L'infâme business des médocs

Sans vergogne, ces mercantiles qui se sucrent au détriment des malades


Mehdi Ouassat
Vendredi 22 Novembre 2024

L'infâme business des médocs
Au Maroc, se soigner coûte cher. Trop cher. Tomber malade est souvent synonyme de ruine. En effet, les Marocains payent leurs médicaments jusqu’à quatre fois plus cher que dans d'autres pays. Une situation qui ne fait qu’aggraver les fractures sociales et qui met en lumière un système dominé par des intérêts privés, aux dépens du bien-être collectif.  Tout cela devant une inaction gouvernementale quasi-complice.

Le Réseau marocain pour la défense du droit à la santé (RMDDS) ne mâche pas ses mots. Dans un rapport accablant, il dénonce l’impuissance apparente des autorités face aux multinationales pharmaceutiques qui, selon lui, dictent leurs règles. Ces entreprises accumulent des marges bénéficiaires astronomiques, pendant que les ménages modestes n’ont plus droit aux soins les plus basiques. Le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a lui-même tiré la sonnette d’alarme. Lors d’une récente séance parlementaire, il a révélé que certains médicaments, essentiels pour des pathologies graves, sont vendus à des prix trois à quatre plus cher par rapport aux standards internationaux. Une réalité insoutenable qui fragilise non seulement les familles marocaines, mais aussi les systèmes de protection sociale censés les accompagner. 

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 25% des médicaments au Maroc sont en situation de monopole. Une étude de la Cour des comptes publiée en mars 2023 souligne l’impact direct de cette mainmise sur les prix, empêchant toute concurrence et laissant le terrain libre à des pratiques commerciales abusives. 

Les médicaments génériques, solution adoptée par de nombreux pays pour réduire les coûts, représentent moins de 34% des produits consommés au Maroc, bien loin des 70% enregistrés en France ou des 80% en Allemagne. Cette faible pénétration des génériques est un des symptômes d’un système qui n’encourage pas leur usage et qui favorise les produits brevetés, souvent importés à des prix exorbitants. 

Les répercussions de cette flambée des prix sont dramatiques. Selon le RMDDS, des traitements vitaux comme ceux contre l’hépatite virale peuvent atteindre 6 000 dirhams au Maroc, contre 800 dirhams en Egypte. Une étude de Médecins sans frontières va plus loin, estimant que certains médicaments sont vendus avec des marges de 300% par rapport à leur coût de production. 

Pour Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, «lorsque la santé devient un privilège au lieu d’un droit, la société tout entière s’appauvrit». Cette phrase, lourde de sens, résonne particulièrement dans un pays où les ménages modestes s’enlisent dans des choix impossibles entre se soigner ou subvenir à d’autres besoins vitaux et se laisser ronger par la maladie.

Face à cette crise, les institutions chargées de la régulation peinent à s’imposer. Le Conseil de la concurrence tarde à agir de manière décisive, malgré des rapports accablants de la Cour des comptes, du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et même du Conseil national des droits de l’Homme (CNDH). 

L’Agence marocaine des médicaments, censée garantir la sécurité sanitaire et la maîtrise des coûts, tarde à faire entendre sa voix. De son côté, le gouvernement a récemment introduit des mesures législatives, mais celles-ci paraissent bien insuffisantes face à l'ampleur du défi. La récente adoption du projet de loi 61.24 par le Conseil de gouvernement constitue-t-elle un pas décisif vers un redressement ? Rien ne permet de l’affirmer. En effet, tant que les réformes se contenteront de ripoliner la façade, les fondations continueront de s’effriter inexorablement.

L’urgence, comme le rappelle le RMDDS, est ailleurs. Réviser le décret de 2013 sur les prix des médicaments, promouvoir la production locale, contrôler les marges bénéficiaires, taxer les importations de manière dissuasive : voilà le véritable chantier. Mais encore faut-il une volonté politique à la hauteur des enjeux.

Les solutions qui s’imposent pour remédier à cette situation inique doivent être audacieuses et déterminées. Le Maroc gagnerait donc à renforcer la production locale de médicaments, en limitant les importations aux produits essentiels non fabriqués sur le territoire, afin de consolider l’industrie pharmaceutique nationale. Selon les experts, cette dernière pourrait couvrir jusqu’à 50% des besoins nationaux.

Une régulation stricte des prix, inspirée des modèles adoptés en Norvège ou en France, pourrait également contribuer à rendre les traitements plus accessibles, tout en préservant un équilibre économique. Parallèlement, la promotion des médicaments génériques est essentielle : un cadre légal incitatif, accompagné de campagnes de sensibilisation destinées aux médecins, pharmaciens et patients, favoriserait leur adoption à grande échelle. Ces mesures, loin d’être utopiques, ont prouvé leur efficacité dans plusieurs pays et leur mise en œuvre au Maroc représenterait un tournant crucial vers une couverture sanitaire plus équitable.

D’autres pays offrent des exemples inspirants, démontrant qu’une volonté politique et des réformes ciblées peuvent métamorphoser un système de santé. En Inde, la mise en place d’un cadre législatif favorable a non seulement dynamisé la production locale, mais aussi encouragé l’essor des médicaments génériques, transformant ainsi le pays en un leader mondial de l’accès aux soins abordables. Cette stratégie a permis à des millions de personnes d’accéder à des traitements vitaux à des coûts défiant toute concurrence. En France, l’adoption massive des génériques n’a pas seulement généré des économies colossales – près de 2 milliards d’euros par an – mais a également ouvert la voie à des investissements stratégiques dans les infrastructures de santé, à l’amélioration de la qualité des soins et à une extension significative de la couverture médicale. Ces exemples montrent que l'équation entre accessibilité et rentabilité peut être résolue sans sacrifier ni l’efficacité des traitements ni l’équité dans leur distribution.

La santé des Marocains ne peut donc demeurer l’otage des lois impitoyables du marché. Garantir un accès équitable aux médicaments ne relève plus d’un choix, mais d’une urgence nationale. Cela exige une réponse immédiate et résolue du gouvernement qui doit se libérer des emprises des lobbys pharmaceutiques pour défendre un droit inaliénable : celui de se soigner dignement, sans que cela ne devienne un luxe réservé à ceux qui peuvent se le permettre.

Cette ambition nécessite un courage politique et une vision à long terme. Il ne s’agit pas seulement de réguler des prix ou de renforcer des lois, mais de réaffirmer un principe fondamental : la santé n’est pas un privilège, c’est un droit inaliénable. Le temps des discours et des rapports doit laisser place à l’action. Il faut désormais poser les jalons d’un système pharmaceutique juste, accessible et souverain, où l’intérêt des citoyens prime sur les logiques de profit. 

Les attentes des Marocains sont claires, tout comme les solutions. Ce qui manque, c’est une volonté politique qui ose briser les cercles d’influence et placer la dignité des citoyens au cœur des priorités nationales.

Mehdi Ouassat


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