L’Egypte et le conflit syrien


Par Hicham Mourad
Mardi 4 Mars 2014

L’Egypte et le conflit syrien
Le 22 février 1958, l’Egypte et la Syrie ont proclamé leur union, sous le nom de la République Arabe Unie (RAU). Cette fusion représentait l’apogée du panarabisme, sous la houlette du président Gamal Abdel-Nasser. Elle sera toutefois de courte durée. En septembre 1961, un groupe d’officiers syriens, mécontents de la domination de l’Egypte, mène un putsch et déclare l’indépendance de la Syrie de la RAU. Ils tentent toutefois de renégocier une nouvelle union politique avec Le Caire, mais Nasser refuse.
56 ans après la proclamation de l’union égypto-syrienne, le panarabisme a fait son temps et cédé la place aux intérêts nationaux, parfois étroits, des différents Etats arabes. La figure de Nasser a cependant fait un retour remarqué dans le paysage politique égyptien, notamment après le soulèvement populaire du 30 juin dernier contre le régime des Frères musulmans. La malheureuse expérience de la confrérie au pouvoir, où les alliances et les solidarités confessionnelles, parfois supranationales, ont pris le pas sur les intérêts nationaux et les solidarités panarabes, y est sans doute pour quelque chose. Plus généralement, l’instabilité politique et la détérioration sécuritaire et économique, depuis le 25 janvier 2011, ont créé une forte nostalgie à l’époque révolue de gloire de l’Egypte sous Nasser dans les années 1950 et 60. Aujourd’hui, le probable candidat à l’élection présidentielle et vraisemblable prochain président, le ministre de la Défense, Abdel-Fattah Al-Sissi, est souvent associé au raïs Abdel-Nasser. Mais ceux qui font ce rapprochement pensent surtout à l’homme fort, dont le pays a cruellement besoin dans la conjoncture actuelle, et non pas aux politiques panarabes d’une autre époque, notamment vis-à-vis de la crise syrienne.
Ce sentiment panarabe était pourtant perceptible dans la réaction populaire hostile à une éventuelle frappe militaire américaine contre le régime de Damas en septembre dernier, malgré la large solidarité avec l’opposition au président Bachar Al-Assad. Cette réaction hostile à toute intervention militaire étrangère en Syrie est partagée par le gouvernement intérimaire. Une position à l’opposé de celle adoptée par Le Caire sous le régime des Frères musulmans.
Sous l’ex-président, Mohamad Morsi, la politique égyptienne envers la guerre civile en Syrie a pris clairement un virage confessionnel. S’entourant de nouveaux alliés composés de figures salafistes et d’anciens djihadistes, il annonce le 15 juin 2013 la rupture des relations diplomatiques avec Damas, réclame l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie, demande au Hezbollah chiite libanais de quitter la Syrie et autorise, voire encourage les Egyptiens à aller combattre aux côtés de l’opposition armée syrienne, face à la colère de la diplomatie et de l’armée égyptiennes qui y voyaient une politique imprudente aux conséquences incalculables. L’Egypte avait déjà souffert dans les années 1990 d’une vague d’attentats terroristes commis, entre autres, par ceux que l’on avait appelés les « Afghans égyptiens », ces jeunes Egyptiens qui avaient été autorisés et encouragés par le président Anouar Al-Sadate à combattre les troupes soviétiques en Afghanistan. Aujourd’hui, l’on parle des « revenants » de la Syrie, ces Egyptiens qui rentrent au pays alimenter la vague terroriste, après avoir combattu aux côtés des djihadistes syriens. Peu de temps après son investiture le 30 juin 2012, Morsi lance en août son initiative de créer un quartette islamique, composé de l’Egypte, de la Turquie, de l’Arabie saoudite et de l’Iran, pour régler la crise syrienne. Mais les divergences entre l’Iran, allié stratégique et indéfectible du régime syrien, et Riyad, partisan du départ du président Assad et très hostile à Téhéran, n’ont permis d’accomplir la moindre avancée.
La destitution de Morsi et l’accession au pouvoir d’un président et d’un gouvernement intérimaires amènent l’Egypte à adopter une politique plus prudente vis-à-vis de la crise syrienne, débarrassée de sa dimension confessionnelle. Engluée dans ses problèmes intérieurs et en manque de moyens financiers, l’Egypte post-Morsi observe une politique non interventionniste, se contentant d’annoncer des positions diplomatiques appelant à une solution politique à la crise. Contrairement à Morsi qui avait pris fait et cause pour l’opposition armée, le régime intérimaire s’emploie à observer une position de neutralité entre les différents protagonistes syriens.
Mais Le Caire est conscient que le conflit en Syrie est devenu au fil du temps une guerre par procuration, où s’affrontent puissances régionales et mondiales, notamment l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie, l’Iran, la Russie, les Etats-Unis et l’Union européenne. Se montrant pessimiste sur une solution rapide à la crise en raison des multiples interventions étrangères, où s’affrontent des intérêts divergents, l’Egypte croit qu’un règlement ne peut intervenir qu’à travers un « grand marché » qui serait conclu entre les puissances étrangères qui soutiennent l’une ou l’autre des deux parties en conflit. Ce qui nécessite des concessions réciproques et des compromis, encore introuvables.
Le Caire s’inquiète toutefois de la poursuite de ce conflit armé et de ses répercussions négatives et déstabilisatrices sur la Syrie, les pays voisins et l’ensemble de la région, dont l’Egypte. A commencer par le problème des réfugiés qui étaient de 2,4 millions de personnes en 2013. Leur nombre ne cesse de grandir. Ils se trouvent essentiellement dans les pays voisins, le Liban, la Jordanie, la Turquie, l’Iraq, mais aussi en Egypte, où les réfugiés enregistrés sont de l’ordre de 120 000. Les estimations non officielles les placent cependant à quelque 250 0000 à 300 000. Plusieurs de ces réfugiés sont en butte à des tracasseries et à un climat hostile en raison du soutien apporté par certains d’entre eux à la mouvance des Frères musulmans. En tout cas, les autorités égyptiennes perçoivent la présence massive et incontrôlée de réfugiés syriens comme un facteur déstabilisateur, à un moment où l’Egypte fait face à des problèmes graves de sécurité et de terrorisme. L’imposition de restrictions sur l’octroi de visas aux réfugiés syriens peut se comprendre par ces craintes.
L’Egypte se soucie davantage, en cas de prolongation du conflit ou de chute du régime de Bachar Al-Assad, d’une possible désintégration de l’Etat syrien suivant des critères confessionnels (sunnites versus alaouites, qui sont une branche du chiisme) et de ses prévisibles conséquences déstabilisatrices sur l’ensemble de la région, en particulier les pays du Golfe. Ceux-ci, précisément l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et le Koweït, où se trouvent d’importantes minorités chiites, sont les principaux soutiens financiers et pourvoyeurs de fonds à l’Egypte. La poursuite de leur assistance financière multiforme est capitale pour la réussite de la période de transition et la relance de l’économie, saignée à blanc depuis le 25 janvier 2011.
 
* Rédacteur en chef 
d’Al-Ahram Hebdo


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