L’Afrique face aux enjeux géostratégiques


Par Abderrahmane Mebtoul *
Mardi 28 Janvier 2014

L’Afrique face aux enjeux géostratégiques
Comment ne pas souligner que l’Afrique, malgré ses importantes potentialités, est marginalisée au sein tant du produit intérieur mondial que du commerce mondial avec des variations par pays car, il n’existe pas une Afrique mais des Afriques. Certains pays notamment le Nigeria, le Gabon, le Tchad, la République démocratique du Congo, l’Algérie, la Libye sont spécialisés dans le pétrole, le gaz et les matières premières, qui connaissent une forte demande et un prix élevé sur le marché mondial leur permettant une relative aisance financière mais artificielle en fonction des cours mondiaux et donc de la croissance de l’économie mondiale notamment des pays développés et émergents. A l’inverse, des pays comme le Bénin, le Malawi, l’Ile Maurice, le Swaziland, l’Ethiopie, le Togo, le Mali, qui sont pénalisés dans des produits qui connaissent souvent une détérioration en termes d’échange, la misère, la famine et  souvent des conflits internes et externes où le budget des dépenses militaires en Afrique dépassent l’entendement humain au détriment de l’allocation des ressources à des fins de développement.
 
L’impact mitigé 
du Nepad
Le 23 octobre 2001, au Sommet de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) qui s’est tenu à Abuja, trois chefs d’Etat africains, constatant l’échec de tous les efforts fournis en matière de développement en Afrique, prennent l’initiative de proposer une nouvelle approche dans le traitement des problèmes que vit le continent. Les pays constituant l’Afrique par zones sont :
a – (Afrique du Nord – Algérie – Egypte – Libye – Maroc – Tunisie.
b – Afrique occidentale – Bénin – Burkina Faso – Côte d’Ivoire – Ghana – Guinée Bissau – Libéria – Mali – Mauritanie – Nigeria – Sénégal – Togo.
 c – Afrique centrale – Burundi – Cameroun – République centrafricaine – République démocratique du Congo – Guinée équatoriale – Rwanda – Tchad.
d – Afrique orientale – Djibouti – Erythrée – Ethiopie – Kenya – Ouganda – Soudan – Tanzanie.
e – Afrique australe et océan indien – Afrique du Sud – Madagascar – Malawi – Maurice – Zambie – Zimbabwe.
Cette initiative a été une synthèse entre deux plans : celui de l’Algérie, de l’Afrique du Sud  du sud-africain, appelé « Millenium African Plan » (MAP) et celui du Sénégal (permettant à la France de se positionner) dénommé plan Omega. Ces deux plans sont fusionnés pour donner la « Nouvelle initiative africaine » (NIA). La NIA prendra plus tard le nom de « Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique » ou Nepad (de l’anglais « New Partnership for African Development »). Le Nepad avait été conçu pour faire face aux difficultés que connaît le continent africain actuellement mais hélas son impact est très mitigé pour ne pas  dire nul. L’objectif au départ du Nepad était par exemple de traduire en actes concrets notamment le problème de l’eau et de l’énergie. L’enjeu fondement du développement de l’agriculture qui devait reposer plus sur les cultures vivrières est un enjeu majeur du continent sans oublier les conflits comme ceux récemment entre l’Egypte et l’Ethiopie pour l’eau du Nil.  Sans oublier le problème de la désertification en Afrique et donc également d’une véritable politique écologique, tenant compte de la protection de l’environnement et du cadre de vie dont les forêts. Car, il est prouvé mondialement ces dernières années dans les différents rapports de l’ONU, l’Unesco, du Conseil mondial de l’eau, que les ressources en eau vont poser un grave problème à l’humanité, les deux tiers de la planète dont l’Afrique, risquant de souffrir d’un manque d’eau grave en cas où les schémas actuels de la politique de l’eau restent inchangés.
Quant à l’accès à l’énergie des pays africains qui en sont dépourvus, il était prévu le développement des infrastructures de transport et de communication, notamment les grands projets comme le Nigal - gazoduc Nigeria-Europe via Algérie nécessitant un financement prévu au départ à plus de 7 milliards de dollars US mais qui a été réévalué en 2012 à plus de 15 milliards de dollars toujours malheureusement en gestation, avec la connexion des gisements tchadiens de gaz qui sont des projets structurants pour l’Afrique. Par ailleurs, les sujets tels que l’intensification de la pauvreté et le sous-développement des pays africains ainsi que la constante marginalisation de l’Afrique nécessitent ainsi que la corruption montre le peu d’impacts de cette organisation. Le rapport conjoint BAD-GFI diffusé le 29 mai 2013 met en relief que l’Afrique a pâti de sorties nettes de fonds de l’ordre de 597 milliards de dollars à 1 400 milliards de dollars, entre 1980 et 2009, après ajustement des transferts nets enregistrés pour les flux financiers sortants frauduleux et que la fuite des ressources hors de l’Afrique au cours des trente dernières années – l’équivalent du PIB actuel de l’Afrique – freine le décollage du continent.
« L’idée reçue a toujours été que l’Occident injecte de l’argent en Afrique, grâce à l’aide étrangère et aux autres flux de capitaux du secteur privé, sans recevoir grand-chose en retour. Notre rapport inverse le raisonnement : l’Afrique est en situation de créancier net par rapport au reste du monde depuis des décennies », a déclaré Raymond Baker, directeur du Centre de recherche et de défense basé à Washington. Comment dès lors fixer durablement les populations par un développement durable et éviter ce mythe d’eldorado artificiel notamment l’Europe, l’Amérique ou l’Australie ? L’Afrique perd chaque année 20 000 professionnels comme conséquence de la « fuite des cerveaux », selon le bulletin de la Commission européenne. Un tel exode influe négativement sur le continent dont le départ des compétences intellectuelles vers d’autres continents contribue à marginaliser l’Afrique dans les systèmes mondiaux du savoir. Le fait que ces personnes qualifiées et compétentes ne retournent pas dans leur pays, souvent pour des raisons de marginalisation par le pouvoir constitue la cause de l’impossibilité pour l’Afrique, d’entrer dans l’arène mondiale du savoir.
 
