L’hommage de Jmahri à Radi


PAR ABDELHAMID JMAHRI
Vendredi 4 Janvier 2013

L’hommage de Jmahri à Radi
Dans la soirée du samedi à dimanche, lorsqu’il laissa
couler ses larmes, devant des centaines de militants et
militantes ittihadis, nous nous sommes dit que l’homme n’avait jamais pleuré autant
de joie, d’avoir conduit le Parti vers un havre de paix




C’était un jour grandiose et émouvant. Un grand moment dans la vie du Parti. D’autant qu’il coïncidait avec le IXème Congrès, un jalon et un événement pour la reconstruction du Parti des forces populaires. Un nouveau souffle pour consolider les acquis, pallier les erreurs, repenser les principes et relancer les engagements inaliénables du Parti.

Accomplir un mandat  de quatre années
en tant que responsable, et ce dans des conditions aussi mouvementées
et conjuguées à une grave crise interne, s’apparenterait à un défi sans précédent


Ce soir-là, ils étaient tous rassemblés dans l’enceinte du Palais des congrès à Bouznika. La douceur du climat automnal répondait en écho à l’enthousiasme des militants et des congressistes. Militantes et militants ittihadis devaient vivre un moment émouvant : rendre un vibrant hommage à l’homme, au combattant, au leader qui voua  toute sa vie à faire triompher les idéaux et les valeurs du Parti. Rendre cet hommage, ô combien mérité, à Abdelouahed Radi, le militant au long cours, au politique chevronné et à l’ardent défenseur des droits à la liberté, à la démocratie et à la justice sociale.
Ce soir-là, défilèrent des souvenirs et débordèrent des émotions,  exprimant au plus haut point l’appartenance du grand militant à l’Union socialiste des forces populaires. L’homme parut ému aux larmes, égrenant des pans de souvenirs, sans doute que l’esprit de Mehdi veillait sur les lieux, sans doute aussi que les souvenirs d’Abderrahim surgirent à cet instant-là. Mais Radi donnait l’impression de s’adresser à nous  et à lui-même.
L’histoire retiendra pour la postérité ce fait pertinent : l’ancien Premier secrétaire de l’USFP dirigea le plus ancien parti socialiste en Afrique du Nord et l’un des derniers bastions de la pensée progressiste et démocratique dans le monde arabo-musulman. Alors que la conjoncture était cruciale et dangereuse, de par  les bouleversements qu’elle connaissait. Au niveau national, Radi devait diriger le Parti, assurer la continuité du mouvement de libération populaire après le blocage politique apparu en 2002, du fait que les leaders historiques Abderrahmane El Youssoufi et Mohamed Elyazghi ne sont pas parvenus, conjoncture oblige, à achever leur mission respective. Radi hérita d’une telle situation, tout conscient qu’il est de la donne. Il devait donc agir en conséquence, sans souvent en révéler les tenants et les aboutissants.
Cette situation faisait de chaque session  ordinaire, au niveau de la responsabilité partisane, un événement qui relèverait du miracle. Accomplir un mandat  de quatre années en tant que responsable, et ce dans des conditions aussi mouvementées et conjuguées à une grave crise interne, s’apparenterait à un défi sans précédent.


Il était conscient que l’histoire peut
être l’apanage du radicalisme, mais
elle se heurterait à une impasse sans
le juste milieu et sans l’apport
des réformateurs



Ainsi Abdelouahed Radi nous aida dans cette phase jalonnée de patience, d’abnégation et de confiance en l’avenir. Nous devions procéder à l’analyse rationnelle de la crise, adopter la démarche  appropriée d’en sortir et surtout assumer les conséquences de notre action militante. En annonçant sans détour que nous nous précipitions vers un suicide collectif, il savait que notre survie relèverait presque de l’impossible et que seule la vie pouvait être un projet à part entière. Et pourtant,  la vie est un miracle : il fallait nous relever avant de dresser une potence collective ou de charger nos fusils et de commettre l’acte suicidaire. Radi n’était pas malveillant au point d’avouer ce mode opératoire, mais tout lucide et éclairé qu’il est, il n’hésita pas à envisager l’éventualité d’échapper à cette mort subite.


