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Face à cette catastrophe imminente, le Royaume mobilise ses ressources et s’engage dans une bataille décisive contre un ennemi aussi minuscule que destructeur.
Un péril venu du désert
Les essaims de criquets pèlerins, apparus en Libye avant de ravager des pans entiers des terres agricoles tunisiennes et algériennes, avancent inexorablement vers le Maroc. Dans les provinces de Tata, Bouarfa, Errachidia et Tinghir, la vigilance est à son comble. En effet, des nuées de criquets ont été aperçues à la lisière du territoire marocain, en provenance des wilayas algériennes voisines, elles-mêmes submergées par des vagues acridiennes dévastatrices. L'Algérie, déjà en proie à de lourdes pertes agricoles, peine à contenir ce fléau. La wilaya de Ouargla, située à plus de 800 kilomètres au sud d’Alger, est l’une des plus touchées. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des nuages d’insectes envahissant les terres cultivables, laissant derrière eux des champs dévastés et des agriculteurs impuissants. En Libye, la situation est encore plus critique : le gouvernement a décrété l’état d’urgence, incapable d’endiguer la propagation.
Le Maroc, conscient du péril, a réagi avec célérité. Le Centre national de lutte antiacridienne (CNLA) a déployé des équipes d’ingénieurs et de techniciens sur le terrain afin de surveiller l’évolution de la menace et de préparer des ripostes ciblées. La réaction repose sur une approche combinée: surveillance par satellite, interventions terrestres et, en dernier recours, pulvérisation aérienne à l’aide des avions Canadair habituellement mobilisés pour les incendies de forêt.
Car il y a urgence. Un kilomètre carré d’essaims peut contenir jusqu’à 80 millions d’individus capables de dévorer, en une seule journée, l’équivalent de la consommation alimentaire de 35 000 personnes. Les cultures céréalières, les plantations maraîchères et les pâturages sont en première ligne. Pour un pays où l’agriculture occupe une place centrale dans l’économie et l’emploi, les conséquences pourraient être désastreuses. Une invasion acridienne d’envergure ne se limite donc pas à un simple fléau agricole ; elle touche à la sécurité alimentaire, à la stabilité économique et aux moyens de subsistance de milliers d’agriculteurs.
Comprendre l’ennemi
Mais pourquoi ces invasions se répètent-elles avec une telle régularité? Le criquet pèlerin est un maître de l’adaptation. Son cycle biologique est étroitement lié aux conditions climatiques et environnementales. Lorsqu’une sécheresse prolongée est suivie de pluies abondantes, le sol aride se transforme en un terreau fertile pour leur reproduction. Les zones désertiques du Sahara deviennent alors d’immenses pépinières où les larves se développent en grand nombre.
En temps normal, les criquets vivent en solitaire. Mais lorsque leur densité devient trop importante, un phénomène biologique se déclenche : ils entrent en « phase grégaire ». Leur comportement change, leur coloration évolue et ils forment d’immenses essaims capables de parcourir plusieurs centaines de kilomètres par jour.
Les vents sahariens et les courants aériens dirigent alors ces nuages vivants vers les terres cultivées, où ils trouvent une abondance de nourriture. Et lorsqu’ils arrivent, c’est une apocalypse végétale qui s’abat sur les champs.
Un défi géopolitique et régional
Ce fléau ne connaît pas de frontières. Il soulève une question cruciale : celle de la coopération entre les pays touchés. Pourtant, la situation géopolitique actuelle complique les choses. Les relations diplomatiques entre le Maroc et l’Algérie sont notoirement tendues, et cette crise acridienne met en évidence les difficultés d’une action concertée.
Théoriquement, la lutte antiacridienne devrait être un effort commun, impliquant des échanges de données, des interventions coordonnées et des stratégies synchronisées. Mais dans la réalité, chaque pays gère l’urgence selon ses propres moyens, sans véritable coordination. En Algérie, les moyens de lutte semblent dépassés par l’ampleur du phénomène. En Libye, l’instabilité politique compromet toute riposte efficace.
Cette absence de coopération est problématique. Car si un pays ne parvient pas à éradiquer les foyers de reproduction sur son sol, il expose ses voisins à une contamination inévitable. Dans un contexte où les tensions politiques l’emportent souvent sur la rationalité écologique, la guerre contre les criquets pèlerins devient aussi un enjeu diplomatique.
Prévenir plutôt que guérir
Le Maroc a tiré des enseignements des crises passées. La surveillance des zones à risque s’est renforcée ces dernières années, grâce à des partenariats avec des organismes internationaux et à l'utilisation d’outils technologiques avancés. Des satellites permettent désormais de suivre l’évolution des essaims en temps réel et des algorithmes de modélisation prédisent leurs trajectoires en fonction des vents et des conditions climatiques.
Mais au-delà de la réaction immédiate, plusieurs spécialistes estiment qu’il est temps d’envisager des solutions à long terme. Parmi elles, des méthodes biologiques émergent. Certains chercheurs explorent l’introduction de prédateurs naturels du criquet, comme des oiseaux ou des champignons parasites, capables de réduire la population acridienne sans recours massif aux insecticides.
D’autres approches s’intéressent à l’impact du changement climatique. L’altération des régimes pluviométriques et la dégradation des sols favorisent l’augmentation des épisodes acridiens. La restauration des écosystèmes désertiques et la gestion durable des terres agricoles pourraient ainsi jouer un rôle clé dans la réduction du risque.
Un combat qui ne fait que commencer
Les jours à venir seront décisifs. Si les essaims en approche parviennent à pénétrer profondément dans le territoire marocain, le coût des dégâts pourrait être colossal. L’agriculture, l’élevage et par extension la stabilité économique du pays sont en jeu.
Mais cette crise dépasse les frontières marocaines. Elle pose une question fondamentale : comment l’humanité peut-elle cohabiter avec un ennemi aussi ancien que la civilisation elle-même ? Depuis les temps bibliques, le criquet pèlerin a été le symbole de la désolation. Pourtant, aujourd’hui, grâce aux avancées scientifiques et technologiques, il est possible d’anticiper ses ravages et de limiter son impact.
Le Maroc se trouve à la croisée des chemins. Sa capacité à gérer cette crise acridienne sera un test, non seulement pour son agriculture, mais aussi pour sa résilience face aux défis environnementaux du futur. La guerre contre le criquet pèlerin est une guerre de l’ombre, discrète mais essentielle. Et dans cette bataille, la vigilance est la meilleure des armes.
Mehdi Ouassat