L’Afrique et les 
tensions au Sahel
 Depuis des siècles, l’Afrique via le Maghreb  est liée avec l’Europe où les relations entre les deux rives du Sahara et les dynamiques de la conflictualité saharienne actuelle interpellent l’Europe sur les relations de toutes natures entre le Maghreb et l’Afrique noire et notamment subsaharienne avec la pénétration de l’islamisme radical à ne pas confondre avec l’islam religion de tolérance à l’instar du judaïsme ou du christianisme avec des menaces réelles  tant au Maghreb, qu’en Europe. Et sans oublier qu’existent des influences religieuses autour de la conception de l’islam en Afrique qui influence largement les dirigeants politiques. Entre les Frères musulmans qui encouragent les le maraboutisme (zaouias) dominantes d’ailleurs au Maghreb financé par un pays comme le Qatar, et les djihadistes largement financés par l’Arabie Saoudite qui y voient une dérive de la religion, comme en témoigne la destruction des mausolées au Mali lors de l’occupation dans certaines régions par les djihafistes. Nous avons assisté dans la région à de profondes mutations de la géopolitique saharienne après l’effondrement du régime libyen, avec des conséquences pour la région et avant l’intervention française à la sécession du Nord-Mali.
Déjà, les rapports entre le Sahel et la Libye de Kadhafi étaient complexe, ce dernier  s’appuyant sur les Touareg, minoritaires dans tous les pays de cette région, et s’estimant maltraités aussi bien par les Arabes au Nord que par les Subsahariens au Sud, leur donnant  des armes et de l’argent avec la possibilité de les utiliser contre les gouvernements du Sahel. Encore qu’il faille ne pas confondre la stratégie des Touareg, locale avec Aqmi qui est une organisation supranationale avec une composante de pays variés ayant ses propres filières de contrebande. Bien avant et surtout depuis la  chute du régime de Kadhafi, le Sahel est l’un de ces espaces échappant à toute autorité centrale, où se sont installés groupes armés et contrebandiers. Kadhafi disparu, ce pays n’ayant jamais eu d’Etat au sens proprement dit à l’instar de bon nombre de régimes dictatoriaux qui s’appuient sur des proches soit familiaux ou régionaux pour conserver le pouvoir,   des centaines de milliers, dont 15.000 missiles sol-air étaient dans les entrepôts de l’armée libyenne, puis ont équipé les rebelles au fur et à mesure de leur avancée dont une partie a été accaparée par différents groupes qui opèrent au Sahel. Le directeur du FBI, James Comey, qui a affirmé le 14 novembre 2013 devant le Congrès qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) constituait une forte menace aux intérêts américains et occidentaux dans la région de l’Afrique du Nord et du Sahel.
C’est donc dans un contexte d’instabilité dans la zone sahélo-saharienne, que la France a accueilli  les 6 et 7 décembre 2013  les chefs d’Etat africains. La résolution finale a insisté sur l’urgence de lever les contraintes du fait que la corruptibilité générale des institutions pèsent lourdement sur les systèmes chargés  de l’application des lois et la justice pénale en  général qui ont des difficultés à s’adapter aux  nouveaux défis posés par la sophistication des   réseaux du crime organisé. La collaboration inter juridictionnelle est ralentie par l’hétérogénéité des systèmes juridiques notamment en Afrique du Nord et en Afrique noire. De plus, la porosité des frontières aussi bien que la coordination entre un grand nombre d’agences chargées de la sécurité aux frontières posent de grands  problèmes. A terme, il s’agira d’attirer graduellement les utilisateurs du système informel vers le réseau formel et ainsi isoler les éléments criminels pour mieux les cibler tout en diminuant les dommages collatéraux pour les utilisateurs légitimes. La plupart des dirigeants du Maghreb, d’Afrique, d’Europe et des Etats Unis d’Amérique s’accordent dorénavant sur la nécessité de coopérer davantage face à la menace de l’insécurité et du crime organisé.
Il s’agit dorénavant de mettre l’accent sur  l’obligation de mettre en application une stratégie interrégionale qui associe l’ensemble des pays de la zone en plus des partenaires européens et internationaux, du fait que la région est devenue un espace ouvert pour divers mouvements terroristes et autres groupes qui prospèrent via le trafic d’armes ou de drogue,  menaçant la sécurité régionale et par ricochet l’Europe et les USA. Et ce, comme cela a été mis en relief lors de la 22e conférence régionale africaine internationale d’Interpol, tenue à Oran (Algérie) en septembre 2013 où la résolution finale stipule l’urgence d’une coopération tant africaine que mondiale dans la lutte contre la criminalité transnationale avec l’implication de chacun des Bureaux centraux nationaux d’Interpol des 190 pays membres, nécessitant  une amélioration des bases de données afin de lutter efficacement contre le crime transfrontalier et le terrorisme.
 
