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L’USFP sur sa lancée. Le Parti des forces populaires fort de la détermination de son Premier secrétaire, de celle de ses dirigeants et de ses bases est tout simplement en passe de retrouver la place qui est sienne. Des signes forts sont là pour en attester… Pour ne citer que les évènements les plus récents, il y a assurément lieu de rappeler ce succès probant qui a marqué la tenue du IXème Congrès de la Jeunesse USFP et, dans la foulée, la superbe double victoire aux dernières législatives partielles, en attendant un autre grand rendez-vous et non des moindres. L’exemple sera servi là par la femme ittihadie à l’égard de toutes les femmes du Maroc et bien au-delà, à en juger par la qualité de l’approche organisationnelle et le projet de plateforme se rapportant au VIIIème Congrès de l’Organisation Socialiste des Femmes Ittihadies (OSFI) attendu pour les 6,7 et 8 octobre en cours.
Libé rendra d’ailleurs compte de ces deux précieux documents dans sa prochaine édition.
Dans la présente, place à un entretien tout aussi intéressant qu’une grande dame ittihadie a bien voulu nous livrer. Le thème se suffit à lui-même puisque c’est de la femme marocaine qu’il s’agit. Fatna Sarehane, membre du Conseil national de l’USFP, en universitaire, en juriste et en militante confirmée de la cause féminine, fait le tour de la question tout en allant au fond des choses.
Des réponses édifiantes, nettes et précises qui vont de l’apport des orientations Royales concernant la condition de la femme à la nécessité de penser une réforme du Code de la famille, en passant par d’autres points tout aussi importants les uns que les autres. A lire et à relire sans modération.
Quelles impressions vous laisse le discours Royal à l’occasion de la fête du Trône du 30 juillet 2022 ?
Depuis son accession au Trône Sa Majesté le Roi Mohamed IV a toujours accordé à la condition des femmes marocaines ses bienveillantes attentions.
C’est pour dire que tous ceux qui s’intéressent à la condition des femmes attendent toujours des discours Royaux de nouvelles mesures en faveur des femmes.
Cette fois-ci on trouve que Son propos est particulier. D’une part, il a lié le développement et la dignité du Maroc «à la nécessaire participation des femmes marocaines dans tous les domaines », d’autre part, le discours Royal intervient à quelques semaines de l’ouverture de la nouvelle législature, ce qui augure d’une intervention Royale en faveur d’une réforme du Code de la famille.
Puisque Sa Majesté le Roi, après avoir rappelé les plus importants acquis en faveur d’une réelle amélioration de la condition de la femme, relève que «l’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés ».
Que peut-on déduire de ces directives Royales et des innovations du Code de la famille et de la Constitution de 2011 ?
Ces directives et innovations ont eu d’abord un effet sur les mentalités et les positions de ceux qui étaient contre l’amélioration de la condition de la femme.
Ainsi, ceux qui considéraient impossible toute approche de modification du Code de statut personnel en raison des liens de ses règles avec l’Islam, sont aujourd’hui fiers de l’apport du Code de la famille. Ensuite, la promulgation du Code de la famille et les innovations qu’il a introduites ont eu effet de lever «la sacralisation » dont jouissait le Code de statut personnel. Elles ont ouvert la voie vers d’autres réformes aussi bien pour la modification de certaines dispositions de ce Code, dispositions qui ont révélé dans la pratique leurs limites et incapacité à résoudre certains problèmes familiaux, ainsi que pour d’autres problématiques que le Code de la famille n’a pas abordés, comme le droit des successions par exemple.
Donc, les discours Royaux, le Code de la famille et la Constitution de 2011 ont levé le « tabou » qui pourrait entraver la revendication d’une réforme globale du Code de la famille afin de garantir l’égalité effective entre la femme et l’homme aussi bien entre les deux conjoints que dans leurs rapports avec les enfants.
A votre avis, par où commencer ce chantier ouvert par le discours Royal de la fête du Trône ?
Pour commencer, il faut prendre en considération le principe de l’égalité consacré par la Constitution dans son article 19 et la règle prévue dans le préambule de la Constitution qui prévoit l’harmonisation du droit interne avec les conventions internationales que le Maroc a ratifiées. Sur cette base entamer la réforme des dispositions du Code de la famille, soit ceux qui ne respectent pas le principe de l’égalité, qui sont nombreux, soit ceux qui pour régler un problème posent le principe et l’exception pour le même cas et renvoient le tout au juge qui, sur la base de son pouvoir discrétionnaire, doit assumer la responsabilité de résoudre le problème. Cette méthode qui a été suivie à dessein pour satisfaire les parties opposées, pour ou contre la réforme, a conduit à la production d’une jurisprudence non homogène, voire contradictoire selon le juge et le tribunal devant lequel l’affaire est portée.
