L’admission de la Palestine comme membre à part entière, à l’ordre du jour de la Conférence générale de l’Unesco : Le silence coupable de l’Alecso sur le patrimoine palestinien


Par Emna Ben Youssef *
Mercredi 26 Octobre 2011

L’admission de la Palestine comme membre à part entière, à l’ordre du jour de la Conférence générale de l’Unesco : Le silence coupable de l’Alecso sur le patrimoine palestinien
La Conférence générale de l’Unesco, qui se réunit tous les deux ans, tient sa 36ème session depuis hier jusqu’au 10 novembre
prochain à Paris.
Les délégations de 193 Etats membres, ainsi que des membres associés, des observateurs d’Etats non membres, les organisations intergouvernementales et ONG prennent part à cette session qui examinera, entre autres, la demande d’admission de la Palestine comme membre
à part entière de cette
organisation
internationale.

Quel que soit l’aboutissement de la démarche des Palestiniens auprès de l’Organisation des Nations unies pour la reconnaissance de leur Etat par la communauté internationale, ils comptent bien continuer leur lutte sur le terrain diplomatique international. Une nouvelle campagne se prépare à l’Unesco après la décision de son Conseil exécutif du 5 octobre courant recommandant à la Conférence générale de « reconnaître la Palestine comme membre à part entière au sein de l’Unesco ». Les 193 Etats membres auront donc à se prononcer sur cette recommandation lors de l’actuelle session de la Conférence générale prévue du 25 octobre au 10 novembre 2011.
L’Unesco est depuis longtemps le théâtre de rudes batailles sur les droits des Palestiniens à l’éducation et à la science, à la vie et à la dignité humaine, à la protection de leur culture et de leur patrimoine. Malheureusement, les échos de tous les efforts et résistances, des atermoiements et tergiversations, des échecs et des victoires échappent rarement aux grises murailles de la vénérable bâtisse parisienne pour atteindre l’opinion publique internationale et encore moins arabe et pour alerter sur les enjeux majeurs qui s’y préparent.
Le défi que les Palestiniens se sont fixé pour la prochaine Conférence générale de l’Unesco  découle de cette même aspiration légitime qui les a conduits à l’ONU, à savoir recouvrer  la souveraineté de décider de leur vie et de leur avenir et obtenir la liberté de disposer de leur terre et de leur patrimoine. Las de leur statut d’observateur à la merci de consensus apathiques et de pressions douteuses, les Palestiniens ont décidé de demander à la plus haute instance de l’Unesco non seulement d’accepter l’adhésion de la Palestine à l’Organisation mais aussi de la considérer désormais comme Etat-partie aux conventions internationales sur le patrimoine matériel et immatériel, ce qui leur permettra de suivre de près toutes les questions de protection du patrimoine culturel et naturel (Convention de 1972), celles d’interdiction de trafic illicite de biens culturels (Convention 1970), de respect de la diversité des expressions culturelles (Convention de 2005) ou encore celles du patrimoine immatériel et de ses richesses orales et visuelles (convention de 2003). Cela leur permettra surtout d’avoir le droit de voter les décisions y afférentes.
C’est en vertu de ces instruments normatifs que les Palestiniens et les Etats arabes et islamiques ont pu jusqu’à présent dénoncer et parfois même retarder les assauts israéliens sur les sites culturels palestiniens en particulier dans la vieille ville de Jérusalem, pourtant inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité en 1981 puis sur la liste du patrimoine mondial en péril en 1982. Mais il faut aussi reconnaître que  plusieurs décennies d’agitation diplomatique, de discours  et de décisions se référant aux  déclarations, conventions et autres textes de droit international n’ont pas empêché la catastrophe annoncée sur la majeure partie du patrimoine palestinien. La cause n’en est pas seulement la supériorité militaire et politique du colonisateur ni les appuis et les connivences dont il bénéficie de la part des plus grands de ce monde. Elle se trouve aussi tantôt dans l’effritement des efforts arabes, tantôt dans leurs  incompétences et leur manque d’expertise en tout genre, ou encore dans ces grains de sable qui rayent leur image, dans ces éclaboussures qui entachent leur crédibilité chaque fois qu’ils tentent de défendre leurs droits, si bien qu’ils  y vont souvent à reculons se contentant de déclamer de grandes oraisons et de lancer des promesses éphémères.