La responsabilité 
avant tout des 
dirigeants africains
 Les dirigeants tant européens qu’africains doivent s’attaquer à l’essence de ce mal et non aux apparences comme le montre une étude du Forum économique mondial – WEF - du 14 novembre 2013 qui révèle que fortement secoués depuis deux ans par des crises politiques à répétition, les pays d’Afrique du Nord, dont fait partie l’Algérie sont à l’aube d’une crise majeure et sont une source d’inquiétude, ces pays traversant une crise morale du fait du   manque de valeurs au niveau du leadership.
Le fossé entre les riches et les pauvres devient de plus en plus grand et tandis que l’écart de revenus renforce les inégalités en matière de richesse, l’éducation, la santé et la mobilité sociale sont toutes menacées. L’étude met en garde contre les conséquences pernicieuses du chômage : « une génération qui commence sa carrière dans un désespoir complet sera plus enclin aux politiques populistes alors que  l’ampleur de la récession mondiale et le rythme du rétablissement ont laissé des cicatrices profondes, spécialement parmi la jeunesse ». Le rapport considère « qu’il y a maintenant un consensus croissant selon lequel la région (Mena, Proche-Orient et Afrique du Nord) est à l’orée d’une période d’incertitude croissante, aux racines ancrées dans la polarisation de la société. C’est ce qui explique que parallèlement au sommet des chefs d’Etat se tiendront plusieurs forums économiques regroupant plusieurs centaines de personnalités africaines et des deux rives de la Méditerranée, les 4 et 5 décembre 2013 afin de dynamiser le développement harmonieux entre l’Europe et l’Afrique dans le cadre de copartenariats et des colocalisations.
Mais en dehors de ces forums, l’Afrique sera ce que ses dirigeants et ses populations devant éviter toute vision européocentriste, et voudront qu’elle soit par une nouvelle vision garantissant la régénération de l’Afrique. Disons-le franchement, les dirigeants africains portent une lourde responsabilité devant leur population et doivent respecter davantage les principes de démocratie dont le fondement est la bonne gouvernance, donc la lutte contre la corruption et les mentalités tribales, la protection des droits de l’Homme et s’engager résolument dans la réforme globale. Il est donc impératif pour les pays développés et pour l’intérêt de l’humanité qu’à une vision strictement marchande se substitue un codéveloppement pour une richesse partagée tenant compte, d’une bonne gouvernance par une lutte efficace contre la corruption qui mine les nations africaines. L’Afrique pour peu que les dirigeants dépassent leurs visions étroites d’une autre époque, a toutes les potentialités pour devenir un grand continent avec une influence économique dans la mesure où en ce XXIème siècle l’ère des micros-Etats étant révolue et que la puissance militaire est déterminée par la puissance économique.
Pour cela, des stratégies d’adaptation au nouveau monde sont nécessaires pour l’Afrique, étant multiples, nationales, régionales ou globales mettant en compétition/confrontation des acteurs de dimensions et de puissances différentes et inégales. Face aux menaces communes et aux défis lancés à la société des nations et à celles des hommes, les stratégies de riposte de l’Afrique doivent être collectives, étant l’objet de toutes les convoitises (notamment USA via Europe/Chine). Le continent Afrique est un enjeu géostratégique majeur au XXIème siècle avec plus de 25% de la population mondiale,  d’importantes ressources non exploitées, sous réserve d’une meilleure gouvernance et d’intégrations sous-régionales à l’horizon 2030, l’axe de la dynamisation de la croissance de l’économie mondiale devant se déplacer de l’Asie vers l’Afrique expliquant en partie les tensions actuelles. L’Afrique dont le Maghreb sous-segment de l’Afrique du Nord, devant servir de pont entre l’Europe et l’Afrique noire, est appelé à se déterminer par rapport à des questions cruciales et de relever des défis dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils dépassent en importance et en ampleur les défis qu’il a eus à relever jusqu’à présent. En bref, le dialogue des civilisations s’avère plus que jamais nécessaire à la cohabitation entre les peuples et les nations.
 
* Docteur d’Etat en gestion
Intervention  au séminaire 
international organisé du 27 
au 29 janvier 2014 à Rabat par l’ARGA sous le thème : 
«Quelle gouvernance 
et économie pour l’Afrique ?» 


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