La motivation scolaire, un concept ou poupées gigognes


Ismail Idabbou *
Mardi 6 Janvier 2015

La motivation scolaire, un concept ou poupées gigognes
Au niveau conceptuel, la motivation est un terme fluctuant. En l’adaptant au contexte éducatif, il se rapporte souvent à l’enjeu d’implication de l’élève dans le processus d’apprentissage et la réalisation de performances scolaires optimales. Néanmoins, la réalité dans sa portée globale est très loin de correspondre aux conditions précitées. De ce point de vue, les enseignants marocains comme leurs homologues étrangers rapportent avec amertume : «Les élèves ne sont plus motivés comme avant». Roland Viau, dans son livre «La motivation en contexte scolaire» en témoigne.
Non étrangère à notre contexte, cette réalité est perceptible dans le contexte scolaire marocain. La démotivation pourrait être lue, entre autres, à travers la montée de la violence au sein des établissements scolaires parallèlement à la baisse intrigante des résultats des élèves que relatent les rapports évaluatifs des apprentissages.
Ce constat de démotivation nous interpelle afin de mettre sous la lumière les contours sémantiques de la motivation et de l’appréhender particulièrement en contexte scolaire. Nous nous représentons la difficulté de rendre compte de la littérature scientifique d’un concept aussi abstrait de la nature de la motivation, soit-elle considérée du point de vue scolaire. A l’instar de R.Viau, Robert Jean Vallerand avait bien réussi l’édification conceptuelle de la motivation dans le cadre scolaire.
Au début, les émissions théoriques rapportent les motivations aux besoins biologiques primaires (soif, faim…). La motivation relevait aussi de la publicité : les motifs d’achat d’un tel produit a toujours été l’objet d’interrogation des professionnels. Généralement, la motivation répond au pourquoi de l’agir. Elle avait été identifiée au but extérieur qui pourrait être une réalité souhaitée : concrète ou imaginée.
Sous un angle pragmatique, la motivation en contexte scolaire est considérée en tant qu’entité dynamique qui revêt un aspect hypothétique tout en étant affectée, selon R. Viau, par des facteurs conditionnants : -la classe : climat instauré, activités pédagogiques, gratification, etc. - la vie personnelle : famille, ami...etc. - l’école : règlement, vie scolaire…- la société. Si Viau évoque la dynamique motivationnelle en tant que processus susceptible d’être enclenché par le contexte, le côté qualitatif et mesurable de la motivation en contexte scolaire a été brillamment saisi par Vallerand.
Vallerand avait inventorié la motivation en variantes plus ou moins présentes et représentables par rapport à la personnalité de l’élève. En fait, ce dernier peut nourrir une motivation extrinsèque, intrinsèque ou être amotivé (démotivation). Toutefois, ce triptyque générique est déployé en régulations intermédiaires : la motivation externe, la motivation par régulation introjectée et la motivation identifiée. Cette « quantification psychométrique » demeure possible via des tests et échelles correspondantes basés sur les construits motivationnels-là.
En termes explicites, la motivation extrinsèque est dite régulée externe quand focalise sur les contraintes extérieures attendues d’un effort fourni. La motivation par régulation introjectée est suscitée pour éviter une honte par exemple ou pour rehausser l’estime de soi. L’exemple illustratif de la motivation identifiée, selon Vallerand, est l’élève qui va au lycée «parce que cela va lui permettre de travailler plus tard dans un domaine qu’il aime». La motivation intrinsèque, elle, se crée par amour inhérent à l’apprentissage: pour la connaissance, pour l’accomplissement ou pour les sensations fortes. Finalement, l’amotivation laisse l’élève fréquenter l’école sans être conscient clairement de ce qui le pousse plus ou moins inconsciemment à avoir ce comportement.
De tous ces types de motivations, le type de motivation identifiée ou celui qui est foncièrement intrinsèque sont associés souvent à l’excellence scolaire. A travers ces modalités motivationnelles, l’élève se transporte dans un flux passionnel de l’effort et de réalisations scolaires. L’effort est intériorisé de cette manière comme plaisir éprouvé pour lui-même.
Partant de ces postulats, la motivation généralement auto-déterminée (introjectée ou identifiée) et au mieux, intrinsèque, sous ses trois formes, mérite et sollicite un effort d’investigation et de repérage dans le but de l’éclairer, d’en optimiser sa récurrence chez la population estudiantine et de la célébrer en occasions de partage au sein de la vie scolaire. Pour ce dessein, l’intervention éducative des professeurs et des conseillers en orientation est sollicitée à même de rendre l’apprentissage le champ favori de l’investissement psycho-cognitif de l’élève marocain.
La démarche professionnelle des conseillers d’orientation vise à ancrer davantage l’internalisation des facteurs externes d’apprentissage. Notons que cette internalisation est presque intuitivement considérable chez les élèves persévérants, mais elle l’est moins chez la majorité, et il s’avère absente chez les potentiels décrocheurs. Aussi la qualité de la motivation à régulations internes est-elle appréciée par les pédagogues. Mais à défaut de ces expériences intériorisées cependant hautement productrices en termes de rendement scolaire, le conseiller est sollicité à amener l’élève à percevoir en quoi les actions engagées de ses apprentissages, sous l’effet des déterminants externes, pourront produire des résultats présentant des intérêts personnellement bénéfiques. Par exemple, « ma famille m’a poussé à… », peut se transformer, par l’apport du conseiller d’orientation, en « partager avec ma famille les difficultés vécus… » ou « mon estime de soi s’accroit par l’intérêt de ma famille pour mon activité… ».
