Comment naviguer sur les vagues de la transition énergétique et maximiser la part d’opportunité ?


Abderrazak Hannouchi
Jeudi 11 Juillet 2024

Comment naviguer sur les vagues de la transition énergétique et maximiser la part d’opportunité ?
« – Hélas ! je crains qu'un des immortels ourdisse une ruse contre moi en m'ordonnant de me jeter  hors du radeau; mais je ne lui obéirai pas aisément, car cette terre est encore très éloignée où il dit que je dois échapper à la mort; mais je ferai ceci, et il me semble que ce soit le plus sage : aussi longtemps que ces pièces de bois seront unies par leurs liens, je resterai ici et je subirai mon mal patiemment, et dès que la mer aura rompu le radeau, je nagerai, car je ne pourrai rien faire de mieux».1

Lorsqu’on est en face des vagues de la complexité et on a peu ou pas d’information, il faudrait faire ce qu’on pourrait faire de mieux. Rester figé par le dilemme ou attendre que les choses se clarifient davantage revient à périr : en économie, cela revient à laisser échapper l’opportunité. La transition énergétique n’offre pas uniquement une seule mais un bouquet d’opportunités. Il faudrait agir pour les exploiter.
 
Transition énergétique : des fossés à combler ou un bouquet d’opportunités
 
Dans le scénario Zéro Emissions en 2050, la production mondiale de voitures électriques sera multipliée par six d'ici 2030; la demande d'électricité augmentera de 25%. La fabrication d’une voiture électrique de taille typique nécessite cinq fois plus de matériaux (matériaux critiques comme le cuivre, le lithium, le cobalt et le nickel) qu’une voiture ordinaire. 1

L’écart est important dans le domaine des infrastructures habilitantes. La longueur mondiale des lignes de transport d’électricité augmentera d’environ 185% et celle des lignes de distribution de près de 165% sur la période 2021-2050, 85% des ajouts auront lieu dans les économies émergentes. Le commerce de l'hydrogène à faible émission, aujourd'hui quasiment inexistant, couvrira plus de 20% de la demande mondiale d'hydrogène marchand d'ici 2030. La capacité annuelle d'injection et de stockage de CO2 passe d'environ 42 millions de tonnes (Mt) aujourd'hui à environ 1,2 gigatonnes (Gt) d’ici 2030.  2

Une nouvelle économie est en train d'émerger créant de nombreuses opportunités, mais englobant certes, plusieurs risques. Une forte concentration géographique de la production ou de la distribution créera des goulots d'étranglement et rendra la chaîne de valeur plus vulnérable. Par ailleurs, le délai de réalisation des projets, composante fondamentale de cette transition, fera osciller les autres composantes notamment l’offre et la demande.

Des politiques industrielles de soutien ont été lancées comme l'lRA (Inflation Reduction Act) aux USA, le plan REPowerEU, l’initiative japonaise de transformation verte et le programme indien d’incitations liées à la production. Tous les pays s’engagent à investir dans l’économie des énergies renouvelables espérant assurer leur part de cette opportunité historique. Ces initiatives accéléreront les plans de transition et placeront les pays en développement dans une situation de concurrence difficile. Cependant, la porte reste encore ouverte aux nouveaux entrants.
 
La technologie risque de surprendre
 
Dans le domaine de l’énergie verte, l’incertitude technologique est grande et les efforts de R&D sont presque partout. Plusieurs modèles technologiques sont en cours de développement et la technologie qui gagnera aura la part la plus importante du marché. Les modèles de batteries en sont le meilleur exemple. La chimie cathodique joue un rôle important dans la performance. Actuellement, trois catégories de cathodes sont largement utilisées : Oxyde de lithium nickel manganèse cobalt aluminium (NMC), Oxyde de lithium nickel cobalt aluminium (NCA) et Lithium fer phosphate (LFP). Il existe également une batterie à semi-conducteurs, l’une des avancées prometteuses de la technologie. Quel modèle gagnera ? Difficile de répondre à cette question. La seule façon de préserver la part d’opportunité est de s’engager dans le développement des compétences et des aptitudes dans le domaine et suivre tout changement concernant les paramètres fondamentaux de ces batteries :la densité énergétique, la sécurité, le coût et la disponibilité des matériaux.
 
