"Kidnappeur de places"


Libé
Mercredi 1 Août 2012

"Kidnappeur de places"
Kidnappeur de places (ou auto-emploi) Je l’ai rencontré ce matin, sur mon chemin, à quelques centaines de pas de chez moi. Grand, massif, moustachu et debout. A héler ! Non, il n’est pas poissonnier de son état, pas plus qu’un vendeur à la sauvette. Lui, a un métier, entre les mains et si l’on croit la file qui s’allonge, il a beaucoup d’avenir. Lui, c’est, selon la formule usagée « un kidnappeur ». Il ne kidnappe pas les personnes, heureusement. Il vivote en «kidnappant » des places.
En somme, un transporteur clandestin. Il opère dans une clandestinité affichée, à cheval entre les clins d’œil qu’il adresse d’une façon espiègle à ceux qui lui demandent pourquoi il n’opère pas dans la légalité et en se cachant, au frais de mille et un détours, pour éviter ceux, qui sont payés pour entraver son travail. Car il a des bouches à nourrir, des roues à entretenir, un moteur qui s’enraye et des amortisseurs qui manifestent leur agonie au moindre soubresaut.
Mais qui est-il ? Et pourquoi pas qui est-elle ? Car j’en ai croisé, une, une fois, avec un look passe partout, plutôt jeune, tendant la main pour réceptionner les billets et tenant de l’autre le volant. Le kidnapping est unisexe, barbu ou glabre, vieux ou jeune, prônant l’auto-emploi ou s’affichant affranchi de tout. Mais pas de tous. Car derrière tout kidnappeur, s’érige la face crispée du courtier, qui à force de cris, de grimaces, ameute, déplace, indique, oriente. Bref, le parfait portrait de l’homme qui s’auto - emploie.
         Au tout début, j’ai été récalcitrant à ce genre particulier de kidnapping, préférant de loin le petit taxi (trop cher) ou le grand taxi. Depuis que j’ai été hélé par cet inconnu, j’ai vite adopté ce mode detransport qui allie l’inconfort du grand taxi, la rapidité d’une voiture personnelle et le prix d’une mini course pour un trajet souvent long. En plus, la diversité des passagers de passage ou résidents, leur diversité culturelle, ethnique, régionale et même biologique.
Je parle en connaissance de cause car souvent, les passagers sont en route soit pour l’hôpital, civil ou militaire, les caisses de retraite, les cours de justice, les cités universitaires ou les instituts. Le kidnappeur vous dépose où vous voulez que vous soyez étudiant en retard à votre cours ou retraité perdu dans les méandres de l’administration à la recherche de votre pension. Il vous oriente et vous rassure. Il vous crie dessus ou invoque mille saints.
L’essentiel, c’est qu’il vous dépose à l’heure, que vous soyez «coffré» c’est à dire  hébergé dans le coffre arrière de la Renault Kangoo avec en face de vous deux personnes en vis-à-vis, ou que vous soyez bien installé, place passager, bien serré à quatre dans la banquette arrière, ou bonheur suprême, calé majestueusement dans la place avant.
Etre kidnappé est loin d’être un bonheur quotidien. On rit, on discute, on s’esclaffe dans la cabine passagers et même à trois dans le coffre, on trouve motif à rire et à bavarder. Tout y passe, politique nationale et internationale, sport, demandes en mariage, fous rires, et même des disputes. Parfois, la panne tombe, sèche. Et aussi sec, le retour vers la case départ, aller à la recherche d’un autre kidnapping !
Les jeunes nous surprennent en révisant leurs leçons à la dernière minute en s’inquiétant de l’heure de l’examen. Les vieux s’enquièrent du chemin à parcourir encore en dévoilant leurs accent et nous amusent. Le mélange, linguistique, le métissage ethnique, cité internationale oblige, la mode voile avec et sans.
Tous ces signes, d’une société, adepte d’un désordre, dans l’ordre nouveau des choses, prônant certes, la clandestinité pour le transport , à défaut de pouvoir acheter une voiture, et voulant à tout prix éviter les désagréments des transports en « comme-un ».
 



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