Le conseiller d’orientation en tant qu’acteur professionnel mettra à contribution ses compétences d’exploration psychologique, de suivi et d’accompagnement pour diagnostiquer et mesurer, au moyen des échelles descriptives, la motivation estudiantine afin d’agir en fonction. Et ce, dans le but de génération de motivation hautement internalisée. Il s’agit d’un défi scolaire qui incombe à la communauté scolaire de relever de manière collaborative, en :
➢ instaurant un climat de classe prônant l’épanouissement des élèves;
➢ alternant la pédagogie d’apprentissage et celle d’émulation;
➢ implantant une vie scolaire où les opportunités de s’affirmer sont accessibles ;
➢ offrant un apprentissage attrayant, ayant un sens et présenté, dans la mesure du possible, sous forme de choix;
➢ diversifiant les activités disciplinaires répondant au besoin d’appartenance ou d’affiliation des apprenants- (communion de classe, d’établissement, d’un tel club);
➢ et, implantant les activités qui autonomise l’élève et le responsabilisent graduellement; etc.
D’aucuns pourront arguer de la conception « fataliste » du phénomène motivationnel : « la motivation, elle est ou elle n’existerait pas ». D’après eux, « c’est une entité abstraite dont on ne peut imposer l’existence chez l’élève : l’injonction, à ce propos n’est pas de mise.»
Ces affirmations comportent un réalisme que je trouve inachevé du moment que la motivation représente un double enjeu : le fait de générer pour la maintenir, la renforcer ensuite. A cet endroit, le professionnalisme des conseillers d’orientation sera efficace par un recadrage lucide et rationnel visant à reconfigurer positivement une réalité pouvant être frustrante à cause d’une certaine expérience subjective ou d’une représentation fausse.
L’on pourrait atteindre ce but par le biais de leur écoute compréhensive, authentique, informatrice et aidante. Aussi, faut-il se focaliser sur la perception de l’apprenant vis-à vis de l’acte d’apprendre et ses promesses.
En fait, la réalité subjective réajustée soigneusement sans verser dans la manipulation est à même d’opérer chez l’apprenant l’action métamorphosante de la réalité objective. L’agentivité de l’apprenant est, ici, de mise afin de le prémunir d’une réceptivité douloureuse ou fatale de la réalité. Une fois motivé intrinsèquement, l’apprenant se sentira ainsi, de manière permanente, dans un état d’auto- ressourcement l’aidant à aplanir les difficultés auxquelles il est confronté.
Sans prétendre contourner exhaustivement un sujet aussi susceptible de débat, l’on pourrait affirmer qu’un élève marocain motivé est un élève qui se plait à apprendre pour découvrir, à réfléchir pour se surpasser, un élève qui confère globalement à son acte d’apprendre une teneur positive, un adolescent qui éprouve une sensation forte devant la connaissance et l’aventure de se l’approprier.
En d’autres termes, quand l’apprentissage, selon des psychopédagogues, serait associé à une « peine » quotidienne, à une incompréhension permanente d’un adulte se complaisant dans sa citadelle de tuteur et d’imposant de modes perceptifs non négociables, on aura de rares chances de rencontrer un élève foncièrement motivé.
Certes, cette attitude pédagogique est, de bonne foi, garante de progrès, mais elle dépend de conditions nécessaires qui relèvent de larges spectres ayant une influence certaine. Entre autres conditions, l’on peu citer :
- La qualité de la vie scolaire au sein des établissements : ambiance sécurisante vis-à-vis des élèves, une atmosphère sans violence dans les locaux de l’établissement ;
- une satisfaction personnelle des enseignants vis-à-avis de leur statut d’éducateur et une salubrité du relationnel dans les établissements ;
- une considération sociale des efforts consentis par le staff éducatif ;
- une structure logistique convenable aux activités éducatives assurées dans et hors classes ;
- une mise à contribution de l’inventivité des agents pédagogiques, consolidée par un encadrement rénovant ;
- un renouvellement de l’image de l’école marocaine marquée par la crise, ce qui nécessite une refonte structurelle qui rompt avec les anciennes traditions de gestion, d’animation et d’encadrement ;
- et une optimisation des issues d’emploi de l’école marocaine,…etc.
Une motivation à apprendre se crée par l’apprenant lui-même, mais se justifie pour lui par le contexte qui l’incite, la maintient et la renforce. La motivation scolaire de l’élève marocain s’inscrirait, de la sorte, dans la bi-dimensionnalité intrinsèque/ extrinsèque. Mais est ce que l’école marocaine, en termes d’employabilité et de plaisir d’apprendre, demeure aussi attractive ?
Certes l’attrait de l’école marocaine devrait se renforcer et permettre des projections de réussites dans l’avenir déclinables aussi bien en ascensions sociales possibles qu’en scénarii d’affirmation de soi de l’homme et du citoyen. Autrement l’école marocaine devrait être revisitée en tant que processus et en tant que tremplin vers la vie adulte.
L’on aspire à une école crédible qui assure la motivation extrinsèque sous forme de gains calculables par l’élève. Etudier pour le simple acte de le faire serait insensé quand le devenir, en termes de carrière, s’installe sombre et anxiogène. Autant susciter une motivation bidimensionnelle.
Toutefois les psychopédagogues exigent la condition d’une présence majeure de la motivation intrinsèque dans l’élan motivationnel afin de s’assurer d’une motivation persistante et de qualité: la nature intrinsèque équivaut simplement au bonheur d’apprendre en tant qu’expérience qui se vit optimale par l’élève marocain telle que relatée dans la psychologie positive. Œuvrons de concert à faire associer, chez l’élève, l’acte d’apprendre au principe du plaisir.

* Inspecteur en orientation de l’éducation
Délégation de Tan Tan.


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