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François-Xavier Priollaud
Libération a rencontré François-Xavier Priollaud, vice-président de la région de Normandie et co-fondateur du Forum mondial pour la paix en Normandie qui s’est tenu les 28 et 29 septembre derniers à Caen, sous le thème «Résistances ! La paix des peuples». Ce jeune politique est la cheville ouvrière de ce Forum qui reçoit depuis 7 ans les grands acteurs de la paix mondiale dans une région qui a connu le débarquement des alliés pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Libération : Vous organisez cette année la 6ème édition du Forum mondial Normandie pour la paix. Rencontre que vous avez cofondée avec Hervé Morin. A l’époque, le monde et l'Europe n'étaient pas dans la même situation géopolitique. Il y a aujourd’hui une guerre à la porte de l'Europe. Comment voyez-vous le Forum avant et après la guerre en Ukraine ?
François-Xavier Prillaud : Quand on a créé le Forum, et j’ai fait cette proposition à Hervé Morin, on était en 2016 et je suis parti d'un constat : il ne faut pas toujours avoir la vision centrée sur l'Europe et ce n’est pas parce que l'Europe est en paix que le reste du monde l’est. Quand nous étions en train de préparer le 75ème anniversaire du débarquement, j’étais déjà maire de Louviers. Lorsqu’ on fait des commémorations, on voit souvent les mêmes personnes.
Libération : Vous organisez cette année la 6ème édition du Forum mondial Normandie pour la paix. Rencontre que vous avez cofondée avec Hervé Morin. A l’époque, le monde et l'Europe n'étaient pas dans la même situation géopolitique. Il y a aujourd’hui une guerre à la porte de l'Europe. Comment voyez-vous le Forum avant et après la guerre en Ukraine ?
François-Xavier Prillaud : Quand on a créé le Forum, et j’ai fait cette proposition à Hervé Morin, on était en 2016 et je suis parti d'un constat : il ne faut pas toujours avoir la vision centrée sur l'Europe et ce n’est pas parce que l'Europe est en paix que le reste du monde l’est. Quand nous étions en train de préparer le 75ème anniversaire du débarquement, j’étais déjà maire de Louviers. Lorsqu’ on fait des commémorations, on voit souvent les mêmes personnes.
On a vécu la guerre froide, la chute du communisme, la lutte contre le terrorisme international. Nous voyons bien que cette histoire internationale fonctionne en séquencesEn fait, il y a un problème de compréhension de la réalité du monde d'aujourd'hui et il ne s’agit pas de se donner bonne conscience. Je suis très attaché au devoir de mémoire, c’est essentiel, mais ce n'est pas suffisant aujourd'hui. J’ai pensé que la meilleure façon de dire merci à nos libérateurs, ceux qui ont débarqué en Normandie, c’était de leur dire : on va transmettre à la jeune génération des clés de compréhension et surtout la nécessité de ne pas être indifférent à l'évolution du monde. Ils nous ont libérés, mais peut-être pas pour grand-chose, c'est très fragile tout ça. Tout est parti de là.
Il y a aussi un autre constat: A l'agenda international, de grands rendez-vous sont organisés autour du développement durable avec les COP des Nations unies, autour de l'économie avec Davos. Il y a une multitude de choses sur la sécurité internationale. Mais paradoxalement, il n’y a pas un grand rendez-vous vraiment ouvert à tous sur la paix. J’ai donc fait cette proposition au président de la région : pourquoi ne pas créer un Forum mondial pour la paix, en Normandie, lieu tout à fait légitime pour cela? En effet, on dit toujours que la Normandie est connue dans le monde entier lorsqu’on évoque les valeurs de paix et de liberté. Mais cela, ne suffit pas, il faut bien l'incarner et l'incarnation c’est le Forum pour la paix.
