L’enseignement supérieur au Maroc à la croisée des chemins


Mohamed Taher SRAÏRI
Vendredi 30 Novembre 2012

L’enseignement supérieur au Maroc à la croisée des chemins
La rentrée académique 2012/2013 s’est caractérisée, plus que jamais, par l’exacerbation des problèmes récurrents de l’enseignement supérieur au Maroc. Tout d’abord, la capacité d’accueil physique de nombreux établissements universitaires semble être dépassée, remettant en cause les planifications antérieures. Ainsi, l’opinion publique a pu visualiser à maintes reprises et dans différents médias l’encombrement des salles de cours et l’impossibilité pour de nombreux étudiants de trouver une place assise dans les amphithéâtres. A cet égard, des candidats à des inscriptions dans des écoles d’ingénieurs et d’autres institutions supérieures de renom se sont vu refuser l’accès, par manque de place, malgré des moyennes au baccalauréat dépassant 17/20. Surprise pour eux, leur admission dans des facultés de moindre réputation n’a pas été automatique, pour la même raison. Par conséquent, au niveau de l’encadrement individualisé des étudiants, des insuffisances évidentes se cristallisent, fruits de l’augmentation insidieuse des effectifs et aussi de la diminution structurelle du nombre d’enseignants. Pire, les rumeurs relatives à l’institution de frais de scolarité dans certains établissements du supérieur à l’avenir n’auront pas contribué à atténuer l’ampleur du désarroi des familles. Il va de soi que pareils constats ne peuvent qu’inquiéter la société civile par rapport aux moyens mis en œuvre pour la formation des cadres du futur dans les meilleures conditions.
*
Des difficultés
linguistiques manifestes


Toutefois, au-delà de cette situation qui menace d’ores et déjà de grever la performance de l’enseignement universitaire, une autre observation est encore plus affligeante : la baisse du niveau moyen de connaissances des candidats aux études supérieures. Cela est encore plus flagrant pour les filières scientifiques, où l’enseignement est dispensé en langue française, tandis que le cursus durant le primaire et le secondaire s’effectue presque entièrement en arabe. En effet, force est de constater l’accumulation progressive de lacunes sérieuses d’écriture et d’expression en français qui handicapent les nouveaux postulants à des diplômes supérieurs. Ainsi, un nombre croissant d’étudiants n’arrive plus à comprendre des tournures de phrases simples, sans compter des carences de vocabulaire usuel, ce qui les empêche d’assimiler les contenus de cours académiques entiers. Plus évidentes sont leurs capacités limitées à écrire des textes intelligibles, sans fautes majeures de forme, impliquant des entraves significatives à postuler pour l’excellence académique. Celles-ci s’érigent en véritables contraintes à la concrétisation des objectifs de formation de cadres supérieurs opérationnels, à même de s’exprimer en toute facilité pour contribuer pleinement au développement du pays.

Un système d’évaluation
et des méthodes
pédagogiques inadaptés


De surcroît, la surenchère de ces dernières années dans les notes du baccalauréat n’a rien de rassurant, d’autant plus que le niveau général moyen se dégrade. Par conséquent, le système de l’enseignement supérieur est face à un paradoxe quasi insolvable : comment faire pour sélectionner les très nombreux candidats aux études supérieures avec des notes au baccalauréat qui dépassent 16/20 ? Et même quand cette sélection est réalisée, moyennant des dispositifs lourds (concours avant les inscriptions, calcul à nouveau d’une moyenne grâce à une pondération des notes au baccalauréat, etc.), il s’avère très vite qu’une large majorité de ces candidats ont des difficultés à suivre un cursus d’enseignement supérieur scientifique, en raison de lacunes manifestes d’expression orale et écrite.
Par ailleurs, il semble qu’outre le handicap linguistique, viennent aussi s’ajouter des méthodes pédagogiques au primaire et au secondaire qui n’encouragent pas la réflexion, mais qui s’appuient davantage sur le « par cœurisme ». Ainsi, en inculquant aux futurs bacheliers des recettes clé en main, qu’ils se contenteront d’appliquer, il ne leur est pas rendu service pour s’approprier des méthodes de pensée et de synthèse, nécessaires pour forger un esprit scientifique.
Pire, l’immersion de ces candidats affublés de notes imaginaires et dotés de potentialités limitées d’expression, dans la réalité de la rigueur scientifique génère des comportements d’incompréhension, voire de rejet, de l’institution de l’enseignement supérieur. Comment pourrait-il d’ailleurs en être autrement, lorsque cette dernière détruit, dès le premier contact, le mythe de l’excellence dans lequel s’était réfugiée une vaste majorité de jeunes bacheliers, encore tout fiers de notes supérieures à 16/20 obtenues à cette épreuve ?
Pareilles difficultés des candidats à l’enseignement supérieur pourraient aussi expliquer le nombre élevé d’échecs et la défiance grandissante de la société dans son ensemble vis-à-vis de l’institution universitaire. En outre, les lacunes du système d’orientation au secondaire, sur lesquelles se greffent les manques de choix clairs de vocation des futurs étudiants amplifient le sentiment de mal-être général. Tout ceci concourt à des parcours académiques où la ligne de conduite devient plus guidée par l’identification de stratagèmes afin d’éviter le redoublement ou l’exclusion que la réflexion à l’épanouissement dans une discipline donnée. Ce type de logique d’appréhension des études supérieures amène ainsi logiquement certains étudiants à considérer le diplôme de doctorat comme une autre étape dans la même veine, juste un prolongement du cursus

