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Chems-eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, est-il encore un guide spirituel ou s’est-il mué en porte-parole politique d’un régime étranger ? Sous couvert de religion, cet homme multiplie les prises de position controversées qui semblent servir davantage les intérêts du régime politico-militaire algérien que ceux de la communauté musulmane de France. Chems-eddine Hafiz se retrouve aujourd'hui au centre d'une polémique mêlant politique, religion et influences étrangères. L'ombre de la junte algérienne plane encore une fois sur cette affaire, révélant un réseau complexe où se croisent propagande et tentatives de déstabilisation.
Le point de départ de cette controverse repose sur l’arrestation récente de six influenceurs algériens en France, accusés de promouvoir la haine et d’appeler à la violence. Ces individus, dont certains possèdent la double nationalité franco-algérienne, sont soupçonnés d’avoir diffusé des discours incendiaires soigneusement orchestrés par le régime algérien pour cibler ses opposants et semer la division. Leur objectif ? Alimenter l’idée d’un complot fantaisiste, où la France, le Maroc et Israël conspireraient ensemble contre les intérêts de l’Algérie.
Ce discours de victimisation, qui oppose systématiquement l'Algérie à une coalition ennemie imaginaire, nourrit un ressentiment de haine chez la communauté algérienne tout en brouillant les lignes entre la réalité et la propagande. Il sert, en effet, un double dessein : à l’intérieur de l’Algérie, il permet de mobiliser l’opinion publique en désignant un ennemi extérieur, détournant ainsi l’attention des véritables problèmes du pays. En France, il exacerbe les tensions communautaires, propage la défiance envers les institutions françaises et cherche à discréditer ceux qui critiquent ouvertement le régime algérien.
Les accusations contre Hafiz ne sont pas nouvelles, mais elles ont pris une ampleur particulière après un récent communiqué où il dénonce les critiques formulées à son encontre. L'ancien ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, a été l’un des premiers à pointer du doigt l’ambivalence de Hafiz : «C’est évident, et il ne s’en cache pas», a-t-il déclaré lors d’une entrevue sur CNews, affirmant que le recteur se comportait davantage comme un ambassadeur officieux du régime algérien que comme un guide spirituel. Pour Driencourt, le recteur a franchi une ligne rouge en mêlant religion et politique de manière flagrante. «Je trouve que c’est tout à fait indigne de la part du recteur de la Mosquée de Paris. J’étais ahuri quand j’ai lu ce communiqué qui lance une fatwa contre le journaliste algérien exilé Chawki Benzehra et contre moi-même», a-t-il indiqué, visiblement outré par le contenu et le ton du communiqué en question. Le diplomate a également rappelé que la mission du recteur devrait se limiter au domaine spirituel, en citant un parallèle éloquent: «Monseigneur Vesco, archevêque d’Alger, s’occupe fort bien des rares catholiques qui restent en Algérie mais ne se mêle jamais de politique et ne vient pas chercher ses ordres à l’Élysée. Pourquoi le recteur de la Grande Mosquée de Paris ne pourrait-il pas faire de même ? »
Ces tensions s’inscrivent dans un contexte plus large de relations dégradées entre la France et l’Algérie. Depuis plusieurs mois, Alger exploite sa diaspora pour diffuser un discours anti-français et consolider un sentiment d’unité nationale autour d’un prétendu ennemi extérieur. Le régime algérien, selon Driencourt, «trouve sa légitimité dans la rente mémorielle et dans la falsification de l’histoire». Cette stratégie consiste à ressasser les traumatismes de la colonisation pour nourrir une hostilité à l’égard de Paris et détourner l’attention des problèmes internes, tels que la corruption ou la crise économique.
Le journaliste Chawki Benzehra, lui-même victime des attaques verbales de Hafiz, a été l’un des premiers à dénoncer ce réseau tentaculaire. Selon lui, la Grande Mosquée de Paris est devenue un rouage clé de cette machine de propagande. «Le recteur agit comme un relais direct des intérêts algériens», affirme-t-il, soulignant que «cette ingérence compromet non seulement la neutralité de l’institution religieuse, mais aussi l’équilibre de la société française multiculturelle».
La querelle entre Hafiz et ses dénonciateurs illustre davantage les tensions persistantes entre Paris et Alger, exacerbées ces derniers mois par plusieurs dossiers sensibles. L’un des plus emblématiques est la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara, une position que les dirigeants algériens ont du mal à digérer. À cela s’ajoute l’affaire Boualem Sansal, l’écrivain franco-algérien emprisonné en Algérie pour avoir abordé des vérités historiques jugées dérangeantes par le régime. Ces tensions ont favorisé l'émergence de discours conspirationnistes visant à mobiliser la diaspora algérienne en France. En fabriquant des récits comme celui d’un complot «franco-maroco-sioniste» fictif, Alger cherche à galvaniser ses partisans tout en discréditant les voix dissidentes.
Dans son fameux communiqué, Hafiz a accusé ses détracteurs, notamment Driencourt, de «stigmatiser l’ensemble des musulmans de France» et de répandre une idéologie d’extrême droite. Mais cette défense, perçue par certains comme un subterfuge, n’a pas convaincu. Au contraire, elle a renforcé les soupçons d’une instrumentalisation politique de la religion. Le ministre français des Affaires étrangères, Noël Barrot, a d’ailleurs récemment déclaré avoir des doutes sur les intentions d’Alger vis-à-vis de Paris. Pour Driencourt, cependant, « l’heure n’est plus aux doutes, mais à la certitude ». La France doit, selon lui, agir fermement pour contrer ces réseaux d’influence.
Alors que cette polémique continue de faire les gros titres, une question demeure : Chems-eddine Hafiz peut-il encore prétendre incarner une autorité religieuse crédible en France ? Son rôle controversé et ses prises de position, souvent perçues comme politisées et partiales, jettent une ombre sur sa légitimité à diriger la Grande Mosquée de Paris, une institution emblématique censée promouvoir le dialogue et la paix, tout en incarnant la neutralité politique.
Pour beaucoup, la persistance d’Hafiz à la tête de la Grande Mosquée risque de renforcer les fractures au sein de la communauté musulmane de France, déjà confrontée à des défis multiples. La neutralité, autrefois pierre angulaire de cette institution, semble aujourd’hui menacée par des intérêts qui lui sont étrangers, mettant en péril non seulement sa crédibilité, mais aussi sa capacité à jouer son rôle de pont entre les cultures et les croyances.
Mehdi Ouassat