La présence des jeunes dans ce forum est une réussite. Un conférencier m'a dit : « Echanger avec les lycéens, c’est bien. Ils nous bousculent parce qu’ils ont leur franc-parler
La vérité sort de la bouche des lycéens. C’est vrai, nous ne sommes pas dans un discours policé et nous ne sommes ni un État ni une organisation internationale. Nous sommes un territoire, qui a la légitimité d’accueillir ces échanges-là et on ne veut remplacer personne. C'est vrai, il y a un ton qui est beaucoup plus libre. On est attaché à des valeurs et on veut comprendre et aborder ces questions non pas sous un seul regard, soit diplomatique, soit militaire, soit politique, mais avec de la transversalité et de la pluridisciplinarité. Nous souhaitons ouvrir le jeu et ne pas toujours entendre les mêmes.
Que pensez-vous de cette guerre à la porte de l'Europe, qui est pour la première fois une menace pour la paix sur le Vieux Continent depuis le débarquement en Normandie ?
Cette guerre est à la fois révélatrice de l’état du monde aujourd'hui, parce que cette guerre est en fait l'expression de nombreux éléments, d’une conception de la place de la démocratie, du rôle de l'Union européenne, de la bascule dans une nouvelle époque. On a vécu la guerre froide, la chute du communisme, la lutte contre le terrorisme international. Nous voyons bien que cette histoire internationale fonctionne en séquences. Mais n'ayons pas non plus l'œil uniquement sur l'Europe, parce que, il faut bien s’en rendre compte, ça a souvent étonné les observateurs de voir qu’aux Nations unies, finalement, de nombreux pays se sont abstenus sur la condamnation de la Russie. Pour nous, c'est impensable. Cela veut dire que l’Europe n’est pas le centre du monde.
Nous avons reçu, au Forum Pramila Patten, la représentante du Secrétaire général des Nations unies sur un sujet très important qui est la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits. En Ukraine, il y a des crimes de viol de femmes, d'enfants. Elle nous a expliqué qu’au cours de son mandat, elle a vu des violences sexuelles sur des êtres de 4 à 84 ans. Dans cette situation, on rentre dans le domaine de la justice internationale et du droit.
Ce conflit, cette guerre en Ukraine nous interpelle sur des concepts juridiques sur une façon aussi d'envisager l'après-guerre.
Lors de ce Forum, des spécialistes et même l’ancien ministre de la Défense, M.Morin, ont affirmé que la doctrine américaine sur la sécurité s’oriente vers l'Indopacifique, l’Atlantique passant au second plan. Est-ce qu’aujourd’hui, avec cette guerre en Ukraine, il y aura un retour des Américains vers l’Atlantique ?
L’enseignement de la période actuelle, c'est qu’on doit aller vers un multilatéralisme équilibré. D’ailleurs, Jean-Pierre Raffarin a rappelé, dans son intervention, qu’il ne faut pas parler de l'Occident et du reste du monde parce que l'Occident, ce sont les Etats-Unis et l'Europe. Il vaut mieux parler des démocraties et du reste du monde parce qu'il y a de grandes démocraties en Asie. Il faut envisager vraiment l’état du monde par rapport à ce code de valeur. La grille de lecture Occident et reste du monde n’est pas une bonne grille.
On entre aussi dans une nouvelle époque, entre le Nord et le Sud et l’éloignement de leur vision du monde.
De nombreux pays considèrent qu’ils n’ont jamais vraiment eu voix au chapitre et certains disent : «Ne soyez pas pessimistes après tout. Pourquoi est-ce que quelques-uns décideraient toujours pour tous les autres? Le problème c'est qu'en fait le monde d'avant est obsolète et le monde d'après n'existe pas encore. C'est ça la difficulté du temps présent.
Ma dernière question portera sur les relations entre la France et l'Afrique. On a constaté ces dernières années et surtout l'année dernière de grands changements. La France a été très présente dans la région du Sahel. Aujourd’hui, elle est poussée à quitter la région. Même les relations de la France avec des pays amis et alliés comme le Maroc sont dans l’impasse. Que pensez-vous de ces changements dans les relations de la France avec ses anciens partenaires africains? Est-ce lié à la politique de l’Élysée ou est-ce un changement dans la doctrine de la politique française de l'étranger? Comment expliquer ces changements qui nous interpellent?