Cette orientation ne conduit-elle pas à une réforme globale du code de la famille ?
Absolument, plus de 60 ans après l’indépendance, il n’est plus permis à l’Etat et à la société marocaine de perdre du temps et de l’argent dans des réformes qui se trouvent dépassées dès lors que leurs dispositions sont confrontées aux problèmes familiaux, comme c’était le cas de la réforme de 1993 qui n’a résolu aucun problème ou celui de l’actuel Code de la famille dont les avantages ont vite tourné en inconvénients, parce que le législateur n’a pas tranché avec précision entre deux situations contradictoires, par exemple, lorsqu’il a prévu que l’acte écrit constitue la preuve du mariage et a posé une exception permettant aux parties, en l’absence de l’acte écrit, d’obtenir sa reconnaissance par tous les moyens légaux.
Cela a conduit à ébranler toute orientation démocratique et moderniste que vise le Maroc avec toutes ses composantes, à commencer par Sa Majesté le Roi, en passant par les partis nationalistes et en terminant par les autres composantes de la société civile, notamment les associations de femmes et de droits humains.
Cette facilité offerte à certains dans le but d’assurer une stabilité à certaines familles, a conduit à la violation de la règle qui fixe l’âge matrimonial à 18 ans et a conduit à l’augmentation des cas de mariages des mineures qui a atteint, selon les statistiques entre 2015 et 2019, le chiffre de 80.599 mariages et 13.000 cas de reconnaissance de mariages, ceci sans compter les cas de mariages polygamiques contractés sans autorisation préalable du tribunal.
Ce sont d’ailleurs de pareilles situations que vise le discours Royal lorsqu’Il a relevé que «l’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés ». En considération de cette remarque Royale, on ne peut plus justifier ces reconnaissances par le respect de la stabilité des familles.
Car si stabilité il y a, elle doit commencer par le respect de la loi et celui qui viole la loi doit assumer ses responsabilités et supporter ses conséquences à commencer par l’annulation du mariage et des sanctions pénales. Il serait faux d’avancer le besoin de protéger les enfants issus de ces unions, étant donné que leurs droits à une filiation légitime sont protégés par la loi en cas de nullité du mariage.
Nous sommes conscients que les tergiversations qui ont touché plusieurs dispositions du Code de la famille sont dues aux positions contradictoires qui ont précédé la réforme du Code de statut personnel. Or aujourd’hui il y a consensus sur la question, il ne reste au législateur qu’à trancher dans le bon sens et poser des règles qui obligent tout le monde en application de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi» et en application de la directive Royale, selon laquelle «Nous soulignons la nécessité que tous, unanimement, s’attachent à l’application pleine et judicieuse des dispositions légales du Code».
Nous sommes en 2022, bien loin de l’année 1957 quand feu Allal El Fassi, à l’époque rapporteur de la commission chargée d’élaborer le Code de statut personnel, a défendu cette exception au motif que les Marocains ont pris l’habitude de conclure leurs mariages selon leurs us et coutumes ancestrales.
Ne considérez-vous pas qu’une réforme globale puisse ouvrir la voie à des débats qui risqueraient de bloquer le processus ? Autrement dit, ne doit-on pas au début se concentrer sur certaines questions prioritaires ?
Toutes les questions du droit de la famille sont prioritaires dans leur domaine, puisqu’elles concernent la famille qui est le pivot de toute société. Mais lorsqu’on se rappelle ce qui s’est passé lors de la réforme du Code de statut personnel et le débat houleux qu’elle a soulevé de la part des opposants, on peut faire quelques priorités en se référant au discours Royal pour couper court à toutes les règles qui constituent un frein « à la nécessaire participation des femmes marocaines dans tous les domaines», comme le rappelle Sa Majesté dans ce discours.
Ces priorités peuvent concerner soit la méthodologie de produire les textes, soit les solutions qui portent sur le fond.
