratie et des droits humains », explique Habib Belkouch, initiateur du Centre de démocratie et des droits de l’Homme.
De facebook à twitter, les réseaux sociaux ont très vite été présentés comme les héros de la révolution du jasmin et des manifestations de la Place Tahrir. Abdessamad Belkebir qui a vécu cinq jours au cœur de la place Tahrir, avec les manifestants égyptiens,  relativise l’assertion. « L’Histoire ne s’explique pas par facebook. Ce sont les hommes et les femmes qui font l’Histoire », dit-il avant de s’inquiéter des manipulations médiatiques d’Al Jazeera. « Il y avait ce qui se passait à la place Tahrir et la révolution des studios de la télévision qatarie  avec un nombre de manifestants qui n’a rien à voir avec la réalité ».
Et le Maroc dans tout cela ? L’interrogation a plané tout au long de ce débat abrité par la Bibliothèque nationale. « Si en Tunisie et en Egypte, les foules ont appelé au changement, ce n’est pas un slogan valable chez nous au Maroc. Par contre, il est urgent aujourd’hui pour nous de remettre le train du changement sur les rails. Des chantiers doivent quitter la salle d’attente : la régionalisation élargie, la réforme de la justice, les réformes constitutionnelles et politiques, le code de la presse, etc. Le Maroc a un ordre du jour qu’il doit terminer », soutient l’Istiqlalien Larbi Messari. L’immunisation des acquis  n’a pas été passée sous silence et beaucoup sont ceux qui se sont inquiétés, ce mardi soir, des reculs. « Les partis politiques doivent assumer leurs responsabilités et ne plus rejeter la faute sur l’Autre. Ils doivent jouer leur rôle et  mener les combats de la réforme qui ne sont pas encore achevés notamment dans le champ religieux et l’enseignement », affirme l’universitaire dont le cœur bat à gauche, Kamal Abdellatif. « Quand l’Etat intervient dans la vie politique, quand l’Etat intervient dans la conscience religieuse, il en est fini de la transition démocratique », renchérit, en colère, Abdessamad Belkébir.
Le Maroc a fait le choix de la démocratie. Reste encore à lui donner corps jusqu’au bout, fait remarquer Habib Belkouch. « Le projet démocratique n’est pas une recette prête à être appliquée mais une construction historique », affirme-t-il avec force.
Ce mardi 8 février, ces intellectuels et hommes politiques ont inauguré une prise de parole alors que l’Histoire du changement se vit plus que jamais de manière instantanée. Un exercice délicat, périlleux qui sera suivi d’autres prises de parole à travers le Maroc, ont promis les organisateurs. 


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