L’école, un rempart efficient contre l’extrémisme ?

Peu évident avec une politique éducative frileuse


Morad Tabet
Mardi 22 Mars 2016

D’éminents experts nationaux et internationaux ont pris part au colloque organisé à l’Académie du Royaume par le Bureau multipays de l’Unesco et la Commission nationale pour l’éducation, les sciences et la culture.
Comment faire face à la montée de l’extrémisme violent ? Quel rôle le système éducatif peut-il jouer dans la prévention de ce phénomène aussi bien au Maroc qu’ailleurs ? Pour répondre à ces questions, d’éminents experts nationaux et internationaux se sont réunis la semaine dernière à l’Académie du Royaume du Maroc lors d’un colloque organisé conjointement par le secteur de l’éducation du Bureau multipays de l’Unesco pour le Maghreb et la Commission nationale marocaine pour l’éducation, les sciences et la culture.

Qu’est-ce que la radicalisation?
Le politologue et spécialiste des mouvements islamistes dans le monde arabe et musulman, Mohamed Tozy, part dans son analyse d’une question simple: Qu’est-ce que la radicalisation? De prime abord, il a mis en garde contre l’utilisation abusive du mot radicalisme. Pour lui, ce terme «n’est pas seulement une expression religieuse. Il peut avoir une expression laïque ou une expression identitaire forte mais qui se construit autour d’une incapacité à prendre en charge la polysémie et la pluralité tout simplement ».
Il a, par ailleurs, distingué trois dimensions à même de permettre de comprendre le phénomène de la radicalisation. La première dimension a trait à la théorie de la connaissance en rapport à la vérité.
La deuxième dimension relève de l’histoire. Dans ce sens, ce politologue et également directeur de l’Ecole de gouvernance et d’économie de Rabat, considère que « l’une des formes modernes du radicalisme est induite par la manière avec laquelle l’Etat-nation construit  l’unité à des coûts relativement élevés qui passent par les génocides et les guerres civiles et religieuses».
La troisième dimension, et la plus importante selon l’intervenant, a trait au rapport à la religion. Il a souligné qu’« au Maroc, même si historiquement il a un référentiel religieux plus ou moins circonscrit ; à savoir le malékisme et l’acharisme d’une façon relativement implicite et que le pouvoir reprend de manière solennelle, officielle et institutionnelle. Mais il faut relever que  l’Etat ne s’est jamais occupé de la religion. Donc il n’avait pas à prendre en charge la nécessité de définir un dogme et l’imposer. La religion au Maroc, ce sont plutôt des religions et cette diversité est prise en charge par la communauté ou par des communautés à travers différentes institutions».
Le représentant de la section de l’éducation pour la paix et les droits de l’Homme à l’Unesco, Karel Fracapane, a pour sa part essayé de définir le concept d’extrémisme violent, tout en reconnaissant que cette tâche n’est pas aisée. Il a affirmé que  « les termes même d’extrémisme violent et de radicalisation résistent aux efforts de définition et l’Onu s’est abstenue d’en donner une qui soit stricte. Mais le dominateur commun qu’on trouve dans toutes les définitions publiées par ses Etats membres est que l’extrémisme violent traduit les croyances et les actions des individus qui soutiennent ou font usage de la violence pour entraîner un changement radical de la société sur la base de la motivation idéologique, religieuse ou politique. Et la radicalisation fait référence au processus qui mène à faire usage de cette violence au nom d’une idéologie radicale».
Après cette définition, l’intervenant a présenté la Stratégie de l’Onu pour la prévention de l’extrémisme violent et qui a été présentée à l’assemblée générale de l’Onu le 24 décembre 2015. «Ce document qui n’est pas un document descriptif, est en fait un cadre d’analyse à partir duquel les Etats membres sont invités à structurer leurs stratégies nationales. Il résulte d’un travail conjoint de plusieurs années mené par plusieurs agences onusiennes dont l’Unesco et  réunies notamment au sein de l'Equipe spéciale de lutte contre le terrorisme (CTITF) qui a été créée par le secrétaire général en 2005 pour coordonner les efforts des Nations unies en la matière ».
Tous les intervenants ont mis l’accent sur la radicalisation des élèves et des étudiants ou sur le contenu des manuels scolaires, mais ils ont passé sous silence un acteur principal. Il s’agit de l’enseignant qui transmet les connaissances. Par contre, la sociologue Rahma Bourqia a attiré l’attention sur l’importance de cet acteur dans la transmission de la radicalisation. Bien sûr, elle n’a pas généralisé, car il ne faut mettre tous les enseignants dans le même sac, comme  elle l’a affirmé dans son intervention. « La cible n’est pas seulement l’étudiant mais il faut également interroger les enseignants, qui se convertissent parfois en prêcheurs dans les classes. On ne peut pas généraliser mais ça existe », a-t-elle souligné.
Par ailleurs, elle a affirmé qu’«il faut interroger l’école et la manière avec laquelle elle transmet les connaissances, la religion, l’histoire, etc».