Premièrement : la méthodologie
- Pour la modification de chaque article, il faut que ses auteurs s’assurent de son harmonisation avec les articles qui le précèdent et ceux qui le suivent, le Code étant un ensemble de textes liés les uns aux autres, pour que son application n’aboutisse pas à des contradictions, autrement dit s’assurer de l’harmonisation des règles du droit de la famille.
- Veiller à ce que les solutions posées soient contraignantes pour tous pour couper court à la règle qui pose un principe et une autre qui prévoit l’exception à ce principe pour ne pas mettre le sort des parties entre les mains du juge qui doit trancher selon son pouvoir discrétionnaire.
Cette méthodologie couperait court à la fraude à la loi aussi bien pour le mariage des mineures que pour le mariage polygamique. L’interdiction de tout mariage avant l’âge matrimonial et la polygamie sans l’autorisation du tribunal, ne peut avoir une efficacité qu’avec l’obligation de passer devant les autorités compétentes. Celles-ci sont actuellement les adouls.
Mais pourquoi ne pas donner dans une prochaine révision du Code de la famille, la compétence également, à côté des adouls, à l’officier d’état civil au choix des parties. Cette autorité chargée de recevoir les déclarations de naissances pourrait aussi procéder à la célébration des mariages, comme cela se fait partout ailleurs. Prévoir également une règle qui considère nul tout mariage conclu en dehors de l’une de ces formes. Comme il faut prévoir une sanction pénale de non respect de cette règle, et contre l’époux et le tuteur matrimonial en cas de mariage de mineure.
Deuxièmement : les solutions qui portent sur le fond.
Dans le cadre de cet article, on ne peut pas traiter de toutes les questions du droit de la famille qui se prêtent au débat chaque fois qu’on tente une approche de réforme.
Mais par la mise en œuvre du principe d’égalité entre les conjoints et la responsabilité de l’Etat pour l’harmonisation des règles du droit de la famille avec les conventions internationales dûment ratifiées, on peut modifier toutes les règles du droit de la famille sans craindre de porter préjudice aux croyances des Marocains, ceci aussi bien pour les règles qui régissent les relations entre époux, tant au moment du mariage, que pendant la vie conjugale et dans les relations entre parents et enfants.
En toute quiétude, on peut modifier les règles de la dot pour qu’elle ne soit plus supportée par le seul époux. Le Code de la famille ne considère-t-il pas son montant comme symbolique ? Et aussi pour les charges du mariage, ne peuvent-elles pas être assumées par les deux conjoints en considération de leurs moyens ?
Cela permettrait de reconnaître officiellement la participation de la femme aux charges du ménage, ce qu’elle fait actuellement sans base légale. Ceci constituerait aussi une base légale qui permettrait le partage, en toute quiétude, des biens acquis pendant le mariage.
Que peut résoudre comme situations conflictuelles le principe de l’égalité et l’harmonisation du droit de la famille avec les conventions internationales dans les rapports avec les enfants ?
- La tutelle et la garde, qui doivent revenir aux deux parents pendant le mariage.
- Après la dissolution du mariage, la tutelle doit revenir à celui des deux parents qui a la garde.
- Le mariage du parent gardien, père ou mère, ne serait pas une cause de déchéance du droit de garde, sauf préjudice prouvé pour l’enfant.
Reste la situation de l’enfant né hors mariage
La communauté internationale a dédié aux enfants une convention internationale, ratifié par le Maroc qui a également institué aux droits de l’enfant un Conseil national qui, en raison de son utilité et son importance, est présidé par une Princesse. Tous les ingrédients étant réunis pour que les enfants marocains jouissent de tous leurs droits, notamment le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à l’éducation et des droits importants : le droit à une filiation et à un nom.
La reconnaissance de l’enfant né hors mariage ne doit pas être laissée au libre arbitre de l’homme
Face aux préjudices subis par les enfants nés hors mariage, on peut d’abord recourir à la responsabilité délictuelle (article 77 du Code des obligations et contrats) pour obliger l’homme à assumer ses responsabilités à l’égard de l’enfant, dont les analyses de l’ADN prouvent qu’il en est le géniteur.