La conjoncture évoquerait sans ambages
un propos pertinent
de Mahmoud Darwich : «J’incarne
l’équilibre entre le devoir
et le devoir du devoir»


Pourtant, la situation politique ne lui était guère favorable en prenant les destinées du Parti. La conjoncture évoquerait sans ambages un propos pertinent de Mahmoud Darwich : « J’incarne l’équilibre entre le devoir et le devoir du devoir ». En s’appropriant ce principe, Radi se devait d’établir un équilibre entre ceux qui l’exhortaient à camper au milieu et ceux qui l’appelaient à défendre l’erreur,  quel qu’en soit le résultat. Cette attitude traduirait le discours contradictoire d’un révolutionnaire : « Il faut aller à gauche / Il faut se positionner au milieu / Il faut défendre l’erreur ». Mais Radi, en stratège avisé, excelle dans l’art de concilier les positions pourvu que le Parti reste un paramètre incontournable dans l’équation politique.
De par cette situation inextricable, il fallait entreprendre des actions concrètes, car le Parti était miné par des dissensions internes et pris dans l’engrenage des urnes. Tandis que les lobbies médiatiques s’étaient ligués contre lui de toutes parts. Radi devait donc sauvegarder le Parti et le maintenir en tant qu’interlocuteur vis-à-vis de l’Etat et des autres partis politiques. De ce fait, le Parti accueillit, dans la plénitude des débats internes, d’autres composantes politiques. L’objectif était de lancer un projet de débat national sur les réformes politiques et constitutionnelles en concertation avec les partis de l’échiquier national, notamment le PJD, le PAM, le RNI et les partis de la Koutla.
L’USFP présenta également au Souverain un mémorandum relatif aux réformes constitutionnelles en perspective d’amorcer les bases d’une monarchie parlementaire. Le Parti géra l’étape avec brio avant de soumettre le mémorandum à l’appréciation des masses populaires qui n’hésitèrent pas à demander l’application du programme réformateur du Parti, car le peuple marocain n’avait aucune autre alternative.
Radi continua, entre-temps, à surmonter les obstacles et à contourner les écueils, avec la patience d’un paysan. Je vécus personnellement les moments intenses et tumultueux de ce débat auquel j’avais participé selon mes compétences et ma modeste contribution. Comme j’ai accompagné Radi, le professeur, le politique chevronné et l’Ittihadi convaincu depuis la création du Parti. Pour confidence, il m’avoua un jour qu’il n‘avait jamais prétendu à une quelconque responsabilité au sein du Parti et que son adhésion au Conseil administratif en 1962 était sur proposition du martyr Ben Barka. Un aveu implicite pour signifier que cette responsabilité  lui était imposée par le destin ittihadi. C’était aussi une approche pour lui de lier son parcours partisan au leader et grand fondateur du Parti.


Libéral au sens académique du terme, Abdelouahed Radi défend le droit à la différence, le droit à la discussion, le droit à la défense
des convictions. Qu’il admette  l’analyse et le jugement, c’est sa conviction profonde, car cette démarche, à ses yeux, aboutit toujours à une espèce de panacée efficace