Oui en effet, on a vu presque une dizaine de coups d'État dans différents pays africains depuis 2020. Une sorte de révélation pour le grand public, qui ne connaissait pas ces sujets. Il peut se dire que la France est de plus en plus marginalisée. C'est clairement cela le sujet. Alors il faut faire attention et ne pas tomber dans le simplisme, ce n’est pas binaire comme l’a souligné Nicole Gnesotto au Forum qui faisait l’éloge de la complexité. Ce qui est clair, c'est que la politique étrangère de la France en Afrique doit évoluer. De nombreux sujets se télescopent sur cette question. On a la lutte contre le terrorisme, on a le soutien de la démocratie, on paye probablement le fait qu'il y a eu des démocraties de façade et qu’en fait, les populations de ces pays se disent : on a tout essayé aujourd'hui. Comment faire ? On dit non à ce que vous essayez d'imposer. Il faut tenir compte de la réalité sociale.
Il ne faut surtout pas donner de leçons aux pays africains, ce sont des pays souverains, et leurs peuples doivent être entendus. Comment s'assurer qu’aujourd’hui les peuples en Afrique ne sont pas ballottés par des intérêts qui ne sont pas les leurs, par des puissances étrangères, la Chine, la Russie, ici, ce sont des groupes djihadistes, ou des milices militaires comme Wagner ou d'autres. Le peuple ne doit pas être finalement la variable d'ajustement de tous ces enjeux.
Caen. Propos recueillis par Youssef Lahlali
La présence des jeunes dans ce forum est une réussite. Un conférencier m'a dit : « Echanger avec les lycéens, c’est bien. Ils nous bousculent parce qu’ils ont leur franc-parler
La vérité sort de la bouche des lycéens. C’est vrai, nous ne sommes pas dans un discours policé et nous ne sommes ni un État ni une organisation internationale. Nous sommes un territoire, qui a la légitimité d’accueillir ces échanges-là et on ne veut remplacer personne. C'est vrai, il y a un ton qui est beaucoup plus libre. On est attaché à des valeurs et on veut comprendre et aborder ces questions non pas sous un seul regard, soit diplomatique, soit militaire, soit politique, mais avec de la transversalité et de la pluridisciplinarité. Nous souhaitons ouvrir le jeu et ne pas toujours entendre les mêmes.
Que pensez-vous de cette guerre à la porte de l'Europe, qui est pour la première fois une menace pour la paix sur le Vieux Continent depuis le débarquement en Normandie ?
Cette guerre est à la fois révélatrice de l’état du monde aujourd'hui, parce que cette guerre est en fait l'expression de nombreux éléments, d’une conception de la place de la démocratie, du rôle de l'Union européenne, de la bascule dans une nouvelle époque. On a vécu la guerre froide, la chute du communisme, la lutte contre le terrorisme international. Nous voyons bien que cette histoire internationale fonctionne en séquences. Mais n'ayons pas non plus l'œil uniquement sur l'Europe, parce que, il faut bien s’en rendre compte, ça a souvent étonné les observateurs de voir qu’aux Nations unies, finalement, de nombreux pays se sont abstenus sur la condamnation de la Russie. Pour nous, c'est impensable. Cela veut dire que l’Europe n’est pas le centre du monde.
L’enseignement de la période actuelle, c'est qu’on doit aller vers un multilatéralisme équilibréD'autres nous disent que nous avons un conflit en Europe alors que cela fait des décennies qu'ils ont des conflits sur leur continent. Ce conflit est extrêmement grave parce que c'est une remise en cause par un État membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies des principes de la Charte. On retrouve des conflits entre Etats. D’une part, ce qu’on pensait être complètement fini peut revenir très vite et d’autre part, à travers ce sujet-là, il y a toute une réflexion à avoir sur les valeurs, sur le droit international.
Nous avons reçu, au Forum Pramila Patten, la représentante du Secrétaire général des Nations unies sur un sujet très important qui est la lutte contre les violences sexuelles dans les conflits. En Ukraine, il y a des crimes de viol de femmes, d'enfants. Elle nous a expliqué qu’au cours de son mandat, elle a vu des violences sexuelles sur des êtres de 4 à 84 ans. Dans cette situation, on rentre dans le domaine de la justice internationale et du droit.