Les enjeux du doctorat pour le renouvellement
du corps enseignant


Or, le doctorat représente aujourd’hui un enjeu majeur de l’avenir du système universitaire au Maroc. Il constitue le diplôme suprême qui permet aux candidats qui le briguent de démontrer leur disposition à une carrière académique dans l’enseignement et la recherche scientifique. Cela suppose des facultés de recherche documentaire pour faire le point sur la thématique traitée ainsi que des facilités d’expression, afin de démontrer avec aisance à la communauté scientifique l’originalité du travail entrepris et des résultats obtenus. Pour y accéder, il faut des étudiants ayant confiance en eux-mêmes, car dotés de solides capacités de travail, de synthèse et de rédaction, outre la maîtrise d’une langue additionnelle, en l’occurrence l’anglais. En effet, aussi bien les recherches bibliographiques que la publication des résultats obtenus risquent de se faire dans cette langue, car elle est devenue le principal, voire l’unique, véhicule de partage de l’information scientifique à l’échelle mondiale. Aussi, les candidats au titre de docteur doivent-ils d’ailleurs s’acquitter de l’écriture d’au moins un article scientifique en anglais, dans des revues référencées, pour décrocher ce diplôme. Ces futurs docteurs constituent par ailleurs l’unique vivier pour le renouvellement du corps enseignant chercheur dans les institutions universitaires nationales. Or, avec les nombreux départs à la retraite du corps enseignant prévus d’ici à la fin de la décennie (jusque vers 2020), il est plus qu’urgent de porter un intérêt certain à la formation doctorale, pour assurer la pérennité d’un système universitaire basé sur la création du savoir. Cela sous-entend de minutieuses précautions de l’ensemble des institutions du supérieur pour le repérage de candidats aptes à mener sur le long terme un tel cheminement de recherche, maîtrisant la communication en français et en anglais et capables de conduire des investigations et de publier dans des revues scientifiques le fruit de leurs travaux.

En guise de conclusion

Vouloir réhabiliter le savoir comme principale voie d’ascension sociale au Maroc est une noble entreprise qui ne peut être que louée. Mais encore faut-il que ça ne soit pas juste de l’ordre du slogan. Pour rendre effectif cet objectif, il faut une juste évaluation des connaissances des futurs étudiants tout en s’assurant de les voir dépasser les actuels handicaps linguistiques. Cela demande une réforme courageuse de tout l’appareil d’enseignement, du primaire au supérieur en passant par le secondaire. Cette mise à niveau de tout l’appareil de formation au Maroc, selon des standards internationaux, constitue un chantier prioritaire pour affronter le défi inéluctable de la compétitivité du pays dans la mondialisation économique. Atteindre ces objectifs nécessite une volonté politique claire et des moyens conséquents, à mobiliser dans une vision sur le long terme, pour rattraper ce que l’ajustement structurel et les coupes budgétaires ainsi que les réformes ratées qui l’ont accompagnées, ont lourdement compromis. Il y va de la pérennité de l’institution universitaire et de sa capacité à s’impliquer dans la compétition mondiale de création et de transmission du savoir, pour un développement économique et social durable du pays. A cet égard, en conformité à l’esprit de la nouvelle Constitution du pays, l’opinion publique nationale se doit d’être informée de l’avancement de la réforme de l’enseignement supérieur et de sa capacité à préparer les cadres du futur pour affronter les nombreux défis qui les attendent.  

*Professeur universitaire, Institut agronomique et vétérinaire Hassan II


Lu 3508 fois


1.Posté par Belhajilali le 03/12/2012 08:13
On pleure dans les ruines de l'enseignement sur ses ruines futures,autant dire que la lumière n'est pas pour bientôt.Cet article rédigé d'une main de maître et qui ne fait que rendre compte d'une situation affligeante, devrait donner la chair de poule à quiconque voudrait mériter d'être marocain.

Des milieux criminels ont mis environ un demi-siècle pour détruire l'enseignement;Dieu sait combien de temps il nous faudra pour le réssuciter.




2.Posté par mohamed le 05/12/2012 12:04
10 ans pour la Malaisie & la Corée...
1 an pou l’Égypte si elle arrive à maintenir le Cap & la cohésion sociale....
3 ans pour le Maroc.

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dans la même rubrique :
< >




services