L’angoisse italienne, le choc européen


Jean-Marie
Jeudi 7 Mars 2013

L’angoisse italienne, le choc européen
L’angoisse collective, comme celle que ressent l’individu, résulte d’un sentiment de malaise général, mal défini,
profond, mais également insaisissable,
le pressentiment
 d’évènements à venir dont la méconnaissance nourrit l’angoisse, et ceci à juste titre car ces évènements situés
dans le futur sont par définition incertains.


Les résultats des élections italiennes illustre cette angoisse collective. Mais cette angoisse ne concerne t-elle que l’Italie?
Que Michel Sapin ministre courageux, reprenne, avec humour, dit-il, la formule de François Fillon: “La France est en faillite”, qu’un économiste de la qualité de Christian Saint-Etienne publie: “France: état d’urgence”, que de nombreux rapports mettent en lumière l’inquiétude des Français, voilà un ensemble d’ éléments qui traduit un malaise profond dont les conséquences sont imprévisibles, mais que l’on a déjà connu dans l’histoire.
Ces périodes historiques voient très souvent émerger des crispations politiques et une tentation des extrêmes. C’est la fonction des politiques d’expliquer et d’offrir des perspectives pour aider à la compréhension des évolutions profondes de nos sociétés ; il est évident que les politiques doivent être accompagnés des médiateurs: journalistes, intellectuels, corps intermédiaires. Ce “mal-être” politique ne touche pas que l’Italie et la France, mais semble assez largement partagé au niveau de l’Europe. Tentons d’expliquer cette situation par un rapide récit explicatif inscrit dans la longue durée, tant la mutation que nous vivons est profonde et irréversible.
La guerre de 1914/1918 a accouché de la chute ou du déclin des empires: austro-hongrois, ottoman, britannique, français...Deux superpuissances ont émergé dans les conséquences de ce conflit pour s’imposer à l’issue de la Seconde Guerre mondiale : les Etats-Unis d’Amérique et l’Union des Républiques socialistes soviétiques. A compter de cette période, elles ont organisé les relations internationales. Ce partage géopolitique a également structuré des prises de position idéologique en mode binaire: soit on était pour l’économie de marché, soit on était pour l’économie planifiée, pour le progressisme ou pour le conservatisme.
Ces deux guerres mondiales ont provoqué des massacres de masse gigantesques, c’est au regard de ces tragédies que la mise en place des institutions européennes fut rendue possible. Cette séquence historique dramatique a vu la puissance américaine se substituer, en termes d’influence, aux nations européennes. Des années 50 aux années 1990, le monde dit bipolaire s’est imposé. Prévisible et annoncée, la fin de cette vision simplifiée du monde est apparue de plus en plus clairement aux opinions publiques à la “chute du mur de Berlin”.
L’émergence visible des “nouvelles” puissances: l’Inde, la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud et la Turquie, pour ne citer que les plus importantes, vient souligner la fin de cette période où les deux superpuissances ainsi que leurs alliés dominaient le monde.
Ces nouvelles puissances par leur développement ont accumulé des réserves financières gigantesques. Dans l’impossibilité à moyen terme de les investir dans leurs propres économies, ces réserves sont prêtées aux économies dominantes pour financer les déficits accumulés depuis plus de trente ans. L’intérêt légitime des pays émergents reste que les marchés absorbent leurs productions, condition de leur développement et du maintien de notre “pouvoir d’achat” et de nos protections sociales collectives, ces politiques se faisant à crédit. Cette réalité certes très simplifiée, chacun l’admet et très peu la conteste.
La difficulté, comme toujours, reste dans les décisions qu’il faut prendre pour y apporter des solutions, et donc c’est sur ce plan que les divisions et oppositions apparaissent.
Il est clair que de nouveaux ensembles géographiques vont se constituer et d’ailleurs se constituent. Le renforcement de l’Europe n’est plus un enjeu, c’est une nécessité, une “ardente obligation” si l’on osait un tel détournement de formule. Là encore, rares sont ceux qui contestent cette nécessité, mais les affrontements portent, comme toujours, sur les méthodes et les moyens. Prenons donc acte de l’adhésion d’une très large majorité à cet engagement pour parvenir à faire émerger un consensus sur sa mise en œuvre.
Au plan intérieur, l’enjeu est manifeste, à défaut d’être facile à traduire en actions. L’impératif de réduire la dette n’est plus contestable. C’est la condition pour retrouver notre indépendance financière, et par là même se donner les moyens de maintenir un niveau de protection sociale rendu d’autant plus indispensable au regard des mutations économiques internationales.
Mais ne pas engager, en parallèle, une politique ambitieuse pour la croissance ne serait qu’une démarche malthusienne et très probablement suicidaire. Pour y parvenir, il faudra redéfinir des orientations, réformer notre appareil d’Etat, demander des efforts à tous mais principalement aux plus aisés et nous sommes nombreux à être concernés. C’est d’ailleurs la conciliation de ces deux impératifs dans des délais relativement courts qui fait l’extraordinaire difficulté de la démarche.
Bien évidemment cet énoncé est simpliste, tout en étant bien réel. Les conditions pour réussir collectivement : que le diagnostic soit très largement partagé, et qu’un rassemblement puisse se mettre en place afin de créer les conditions de la mobilisation. Notre pire adversaire: l’angoisse, mais le paradoxe est que pour lutter contre l’angoisse il faut énoncer clairement la réalité difficile qui s’annonce et les moyens ambitieux, mais douloureux, pour réussir, rien n’est plus anxiogène que l’incertitude.

*Tassëel : Huffington post


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