Ensuite, puisqu’en droit marocain tout homme a le droit de reconnaître sa paternité à l’égard d’un enfant de filiation inconnue, pourquoi ne pas étendre cette règle à tout enfant né hors mariage ? L’aveu du père « Iqrar » ne serait pas en contradiction avec les directives Royales, selon lesquelles « Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé ». De prime abord, cette question n’a pas fait l’objet de textes coraniques formels. Ensuite « Al Iqrar » est une règle de droit musulman classique produite par des jurisconsultes musulmans éclairés, par laquelle ils ont pu résoudre les problèmes de leurs sociétés respectives. Pourquoi ne doit-on pas suivre leur exemple pour résoudre les problèmes de la nôtre ? Tout ce qu’il faut ajouter à cette règle de droit musulman, c’est l’obligation faite à l’homme de reconnaitre la filiation de l’enfant, soit à la demande de l’enfant ou de sa mère, chaque fois que les analyses ADN prouvent qu’il en est le géniteur et ne pas laisser cette reconnaissance au libre arbitre de l’homme.
Enfin une autre partie du droit de la famille qui ne soulève pas de réels problèmes mais sa révision facilite la tâche aux justiciables et allège la charge des tribunaux, ce sont les différentes catégories de dissolution de mariage qui se caractérise par la redondance. On se demande pourquoi à côté du divorce par consentement mutuel et de la procédure de discorde garder les autres catégories.
Que dire du problème épineux des successions considéré comme «tabou» ? L’est-il réellement alors qu’il serait préjudiciable aux femmes, selon des militantes des droits des femmes ?
Les militants et les dirigeants de l’USFP étant conscients des injustices de ce système non seulement à l’égard des femmes mais à l’égard de la famille en général. Mais nous sommes aussi conscients de ce que la sensibilité du sujet provoque chez certains Marocains.
Seulement, beaucoup d’opposants à la réforme de cette partie du droit de la famille ne prêtent aucune attention aux dérives auxquelles ce système conduit pour beaucoup de femmes et de familles. L’inégalité dans le partage de l’héritage entre hommes et femmes, très préjudiciables pour ces dernières, n’est pas la seule règle contestée. Il faut voir les drames auxquels conduit la règle du « taâssib », pour les familles qui n’ont pas un descendant direct « mâle » parmi les successibles. Le « taâssib », qui fait appel à certains héritiers qui ont certes un lien de parenté avec le défunt, mais une parenté lointaine fondée sur des liens que certains ne se les rappellent qu’au moment de l’établissement de l’acte d’hérédité pour appréhender une part des biens que laisse le défunt!!!
C’est pourquoi à l’occasion du 7ème Congrès des femmes ittihadies, le Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar, avait lancé un appel à l’ouverture d’un dialogue sur l’héritage. Dans son intervention, il n’a pas proposé des solutions mais posé la question : «N’est-il pas temps d’ouvrir un dialogue ?». Il a subi des attaques virulentes. Et c’est bien ces réactions qui laissent à penser que l’ouverture d’un dialogue sur la réforme de cette partie du droit de la famille est « tabou ».
Le privilège de masculinité et le « taâssib » ne sont pas les seules règles de transmettre le patrimoine soit du vivant ou après la mort
Par le dialogue, on peut trouver d’autres solutions qui concilient le souci du respect des règles formelles du Coran et le droit à la liberté de disposer de ses biens.
Sa Majesté n’a-t-il pas déclaré dans le présent discours qu’il faut «dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l’expérience menée sur le terrain et, le cas échéant, refondre certaines dispositions qui ont été détournées de leur destination première. » N’est-ce pas un appel à l’ouverture d’un dialogue sur certaines questions du Code de la famille ?
Pour le droit des successions, on oublie souvent que le privilège de masculinité et le « taâssib » ne sont pas les seules règles de transmission des biens. Il en existe d’autres. Certaines donnent l’entière liberté aux personnes de leur vivant de donner une partie ou la totalité de leurs biens à la personne de leur choix. C’est la donation dont les règles ne sont pas soumises au code de la famille, mais régies par le Code des droits réels. Les règles de la donation affranchissent les personnes de toute contrainte au point de leur accorder le droit de ne rien laisser à leur mort. Pourquoi donc ne pas leur accorder cette même liberté de disposer de leurs biens après leur décès par testament ?
Le testament tel que réglementé par le Code de la famille exclut de son bénéfice les héritiers et limite son quantum au tiers de la succession. Or les rédacteurs du droit de la famille imposent ces règles alors qu’elles ne sont pas encadrées par des textes coraniques formels.
Pourquoi donc passer du droit à une entière liberté de disposer de tous ses biens du vivant au risque de ne rien laisser aux héritiers, aux limites de cette liberté après la mort, alors qu’il s’agit de la même personne et de la nature des mêmes biens ?