Lors de cette session de la Conférence générale de l’Unesco, le grain de sable, l’éclaboussure sera cette affaire qui entache la réputation  du directeur général de l’Alecso (Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences), accusé dans son pays, la Tunisie,  d’avoir contribué au déclassement  de sites à Carthage figurant sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco au profit d’une entreprise immobilière appartenant à la famille Ben Ali. Lorsque cette affaire avait éclaté dans les médias tunisiens et français en janvier dernier, Mohamed al-Aziz Ben Achour a expliqué son forfait dans une longue déclaration publiée en français, sur le site officiel de l’Alecso,  par l’obéissance qu’il devait en tant que ministre de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine de l’époque, au président de la République qui, lui, servait les appétits féroces des siens.
Cette explication n’a pas apaisé le peuple tunisien ni les très nombreux amoureux de Carthage de par le monde, d’autant que le gouvernement provisoire en Tunisie qui avait procédé après le 14 janvier au reclassement de certains terrains du parc de Carthage en vue de leur protection, ne réussit pas encore à stopper les assauts du puissant entrepreneur qui continue à ravager les mêmes  terrains à coups de pelleteuses et autres grues. Comme quoi en Palestine comme ailleurs la mémoire humaine n’en finit pas d’être outragée. Une petite victoire a cependant été enregistrée : le nom du directeur général de l’Alecso, ex-ministre de la Culture sous Ben Ali, figure désormais sur une liste publiée par le ministère tunisien de la Justice, elle concerne les personnalités interdites de voyager en attendant de comparaître et de répondre des accusations qui pèsent sur elles.  
L’Alecso, cette Unesco du monde arabe, comme il plait à ses dirigeants de le rappeler, et dont les objectifs premiers sont « la coordination des efforts arabes dans les domaines de l’éducation de la culture et des sciences… »  et « la protection du patrimoine arabe matériel et immatériel et sa sauvegarde », ne pourra donc pas jouer son rôle à la Conférence générale de l’Unesco. L’absence de son directeur général, là où tous les dirigeants des organisations internationales et régionales seront présents et prendront part aux discours officiels ne manquera pas d’être remarquée et commentée, d’autant que la cause en est bien connue.  Et à supposer même que le directeur général puisse obtenir un  « laissez-passer » exceptionnel pour se rendre  à l’Unesco, lui donner la parole, lui permettre  de défendre le patrimoine palestinien devant cette assemblée internationale discréditerait la cause et plomberait cet enjeu majeur pour la Palestine. Le Canard Enchaîné, en évoquant l’affaire Ben Achour dans son numéro daté du 26 janvier dernier, ne s’était-il pas délecté en annonçant que « le patrimoine des Arabes était en de bonnes mains » ?  
D’ailleurs cette petite « canardise » ajoutée aux rapports du Centre du patrimoine mondial sur la question avait décidé  la directrice générale de l’Unesco et l’ensemble du secrétariat à prendre  des distances vis-à-vis de M. Ben Achour. Il n’a été invité à aucune des grandes manifestations organisées ces derniers mois sur les transformations politiques et sociales dans les pays arabes et sur les projets d’action que l’Unesco a mis en œuvre pour les accompagner.  Ce grand embarras est probablement aussi la raison pour laquelle  l’Alecso reste  bizarrement silencieuse sur les événements et les évolutions sociales dans le monde arabe, car les divergences politiques et les spécificités historiques, sociales et économiques des pays arabes membres n’expliquent pas à elles seules le mutisme et l’inaction d’une organisation responsable au plus haut niveau  de l’éducation, de la culture et des sciences dans des sociétés qui bougent dans tous les sens et à toute vitesse !  
 A qui veut bien jeter un coup d’œil sur le site de l’Alecso pour découvrir ses activités à venir, une annonce clignote pourtant obstinément, elle dit : « Dans le cadre de l’intérêt qu’elle accorde à la préservation du patrimoine dans le monde arabe et à sa mise en valeur, l’Alecso vient de procéder à la création d’un Grand Prix du patrimoine… dont la première édition aura lieu en 2012». Le règlement du Prix annonce que sa récompense est de l’ordre de cinquante mille dollars, d’un trophée et d’un  certificat signé par le directeur général. Le même texte précise que «le lauréat ne doit pas être sujet d’une objection» et que «les dossiers de candidature reçus seront examinés par un jury élu par le directeur général de l’organisation».
Oyez ! Oyez, honnêtes gens ! Venez participer, vos candidatures au Grand Prix du patrimoine arabe seront en de bonnes mains.

 *Journaliste spécialisée dans les
organisations internationales  


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