Une nouvelle économie se met en place, mais sa maturité nécessite encore du temps
 
Avant que cette nouvelle économie n'atteigne la maturité et les paramètres technologiques ne se stabilisent, de nouvelles approches sont nécessaires et de nouvelles croyances devront être construites afin de mieux outiller le décideur. Dans un secteur immature, l’offre et la demande dépendent d’un grand nombre de préalables : du contexte changeant et des décisions des principaux acteurs. Ces préalables devraient être déclinés en domaines critiques auxquels l’acteur devrait prêter attention et suivre leurs signaux aussi faibles soient-ils, et agir rapidement afin de maximiser la part d’opportunité. Une approche systémique est très utile dont la première étape consiste en la création des éléments constitutifs d’un écosystème. C’est cet écosystème qui garantira la résilience, la flexibilité, la durabilité de la création de la valeur et sera la pierre angulaire de toute stratégie de développement ou de partenariat.

Comment naviguer sur les vagues de la transition énergétique

Comment naviguer sur les vagues de la transition énergétique et maximiser la part d’opportunité ?
Transition énergétique et maximisation de la part d’opportunité : domaines critiques de performance
 
Toute initiative devrait être construite sur plusieurs niveaux et les décisions les plus importantes devraient être prises sur la base d’hypothèses élaborées rapidement. Ces hypothèses devraient intégrer toutes les informations disponibles sur les domaines critiques afin d’assurer une approche holistique de la chaîne de valeur, le plus de chances et le moins de risques aux décisions prises afin de réaliser les bienfaits souhaités. Ces domaines de performances critiques pourront être : les atouts locaux, l’infrastructure et la capacité de distribution, les partenariats et coalitions, les compétences et aptitudes, les leçons du marché et un système de gouvernance flexible et efficace.

1-S'appuyer sur des atouts locaux pertinents

Tout acteur devrait se positionner dans les chaînes de valeur et identifier quels sont les actifs dont il dispose : potentiel de minéraux critiques sur lequel s’appuyer pour attirer les investisseurs et construire un partenariat afin d’élargir sa propre zone d’influence sur la chaîne de valeur; large zone d'énergie solaire ou éolienne pour produire de l'énergie verte; la possibilité d’extraire de l’hydrogène vert pourrait aussi être la pierre angulaire du développement de partenariat. Ces actifs locaux sont difficiles à «délocaliser» et font l’objet d’une forte demande à l’état actuel.  La leçon de la pandémie de Covid-19 est que les actifs sont mieux valorisés là où ils se trouvent. En tirer profit pour se positionner constitue l’un des principaux domaines de performance à en tenir compte.

2- Construire l’infrastructure et la capacité de distribution

Amener l’énergie là où elle doit aller est une autre histoire. Les sources d’énergie renouvelables devraient fournir entre 45% et 50% de la production mondiale d’électricité d’ici 2030 et pourraient atteindre 65 à 85% d’ici 2050. L’intégration de ces niveaux élevés d’énergies renouvelables présente des défis en matière de stabilité du réseau. Cela nécessite des mises à niveau significatives de l'infrastructure existante 2. Ainsi, la longueur mondiale des lignes de transport d'électricité devrait augmenter d'environ 185% et celle des lignes de distribution de près de 165% entre 2021 et 2050.3 Le manque d’infrastructure adéquate mettra en péril l’accès à l’énergie produite et handicapera l’exploitation de l’ensemble du potentiel de cette méga opportunité par une faible intégration dans les chaînes de valeur mondiales. Cependant, les investissements nécessaires pour soutenir une énergie durable et résiliente à l’avenir sont énormes. La coalition et le partenariat sont indispensables.

3- Construire un partenariat et une coalition

L’exploitation de cette méga opportunité nécessite l’intégration de compétences et de capacités résidant dans une multitude d’entreprises et de pays. Aucune entreprise, ni même un pays ne possèdent toutes les ressources nécessaires pour apporter l’énergie verte au client final. Chaque acteur est dans l’obligation de se concentrer sur ses compétences et atouts fondamentaux et construire une coalition avec des partenaires qui lui sont complémentaires. Par ailleurs, les synergies augmenteront la part d’influence de chacun ou coopter des concurrents potentiels et ainsi réduire la menace d’une rivalité future.