C’est pourquoi, il nous semble qu’un assouplissement des règles du testament s’impose. Une telle orientation doit accorder la liberté à ceux qui veulent transmettre leurs biens par testament. Les autres qui refusent le testament n’ont qu’à suivre les règles actuelles du Code de la famille. Avec cette solution, les deux tendances trouveraient satisfaction et les familles gagneraient en quiétude.
Propos recueillis par la rédaction
Libé rendra d’ailleurs compte de ces deux précieux documents dans sa prochaine édition.
Dans la présente, place à un entretien tout aussi intéressant qu’une grande dame ittihadie a bien voulu nous livrer. Le thème se suffit à lui-même puisque c’est de la femme marocaine qu’il s’agit. Fatna Sarehane, membre du Conseil national de l’USFP, en universitaire, en juriste et en militante confirmée de la cause féminine, fait le tour de la question tout en allant au fond des choses.
Des réponses édifiantes, nettes et précises qui vont de l’apport des orientations Royales concernant la condition de la femme à la nécessité de penser une réforme du Code de la famille, en passant par d’autres points tout aussi importants les uns que les autres. A lire et à relire sans modération.
Quelles impressions vous laisse le discours Royal à l’occasion de la fête du Trône du 30 juillet 2022 ?
Depuis son accession au Trône Sa Majesté le Roi Mohamed IV a toujours accordé à la condition des femmes marocaines ses bienveillantes attentions.
C’est pour dire que tous ceux qui s’intéressent à la condition des femmes attendent toujours des discours Royaux de nouvelles mesures en faveur des femmes.
Cette fois-ci on trouve que Son propos est particulier. D’une part, il a lié le développement et la dignité du Maroc «à la nécessaire participation des femmes marocaines dans tous les domaines », d’autre part, le discours Royal intervient à quelques semaines de l’ouverture de la nouvelle législature, ce qui augure d’une intervention Royale en faveur d’une réforme du Code de la famille.
Puisque Sa Majesté le Roi, après avoir rappelé les plus importants acquis en faveur d’une réelle amélioration de la condition de la femme, relève que «l’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés ».
Que peut-on déduire de ces directives Royales et des innovations du Code de la famille et de la Constitution de 2011 ?
Ces directives et innovations ont eu d’abord un effet sur les mentalités et les positions de ceux qui étaient contre l’amélioration de la condition de la femme.
Ainsi, ceux qui considéraient impossible toute approche de modification du Code de statut personnel en raison des liens de ses règles avec l’Islam, sont aujourd’hui fiers de l’apport du Code de la famille. Ensuite, la promulgation du Code de la famille et les innovations qu’il a introduites ont eu effet de lever «la sacralisation » dont jouissait le Code de statut personnel. Elles ont ouvert la voie vers d’autres réformes aussi bien pour la modification de certaines dispositions de ce Code, dispositions qui ont révélé dans la pratique leurs limites et incapacité à résoudre certains problèmes familiaux, ainsi que pour d’autres problématiques que le Code de la famille n’a pas abordés, comme le droit des successions par exemple.
Donc, les discours Royaux, le Code de la famille et la Constitution de 2011 ont levé le « tabou » qui pourrait entraver la revendication d’une réforme globale du Code de la famille afin de garantir l’égalité effective entre la femme et l’homme aussi bien entre les deux conjoints que dans leurs rapports avec les enfants.
A votre avis, par où commencer ce chantier ouvert par le discours Royal de la fête du Trône ?
Pour commencer, il faut prendre en considération le principe de l’égalité consacré par la Constitution dans son article 19 et la règle prévue dans le préambule de la Constitution qui prévoit l’harmonisation du droit interne avec les conventions internationales que le Maroc a ratifiées. Sur cette base entamer la réforme des dispositions du Code de la famille, soit ceux qui ne respectent pas le principe de l’égalité, qui sont nombreux, soit ceux qui pour régler un problème posent le principe et l’exception pour le même cas et renvoient le tout au juge qui, sur la base de son pouvoir discrétionnaire, doit assumer la responsabilité de résoudre le problème. Cette méthode qui a été suivie à dessein pour satisfaire les parties opposées, pour ou contre la réforme, a conduit à la production d’une jurisprudence non homogène, voire contradictoire selon le juge et le tribunal devant lequel l’affaire est portée.
