«Kodak», ce nom magique, disparaîtra-t-il de notre répertoire? L’homme est muet, seule l’image parle


Par Lucien Clergue
Mardi 31 Janvier 2012

La puissance de l’image est d’une force telle que personne désormais ne peut y échapper, et pourtant cette année, la firme la plus prestigieuse est en faillite.
Kodak, ce nom magique, disparaîtra-t-il de notre répertoire ? Il fut un temps où quelque appareil de photo que ce soit était désigné comme «un Kodak». Nom lancé en 1888 par George Eastman, un génial philanthrope, qui l’invente à partir de sa passion pour la lettre K : trouver un nom qui commence et finisse par la même lettre, et qui puisse être prononcé et compris dans toutes les langues.
Ce nom et son slogan : «appuyez sur le bouton, nous ferons le reste» ont accompagné toute notre vie. Les appareils certes, mais aussi les pellicules et en particulier le fameux Kodachrome inégalé et resté sous contrôle de Kodak qui assurait le développement en exclusivité. Elle a disparu malheureusement des étalages.
En 1975, Steven Sasson, ingénieur chez Kodak construit le premier appareil photo numérique et en 1990, Kodak commercialise le D1, premier appareil numérique professionnel, mais la firme Kodak n’y crut pas suffisamment et c’est ce qui l’a conduite à sa perte. Peut-être comme la firme General Motors, retrouvera-t-elle un second souffle et reviendra-t-elle sur le devant de la scène ?
Axel de Tarlé qualifie de «snobinards» dans le JDD, les quelques photographes (dont je suis) accrochés à l’argentique ! Et bien oui, c’est un produit inégalable, que j’utiliserai tant que je le pourrai, tout en sachant que l’évolution de la technologie fera du numérique le produit de référence. Puis-je rappeler ici la prédiction que j’ai énoncée dans mon discours d’entrée à l’Académie : un jour viendra où on nous placera une puce sous la peau et d’un clin d’œil la photographie sera prise! Parlera-t-on encore d’art ?
Il n’y a pas lieu de se réjouir de certaines disparitions. Déjà en 1969 lorsque notre firme nationale LUMIERE fût rachetée par l’anglais ILFORD, j’avais écrit au ministre de l’Industrie de l’époque lui reprochant d’avoir laissé mourir ce nom si emblématique à l’origine de la Photographie et du Cinématographe !
L’engouement pour la photographie est grand mais en France, la place du photographe comme artiste est au début de son histoire.
En ma qualité de membre du Conseil d’administration de l’AGESSA, l’institution de protection sociale des artistes, j’ai pu constater qu’il y avait autant de peintres adhérents que de photographes, alors qu’à l’Académie des Beaux-arts nous ne sommes que deux avec Yan Arthus-Bertrand, face à vingt artistes plasticiens.
C’est pourtant à l’Académie qu’en 1839 Arago annonça la naissance de la Photographie, procédé que la France offrit généreusement au monde en octroyant une pension à Daguerre et au descendant de Niepce mais il fallut attendre 2006 pour que nous y entrions tous les deux.
J’ai constaté que l’Institut de France dont nous faisons partie possède 17000 tirages dont les «incunables» de Talbot et les archives de tous les premiers artistes photographes du XIXème. Les pièces maitresses seront exposées prochainement en Arles pour les Rencontres Internationales que j’ai créées voilà 43 ans (avec Michel Tournier et Jean-Maurice Rouquette). Cette présentation sera possible grâce aux travaux effectués par mon collègue et correspondant de l’Académie Bernard Perrine, qui publiera le résultat de ses recherches notamment dans les collections du Duc d’Aumale déposées au Musée Condé de Chantilly dans le prochain numéro de La lettre de l’Académie.
Désormais la Photographie s’est installée comme un art. Déjà collectionnés par le Museum of Modern Art entre les deux guerres, les tirages ont vu leur cote monter sans cesse : alors qu’Edward Weston, sur son lit de mort en 1958 imposait à ses fils de ne pas vendre ses tirages moins de 30 dollars, certains en valent aujourd’hui plus d’un million ; tout récemment Gurski a même dépassé les 4,3 millions de dollars pour une épreuve certes de grand format mais tirée à 5 exemplaires, achetée par un musée de Philadelphie.
On pourra cette année en France, outre la célébration du 30ème anniversaire de la création de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie, inaugurée par François Mitterrand , admirer les expositions d’illustres photographes : Helmut Newton au Grand Palais, Bérénice Abbott (qui fut l’assistante de Man Ray et la protectrice d’Atget) au Jeu de Paume, alors que Cindy Sherman, quant à elle, sera exposée au MoMA de New York. Mais présentement réjouissons-nous des expositions parisiennes en cours : Robert Doisneau pour fêter son centenaire par ses photos des Halles à l’Hôtel de ville de Paris (sans oublier l’admirable livre de J.C. Gautrand «Paris, portrait of a city»), pendant que des œuvres du toulousain Jean Dieuzaide (mort en 2003) seront exposées à la Maison Doisneau de Gentilly, que Dominique Isserman présente les photographies de sa muse Laetitia Casta à la MEP de Paris, et que les recherches de l’ukrainien Boris Mikhailov sont présentées à la galerie Suzanne Tarasieve. Mais on peut aussi regretter que la rétrospective de Gilles Caron disparu durant la guerre du Cambodge en 1970, n’ait toujours pas été organisée en France, alors que paraissent sous le titre «J’ai voulu voir» ses lettres à sa mère pendant son service militaire en Algérie, (Ed. Calmann-Levy) ainsi qu’une importante monographie sous le titre Scrapbook (Ed. Liénart).
Je n’ai pas le cœur à aborder les problèmes de l’image sur le Web, la fermeture par le FBI du site MegaUpload et les controverses françaises sur la loi Hadopi nous interpellent, je vous le disais bien «l’homme est muet seule l’image parle»

 * Photographe membre de l’Académie française des beaux-arts


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