Du plus loin que je m’en souvienne, Abdelouahed Radi a toujours répondu aux attentes et donné des satisfactions. Ainsi les citoyens lui accordèrent leur confiance pleine et entière, en l’élisant en tant que représentant de la commune d’El Ksibiya, des années durant, puis en qualité de député de 1963 à nos jours.
Quelle longévité dans la députation ! Il est le plus ancien parlementaire du Maroc moderne. Les Ittihadis lui exprimèrent également leur confiance : il fut nommé membre du Bureau politique puis Premier secrétaire du Parti au Congrès de 2008 avant de passer le flambeau cette année à une nouvelle direction.
Pétri de qualités intrinsèques, Radi n’éprouve la moindre difficulté à s’adresser à la Haute autorité et à faire montre de son éloquence persuasive, et ce dans l’intérêt du pays. Des traits de sa personnalité : clairvoyance, intégrité et sérénité. Il est rare de déceler en lui un excès de colère ou une attitude intempestive, encore moins une certaine animosité à l’égard de ses adversaires politiques. En grand leader national, il mena avec succès les concertations au sujet de la Constitution de 2011 et les circonstances qui le poussèrent à refuser de débattre d’un communiqué qui dénonçait tous ceux qui s’étaient retirés, lors de ces joutes partisanes, en l’occurrence les militants de Gauche et du mouvement ittihadi, bien que l’un des ardents défenseurs de ce communiqué fût Mohamed  Moâtassim, conseiller du Roi.
C’est un fait pour la postérité, un acte révélateur de la personnalité d’un homme imbu de sérénité et de sagesse. Qui préfère se vêtir d’un habit pédagogique plutôt que de succomber aux sirènes du discours grandiloquent. Qui cultive le langage courant et abhorre la rhétorique enflammée. Il était conscient que l’histoire peut être l’apanage du radicalisme, mais elle se heurterait à une impasse sans le juste milieu et sans l’apport des réformateurs. Il était également convaincu que l’histoire risquerait de basculer vers ses pires penchants. En évaluant sa relation inhérente à la décision, Radi devait trancher : ou décider dans l’immédiat mais s’en repentir ou bien se complaire dans l’expectative et l’attente. Cette dernière attitude qui couvait sous un feu tempéré, traduisait en réalité la solution idoine et répondait aux aspirations des citoyens. Mais cela s’accompagnait à la fois de grands moments de réflexion et d’écoute.
Libéral au sens académique du terme, Abdelouahed Radi défend le droit à la différence, le droit à la discussion, le droit à la défense des convictions. Qu’il admette  l’analyse et le jugement, c’est sa conviction profonde, car cette démarche, à ses yeux, aboutit toujours à une espèce de panacée efficace. Jouissant de ces vertus cardinales, Radi était tenu de diriger le Parti, avec toutes ses structures en crise et ses handicaps majeurs, braver les vents du changement qui soufflaient  sur la région. L’histoire retiendra le fait qu’il avait conduit le Parti à l’avènement du 20 Février, sans s’attirer des inimitiés tels que des partis qui avaient commis des communiqués contre les marches populaires, ni les sacraliser d’ailleurs comme les tendances qui les considéraient tel un don divin à l’instar des peuples du Moyen-Orient et du Grand Maghreb. Comment diriger un parti quasiment réduit à l’immobilisme et secoué de toutes parts par le Printemps démocratique? Comment s’arrimer à la vitesse du changement sans ébranler l’appareillage du vaisseau ? Telle est l’équation que se devait de résoudre Abdelouahed Radi, sans perdre l’opportunité ni saper son énergie.
Radi ne se départit aucunement de ses tentatives de convaincre, de concilier les points de vue. Dans la soirée du samedi à dimanche, lorsqu’il laissa éclater ses larmes, devant des centaines de militants et militantes ittihadis, nous nous sommes dit que l’homme n’avait jamais pleuré autant de joie, d’avoir conduit le Parti vers un havre de paix. Il était ému, parce l’unité du Pati de Mehdi était un credo pour lui, et rien ne pouvait perturber ce moment émouvant et solennel.
Merci en ton nom personnel, car tu resteras le grand frère qui a su préserver la cohésion du Parti au milieu de la tempête. Merci de ma part, car j’ai appris une infinité de choses auprès de cette lumière qui éclaire sans fin. Je me souviendrai à jamais de tes propos : « Si un jour j’abandonnais la politique, si je m’en allais sans retour, la cause n’en serait pas les positions, ni les conflits, encore moins les différences, mais l’effronterie et l’ingratitude …. comble de la bassesse morale ».

*(Traduit de l’arabe par Abdesselem Alla)


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