Devant un mutisme total et une neutralité on ne peut plus passive et aberrante de la part des autorités publiques, le phénomène de la corruption ne pouvait qu'être normalisé durant les différentes étapes du marathon électoral qui vient de s'achever par le renouvellement du tiers de la Chambre des conseillers. Les prix des voix (des grands électeurs) qui n'ont malheureusement rien de grands, ont battu tous les records. La qualité du grand électeur est désormais un agrément pour se renflouer les poches à chaque rendez-vous électoral. Le phénomène est même devenu sujet à suspense et rebondissements dramatiques, mais porteur d'une nouvelle culture qui normalise la corruption dans cet exercice démocratique noble faussé par des créatures hors pair. Malheureusement, le simple citoyen qui s'est permis de vendre sa voix pour 200 ou 500 dirhams en est pour beaucoup dans cette mauvaise tournure de l'exercice électoral au Maroc. Je me souviens encore de ce jeune homme au bidonville Toma à Sidi Moumen. C'était à l'occasion des élections parlementaires 2007. Il nous avait tout simplement demandé si on avait de l'argent à donner contre les voix de son quartier. On lui avait évidemment fait remarquer que sa citoyenneté ne valait pas que 200 dirhams, malheureusement, il nous avait répondu avec un ton calme et tranchant : "Vous allez tout rater les amis, vous verrez!" Malheureusement, la "théorie" de ce jeune homme s'est confirmée le jour des élections ; mais nous n'avions rien raté, au contraire, nous avons eu l'occasion de suivre de près la neutralité passive et orientée des autorités publiques. A Essaouira, à l'occasion des dernières élections municipales, c'était la folie. La vente aux enchères des voix a commencé trop tôt. Je me souviens encore de ce militant de gauche scandalisé par les propos d'un spéculateur qui lui avait proposé 30 mille dirhams contre 100 voix. Des zones électorales achetées ont été même devant les autres listes. Je me souviens encore de cette scène scandaleuse de plusieurs dizaines de conseillers municipaux de la province d'Essaouira, c'était à l'occasion de l'élection du Conseil provincial. Ils s'étaient rassemblés devant le siège de la province, refusant d'introduire les urnes avant d'être payés. Tout le monde observait et suivait ces scènes indécentes de marchandage dont ont fait l'objet les candidats. Mais personne n'avait levé le petit doigt pour protester contre cette image de désolation. Après, il y avait les élections des Chambres professionnelles qui avaient reproduit les mêmes pratiques, et puis le Conseil régional qui avait officialisé la corruption toutes catégories confondues, et finalement le renouvellement du tiers de la Chambre des conseillers qui a connu des rebondissements spectaculaires dans la région de Marrakech-Tensift-El Haouz à titre d'exemple. A deux jours des élections, on racontait des bizarreries au-delà de toute logique politique ; on parlait d'un parti politique qui avait exigé de son candidat d'apporter l'argent nécessaire pour s'adjuger les voix des grands électeurs dont sept ont joué au joker en se retirant d'une alliance pour mettre la barre encore plus haut. Le porte-parole des "sept hommes" demandait 300 mille dirhams puisqu'il était le seul à détenir le code PIN de ses amis, tandis que le reste de l'équipe demandait 200 mille chacun. On parlait du coordonnateur d'un certain parti politique qui sillonnait la ville ocre avec son argent sale dans sa voiture. Il n'avait pas froid aux yeux, il négociait et achetait les voix des grands électeurs en plein jour, car il était assuré de la neutralité absolue des autorités. Faut-il encore rappeler que la qualité de grand électeur s'est transformée en agrément entre les mains des élus qui l'exploitent à chaque rendez-vous électoral pour se renflouer les poches à l'insu des citoyens mais au vu et au su des autorités?
Le dernier marathon électoral a suffisamment démontré les limites du code électoral marocain qui ne peut, dans son état actuel, être garant de transparence et d’intégrité de l'exercice démocratique. Il a aussi mis à nu le vrai visage du "mythe" de neutralité des autorités qui a permis, entre autres, la normalisation de la corruption, de l'opportunisme et le discrédit des élections, chose qui ne peut en aucun servir la réconciliation du citoyen marocain avec la chose politique.