“Je suis une femme et je suis respectable”

Les femmes seules interdites d’hôtels : les contours d’un projet de société rétrograde basé sur la discrimination


Narjis Rerhaye
Mercredi 9 Juillet 2014

“Je suis une femme et je suis respectable”
«Les femmes interdites d’hôtels au Maroc devraient être plus qu’un motif d’inquiétude mais une véritable affaire. Dans un Etat de droit, on ne peut accepter de telles mesures discriminatoires, arbitraires et abusives». Ce militant de gauche ne mâche pas ses mots. En terre marocaine, des hôteliers refusent les femmes non accompagnées. Si le fait est condamnable, la justification de ces hôtels l’est encore plus. «Nous ne voulons pas de problèmes avec la police», font-ils savoir à ces impénitentes demandeuses de chambres d’hôtels.
Le  témoignage d’une R’batie horrifiée publié par nos confrères de la Nouvelle Tribune raconte par le menu détail la mésaventure de cette citoyenne qui vote, paie ses impôts, respecte la loi et a fait 12 années d’études supérieures après le bac.. «L’employé à l’accueil m’annonce qu’il y a effectivement des chambres libres, et me prie d’attendre qu’il termine le check-in d’un groupe de touristes japonais, avant de s’occuper de moi. Je m’assois donc dans un des fauteuils disposés dans le hall et j’attends. Je suis fatiguée, la journée a été longue et un début de migraine a pris d’assaut ma tempe gauche. On m’appelle enfin et on me demande une pièce d’identité. Jusque-là, rien d’anormal. Et soudain, le  visage du réceptionniste  se ferme, il me dévisage, revient vers ma carte d’identité et me la tend en prononçant d’un ton péremptoire la sentence : «Nous ne pouvons pas vous donner de chambre !  L’adresse qui figure sur votre CIN mentionne Rabat, et la seule raison qui pousse une femme qui habite Rabat à venir passer la nuit à l’hôtel, est qu’elle soit…euh vous voyez…une femme peu respectable. Et nous sommes un hôtel respectable. Nous ne voulons pas d’ennuis avec la police!», écrit cette psychiatre.
Le ministre de l’Intérieur Mohammed Hassad a beau jeu de démentir l’existence de toute circulaire interdisant aux femmes marocaines non accompagnées de séjourner dans les hôtels du pays. Le premier flic du Royaume a beau assurer que «les hommes et les femmes sont égaux devant la loi» et qu’il ne s’agirait que d’un excès de zèle de certains hôteliers. L’interdiction existe. Tacite, coutumière et probablement inscrite dans le cadre de la lutte contre la prostitution. «Ce sont les consignes de la police», reconnaissent sous le sceau de l’anonymat des hôteliers.
Le délit de la femme seule!
«Chez nous, les campagnes sont toujours excessives. Les dérapages sont lourds. La police combat la prostitution, d’accord, et pour elle toutes les femmes seules sont des prostituées potentielles. On a eu un avant-goût de cela il y a quelques semaines à Marrakech. Les nouvelles policières gardiennes des mœurs ont multiplié les arrestations abusives installant un climat de panique chez toutes ces jeunes femmes  voulant juste sortir et faire la fête et qui risquaient de se retrouver au commissariat voire pire», s’indigne cet activiste des droits humains.
La prostitution n’est pas le fait des femmes seulement
«On ne peut pas vous donner de chambre parce que peut-être vous êtes une prostituée». La citoyenne qui a fait les frais de cette mesure hautement arbitraire –avant d’avoir gain de cause en obtenant finalement une chambre- met en mots sa colère et son indignation.  Elle décrit au plus profond son ressenti quand l’employé de l’hôtel lui a signifié les raisons du refus.  «Je ne suis personne. Personne. Ce type vient de m’annuler. Il vient de piétiner mon humanité, ma dignité, mon intégrité. Pire, il vient d’arracher une par une,  toutes mes illusions. Une voix sépulcrale hurle dans ma tête, les mots s’entrechoquent sur les parois de ma boîte crânienne. Je suis une femme, je suis une citoyenne libre de ce pays, je suis psychiatre, j’ai fait 12 ans d’études après le bac, je vote, je paie mes impôts, je respecte la loi…Pour quelle raison dois-je justifier à qui que ce soit que je suis respectable !? » peut-on lire dans son témoignage.
Sous la Coupole, c’est la même indignation qui a gagné les femmes députées. Il y a quelques jours, à l’occasion de la séance des questions orales de la Chambre basse, elles ont dénoncé avec force  l'interdiction imposée aux femmes non accompagnées de séjourner dans les hôtels du Maroc. Députées de l’opposition et de la majorité ont parlé d’une même voix et livré des témoignages «prouvant qu’une telle pratique est bel et bien courante», s’appuyant sur les résultats d'une mission de femmes envoyées dans des hôtels de plusieurs villes où elles se sont vu refuser le séjour. "Cette pratique ternit l'image du Maroc. Il faut sévir contre les hôtels qui appliquent cette mesure. La prostitution n'est pas seulement le fait des femmes", a soutenu une parlementaire appartenant à un parti de la majorité.
Comportement arbitraire de la police ? Excès de zèle d’hôteliers qui ne veulent pas de problèmes ? Pour cette défenseure des droits des femmes, l’affaire des femmes interdites d’hôtels parce que non accompagnées catalyse les enjeux d’un projet de société conservateur, rétrograde et basé sur la négation des droits des Marocaines. « Il y a les femmes comparées aux lustres, les Marocaines qui ne doivent pas travailler pour élever leurs enfants et aujourd’hui la remise en cause du droit d’une femme seule de séjourner dans un hôtel. Bassima Haqqaoui, la ministre islamiste en charge de la question féminine, a d’ailleurs annoncé la couleur il y a des mois en appelant son agenda de l’égalité Ikram, une offrande faite aux Marocaines, celles-là même qui ont arraché leurs droits de haute lutte », conclut cette membre fondatrice de l’Association démocratique des femmes du Maroc.



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