Cette orientation ne conduit-elle pas à une réforme globale du code de la famille ?
Absolument, plus de 60 ans après l’indépendance, il n’est plus permis à l’Etat et à la société marocaine de perdre du temps et de l’argent dans des réformes qui se trouvent dépassées dès lors que leurs dispositions sont confrontées aux problèmes familiaux, comme c’était le cas de la réforme de 1993 qui n’a résolu aucun problème ou celui de l’actuel Code de la famille dont les avantages ont vite tourné en inconvénients, parce que le législateur n’a pas tranché avec précision entre deux situations contradictoires, par exemple, lorsqu’il a prévu que l’acte écrit constitue la preuve du mariage et a posé une exception permettant aux parties, en l’absence de l’acte écrit, d’obtenir sa reconnaissance par tous les moyens légaux.
Cela a conduit à ébranler toute orientation démocratique et moderniste que vise le Maroc avec toutes ses composantes, à commencer par Sa Majesté le Roi, en passant par les partis nationalistes et en terminant par les autres composantes de la société civile, notamment les associations de femmes et de droits humains.
Cette facilité offerte à certains dans le but d’assurer une stabilité à certaines familles, a conduit à la violation de la règle qui fixe l’âge matrimonial à 18 ans et a conduit à l’augmentation des cas de mariages des mineures qui a atteint, selon les statistiques entre 2015 et 2019, le chiffre de 80.599 mariages et 13.000 cas de reconnaissance de mariages, ceci sans compter les cas de mariages polygamiques contractés sans autorisation préalable du tribunal.
Ce sont d’ailleurs de pareilles situations que vise le discours Royal lorsqu’Il a relevé que «l’expérience a en effet mis en évidence certains obstacles qui empêchent de parfaire la réforme initiée et d’atteindre les objectifs escomptés ». En considération de cette remarque Royale, on ne peut plus justifier ces reconnaissances par le respect de la stabilité des familles.
Car si stabilité il y a, elle doit commencer par le respect de la loi et celui qui viole la loi doit assumer ses responsabilités et supporter ses conséquences à commencer par l’annulation du mariage et des sanctions pénales. Il serait faux d’avancer le besoin de protéger les enfants issus de ces unions, étant donné que leurs droits à une filiation légitime sont protégés par la loi en cas de nullité du mariage.
Nous sommes conscients que les tergiversations qui ont touché plusieurs dispositions du Code de la famille sont dues aux positions contradictoires qui ont précédé la réforme du Code de statut personnel. Or aujourd’hui il y a consensus sur la question, il ne reste au législateur qu’à trancher dans le bon sens et poser des règles qui obligent tout le monde en application de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi» et en application de la directive Royale, selon laquelle «Nous soulignons la nécessité que tous, unanimement, s’attachent à l’application pleine et judicieuse des dispositions légales du Code».
Nous sommes en 2022, bien loin de l’année 1957 quand feu Allal El Fassi, à l’époque rapporteur de la commission chargée d’élaborer le Code de statut personnel, a défendu cette exception au motif que les Marocains ont pris l’habitude de conclure leurs mariages selon leurs us et coutumes ancestrales.
Ne considérez-vous pas qu’une réforme globale puisse ouvrir la voie à des débats qui risqueraient de bloquer le processus ? Autrement dit, ne doit-on pas au début se concentrer sur certaines questions prioritaires ?
Toutes les questions du droit de la famille sont prioritaires dans leur domaine, puisqu’elles concernent la famille qui est le pivot de toute société. Mais lorsqu’on se rappelle ce qui s’est passé lors de la réforme du Code de statut personnel et le débat houleux qu’elle a soulevé de la part des opposants, on peut faire quelques priorités en se référant au discours Royal pour couper court à toutes les règles qui constituent un frein « à la nécessaire participation des femmes marocaines dans tous les domaines», comme le rappelle Sa Majesté dans ce discours.
Ces priorités peuvent concerner soit la méthodologie de produire les textes, soit les solutions qui portent sur le fond.
Premièrement : la méthodologie
- Pour la modification de chaque article, il faut que ses auteurs s’assurent de son harmonisation avec les articles qui le précèdent et ceux qui le suivent, le Code étant un ensemble de textes liés les uns aux autres, pour que son application n’aboutisse pas à des contradictions, autrement dit s’assurer de l’harmonisation des règles du droit de la famille.