Les entreprises chinoises ont activement investi dans l’exploitation minière du lithium au Zimbabwe, dans le cadre d’une initiative plus large visant à garantir l’approvisionnement en lithium essentiel à la production de batteries. Ces investissements font souvent partie d'accords plus vastes impliquant le développement d'infrastructures en échange de droits miniers. La Chine joue aussi un rôle dominant en RDC, qui abrite une part importante des ressources mondiales de cobalt et de cuivre4. Des expériences à en profiter autant qu’on pourra.

4- Développer les compétences et les aptitudes

Les compétences et les aptitudes constituent l'autre domaine de performance important que tout acteur devrait adresser. L’incertitude technologique est grande et les efforts de R&D sont initiés partout.  Plusieurs modèles technologiques sont en cours. L’exemple des modèles à batterie a été déjà cité auparavant. La seule façon de préserver la part des opportunités est de s’engager dans le développement des compétences et des aptitudes dans le domaine afin de suivre tout changement concernant les paramètres fondamentaux : la densité énergétique, le coût et la disponibilité des matériaux. Il en va de même pour la production de technologies à base d’hydrogène vert. Les technologies de génération de H2 à partir de ressources renouvelables telles que la biomasse et l'eau sont envisagées et des recherches sont en cours pour optimiser le processus. Y participer ou au moins suivre les tendances des évolutions technologiques est une nécessité afin d’investir dans les modèles qui auront le plus de chance de s’imposer.

5- Tirer rapidement profit des leçons du marché

Les industries consommatrices d’énergie verte devraient être suivies et surveillées en permanence. Prenons par exemple le marché des véhicules électriques. Comment les ventes de véhicules électriques évoluent ? Quelles sont les tendances les plus importantes et quelles sont les raisons profondes ? Où les flux d’investissement sont les plus dirigés ? Quelles décision ou nouvelle réglementation géopolitiques pourraient avoir un impact sur le marché ? Les industries manufacturières consomment-elles plus d’énergie verte ? Y a-t-il des tendances qui se dégagent et pour quelle raison ? Quelle est la part d’énergie verte consommée  dans chaque secteur? etc.

En 2023, les investissements mondiaux dans les technologies d'énergie propre ont atteint environ 1.800 milliards de dollars, soit une augmentation de 17% par rapport à l'année précédente. 3. Toutefois, la répartition de ces investissements est fortement déséquilibrée en faveur des économies avancées et de la Chine. Plus de 90% de l’augmentation des investissements dans les énergies propres entre 2021 et 2023 s’est produite dans ces mêmes pays. Tout investisseur devrait s’appuyer sur ces tendances et suivre tout changement par rapport à ce qui est déjà établi. Pour ce faire, la construction d’un réseau permettant d’avoir le feed-back des acteurs principaux en amont et en aval de la chaîne de valeur est d’une importance capitale.

6- Un système de gouvernance flexible et efficace

Un système de gouvernance flexible et efficace est important dans des environnements très incertains et complexes afin de réagir et décider rapidement face aux changements. Les anciens partenaires pourraient être de futurs concurrents et les anciens concurrents pourraient être de futurs partenaires. Assurer de telles décisions dépend de la structure du système de gouvernance à mettre en place qui devrait être aussi diversifiée que possible pour garantir plusieurs perspectives et permettre la remontée de l’information pertinente de chacun des domaines de performance.

Dans cet environnement, la décision est prise généralement sur la base des informations observées comme première étape. La nouvelle décision de la Chine de ne pas exporter de terres rares est une décision politique qui influencera le coût et la disponibilité de ces matériaux ainsi que toute analyse de rentabilisation des initiatives connexes. En outre, cela stimulera les projets d’exploration minière des terres rares dans le monde. Et l’étape suivante d'orientation implique l'analyse et la synthèse de toutes les informations résultant de l'étape d'observation afin de développer rapidement des hypothèses. Après, une décision devrait être prise pour passer à l’action. Tout retard pourrait rendre la décision impertinente. Ce n’est qu’après l’action qu’on devrait revenir dans l’environnement changeant pour collecter de nouvelles informations, les réinterpréter, développer de nouvelles hypothèses et en décider à nouveau s’il le faut. De cette manière, le système de prise de décision sera flexible et efficace et les initiatives seront résilientes au changement.

Abderrazak Hannouchi
1Homère : L’ODYSSÉE
2 IEA Rapport, World Energy Outlook 2023,
3 (McKinsey & Company : rapport Global Energy Perspective 2023);
4(https://www.usip.org/publications/2023/06/challenging-chinas-grip-critical-minerals-can-be-boon-africas-future​​)


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