Ce conflit, cette guerre en Ukraine nous interpelle sur des concepts juridiques sur une façon aussi d'envisager l'après-guerre.
Lors de ce Forum, des spécialistes et même l’ancien ministre de la Défense, M.Morin, ont affirmé que la doctrine américaine sur la sécurité s’oriente vers l'Indopacifique, l’Atlantique passant au second plan. Est-ce qu’aujourd’hui, avec cette guerre en Ukraine, il y aura un retour des Américains vers l’Atlantique ?
L’enseignement de la période actuelle, c'est qu’on doit aller vers un multilatéralisme équilibré. D’ailleurs, Jean-Pierre Raffarin a rappelé, dans son intervention, qu’il ne faut pas parler de l'Occident et du reste du monde parce que l'Occident, ce sont les Etats-Unis et l'Europe. Il vaut mieux parler des démocraties et du reste du monde parce qu'il y a de grandes démocraties en Asie. Il faut envisager vraiment l’état du monde par rapport à ce code de valeur. La grille de lecture Occident et reste du monde n’est pas une bonne grille.
On entre aussi dans une nouvelle époque, entre le Nord et le Sud et l’éloignement de leur vision du monde.
De nombreux pays considèrent qu’ils n’ont jamais vraiment eu voix au chapitre et certains disent : «Ne soyez pas pessimistes après tout. Pourquoi est-ce que quelques-uns décideraient toujours pour tous les autres? Le problème c'est qu'en fait le monde d'avant est obsolète et le monde d'après n'existe pas encore. C'est ça la difficulté du temps présent.
Ma dernière question portera sur les relations entre la France et l'Afrique. On a constaté ces dernières années et surtout l'année dernière de grands changements. La France a été très présente dans la région du Sahel. Aujourd’hui, elle est poussée à quitter la région. Même les relations de la France avec des pays amis et alliés comme le Maroc sont dans l’impasse. Que pensez-vous de ces changements dans les relations de la France avec ses anciens partenaires africains? Est-ce lié à la politique de l’Élysée ou est-ce un changement dans la doctrine de la politique française de l'étranger? Comment expliquer ces changements qui nous interpellent?
Oui en effet, on a vu presque une dizaine de coups d'État dans différents pays africains depuis 2020. Une sorte de révélation pour le grand public, qui ne connaissait pas ces sujets. Il peut se dire que la France est de plus en plus marginalisée. C'est clairement cela le sujet. Alors il faut faire attention et ne pas tomber dans le simplisme, ce n’est pas binaire comme l’a souligné Nicole Gnesotto au Forum qui faisait l’éloge de la complexité. Ce qui est clair, c'est que la politique étrangère de la France en Afrique doit évoluer. De nombreux sujets se télescopent sur cette question. On a la lutte contre le terrorisme, on a le soutien de la démocratie, on paye probablement le fait qu'il y a eu des démocraties de façade et qu’en fait, les populations de ces pays se disent : on a tout essayé aujourd'hui. Comment faire ? On dit non à ce que vous essayez d'imposer. Il faut tenir compte de la réalité sociale.
Il ne faut surtout pas donner de leçons aux pays africains, ce sont des pays souverains, et leurs peuples doivent être entendus. Comment s'assurer qu’aujourd’hui les peuples en Afrique ne sont pas ballottés par des intérêts qui ne sont pas les leurs, par des puissances étrangères, la Chine, la Russie, ici, ce sont des groupes djihadistes, ou des milices militaires comme Wagner ou d'autres. Le peuple ne doit pas être finalement la variable d'ajustement de tous ces enjeux.
Le problème, c'est qu'en fait le monde d'avant est obsolète et le monde d'après n'existe pas encoreL’Afrique est un continent dont le potentiel est absolument extraordinaire, c’est le continent le plus jeune du monde et il faut réussir à gérer cette jeunesse. Il faut aussi faire en sorte que les Africains puissent avoir un avenir chez eux, dans leur pays, Ce sont des enjeux d'éducation et de droits humains. Jean Maurice Ripert (redisait ce matin) : La question des relations internationales doit replacer la personne humaine.
Caen. Propos recueillis par Youssef Lahlali