Une politique éducative frileuse
L’intervention de Mostafa Hassani Idrissi, professeur à la Faculté des sciences d’éducation, a mis le doigt sur l’une des failles de la politique d’enseignement mise en place au Maroc depuis l’indépendance. « La politique d’enseignement est frileuse. On a toujours l’impression qu’on a peur de quelque chose et qu’on ne règle pas les problèmes de fond. Je vais évoquer l’historique de ce phénomène rapidement. Au lendemain de l’indépendance, on avait peur des écoles privées et on a suivi le système hérité de l’époque coloniale. Après quoi, on a eu peur des idées marxistes et on a islamisé les programmes. Et aujourd’hui, on a peur encore une fois ». Et d’ajouter :«On est toujours sur la défensive. Il n’y a pas une conception mûrement réfléchie de l’école dont on est convaincu et qu’on fonde sur des assises solides. C’est cela qu’il nous faut. Comment voulons-nous que soit notre école ? Quel type de citoyen voulons-nous former ? Quel est le profil de ce citoyen qu’on veut former ? ».
L’intervenant a, par ailleurs, estimé que la réforme des programmes d’enseignement en cours doit essentiellement porter sur les matières porteuses d’idéologies comme « l’arabe, l’instruction religieuse ou islamique (vous voyez la restriction), l’histoire et la géographie, l’éducation à la citoyenneté, les langues (anglais, français et espagnol), et la philosophie ». Et d’ajouter : « Je pense que ces matières doivent être révisées de fond en comble. Je souhaite également que l’école soit accueillante. Car le bâti peut être violent. Quand vous entez dans une classe où il n y a pas de tables ni de chaises ou quand vous voyez des élèves assis à même le sol, vous avez honte. Y-a-t-il une violence  plus grande que ce genre de bâtiments ou de classes où s’entassent 50 élèves ? Notre école ne doit pas être violente mais accueillante. Elle doit être également attrayante pour que les élèves s’y sentent à l’aise. C’est très important. Un troisième point concerne la formation des enseignants ».
Pour sa part, Mohammed Benabdelkader, secrétaire-adjoint de la Commission nationale marocaine pour l’éducation, les sciences et la culture, a mis en exergue la problématique sémantique du radicalisme et de l’extrémisme dans la langue arabe, avant de donner sa propre définition de ce phénomène. « L’extrémisme ou le discours extrémiste, a-t-il expliqué, se base toujours sur des conceptions racistes, xénophobes et anarchistes, voire nationalistes, autoritaires et totalitaires qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel et philosophique, mais qui sont contraires, en théorie et en pratique, aux principes de la démocratie, des droits de l’Homme et du bon fonctionnement des institutions de l’Etat de droit ».
Par la suite,  il a donné un aperçu sur les « Dispositifs référentiels » en matière de prévention de l’extrémisme.  Il a souligné que depuis les attentats de Casablanca en 2003, Madrid en 2004 et Londres en 2005 les instances de l’UE ont commencé à réfléchir et proposer des textes sur la prévention de l’extrémisme violent… En 2007, le Conseil européen a adopté une stratégie de lutte contre le terrorisme fondée sur quatre piliers : la prévention, la protection, la poursuite et la réaction.
L’intervenant a également abordé la production de textes particuliers par les instances onusiennes dont le plan adopté en décembre 2015.
Il a, par ailleurs, affirmé que cette rencontre a pour but de préparer le plan d’action voire la stratégie du Maroc pour la prévention de l’extrémisme violent qu’il présentera devant les participants au  Forum mondial qui sera organisé par l’Unesco en septembre prochain.
Pour ce faire, une commission sera probablement créée et devrait se composer des représentants des acteurs institutionnels concernés par ce chantier (ministère de l’Education nationale, Délégation interministérielle aux Droits de l'Homme, CNDH, Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique  et Commission nationale marocaine pour l’éducation, les sciences et la culture), des acteurs de la société civile (associations des parents d’élèves, associations travaillant dans le domaine de l’éducation) et des experts en la matière.

L’expérience française
Lors de ce colloque, Michèle Hassen, inspectrice et responsable de l'Equipe mobile académique de sécurité (EMAS- Paris) a fait une intervention sur l’expérience française dans la prévention de la radicalisation dans les écoles de l’Hexagone.
« Comment relever ce défi ? », c’est-à-dire comment faire face au phénomène de radicalisation qui prend de plus en plus d’ampleur dans les écoles françaises ?, s’est-elle interrogée avant de mettre en exergue le plan national de lutte contre la radicalisation violente mis en place depuis 2014. Ledit plan permet de repérer les radicaux ou ceux en devenir non pas pour les dénoncer à la police, mais pour les accompagner et essayer de les dé-radicaliser. Pour ce faire, le ministère de l’Education française a mis en place un dispositif d’écoute et de signalement.
Par ailleurs, elle a appelé au renforcement de l’enseignement des faits religieux. Dans ce sens, elle a mis en exergue  l’enseignement moral et civique (EMC) qui a été créé par la loi du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l'école française. Ce nouvel enseignement mis en œuvre, de l'école au lycée à partir de la rentrée 2015, a pour objectif «d'associer, dans un même mouvement, la formation du futur citoyen et la formation de sa raison critique. Ainsi l'élève acquiert-il une conscience morale lui permettant de comprendre, de respecter et de partager des valeurs humanistes de solidarité, de respect et de responsabilité».


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