- Veiller à ce que les solutions posées soient contraignantes pour tous pour couper court à la règle qui pose un principe et une autre qui prévoit l’exception à ce principe pour ne pas mettre le sort des parties entre les mains du juge qui doit trancher selon son pouvoir discrétionnaire.
Cette méthodologie couperait court à la fraude à la loi aussi bien pour le mariage des mineures que pour le mariage polygamique. L’interdiction de tout mariage avant l’âge matrimonial et la polygamie sans l’autorisation du tribunal, ne peut avoir une efficacité qu’avec l’obligation de passer devant les autorités compétentes. Celles-ci sont actuellement les adouls.
Mais pourquoi ne pas donner dans une prochaine révision du Code de la famille, la compétence également, à côté des adouls, à l’officier d’état civil au choix des parties. Cette autorité chargée de recevoir les déclarations de naissances pourrait aussi procéder à la célébration des mariages, comme cela se fait partout ailleurs. Prévoir également une règle qui considère nul tout mariage conclu en dehors de l’une de ces formes. Comme il faut prévoir une sanction pénale de non respect de cette règle, et contre l’époux et le tuteur matrimonial en cas de mariage de mineure.
Deuxièmement : les solutions qui portent sur le fond.
Dans le cadre de cet article, on ne peut pas traiter de toutes les questions du droit de la famille qui se prêtent au débat chaque fois qu’on tente une approche de réforme.
Mais par la mise en œuvre du principe d’égalité entre les conjoints et la responsabilité de l’Etat pour l’harmonisation des règles du droit de la famille avec les conventions internationales dûment ratifiées, on peut modifier toutes les règles du droit de la famille sans craindre de porter préjudice aux croyances des Marocains, ceci aussi bien pour les règles qui régissent les relations entre époux, tant au moment du mariage, que pendant la vie conjugale et dans les relations entre parents et enfants.
En toute quiétude, on peut modifier les règles de la dot pour qu’elle ne soit plus supportée par le seul époux. Le Code de la famille ne considère-t-il pas son montant comme symbolique ? Et aussi pour les charges du mariage, ne peuvent-elles pas être assumées par les deux conjoints en considération de leurs moyens ?
Cela permettrait de reconnaître officiellement la participation de la femme aux charges du ménage, ce qu’elle fait actuellement sans base légale. Ceci constituerait aussi une base légale qui permettrait le partage, en toute quiétude, des biens acquis pendant le mariage.
Que peut résoudre comme situations conflictuelles le principe de l’égalité et l’harmonisation du droit de la famille avec les conventions internationales dans les rapports avec les enfants ?
- La tutelle et la garde, qui doivent revenir aux deux parents pendant le mariage.
- Après la dissolution du mariage, la tutelle doit revenir à celui des deux parents qui a la garde.
- Le mariage du parent gardien, père ou mère, ne serait pas une cause de déchéance du droit de garde, sauf préjudice prouvé pour l’enfant.
Reste la situation de l’enfant né hors mariage
La communauté internationale a dédié aux enfants une convention internationale, ratifié par le Maroc qui a également institué aux droits de l’enfant un Conseil national qui, en raison de son utilité et son importance, est présidé par une Princesse. Tous les ingrédients étant réunis pour que les enfants marocains jouissent de tous leurs droits, notamment le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à l’éducation et des droits importants : le droit à une filiation et à un nom.
La reconnaissance de l’enfant né hors mariage ne doit pas être laissée au libre arbitre de l’homme
Face aux préjudices subis par les enfants nés hors mariage, on peut d’abord recourir à la responsabilité délictuelle (article 77 du Code des obligations et contrats) pour obliger l’homme à assumer ses responsabilités à l’égard de l’enfant, dont les analyses de l’ADN prouvent qu’il en est le géniteur.
Ensuite, puisqu’en droit marocain tout homme a le droit de reconnaître sa paternité à l’égard d’un enfant de filiation inconnue, pourquoi ne pas étendre cette règle à tout enfant né hors mariage ? L’aveu du père « Iqrar » ne serait pas en contradiction avec les directives Royales, selon lesquelles « Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé ». De prime abord, cette question n’a pas fait l’objet de textes coraniques formels. Ensuite « Al Iqrar » est une règle de droit musulman classique produite par des jurisconsultes musulmans éclairés, par laquelle ils ont pu résoudre les problèmes de leurs sociétés respectives. Pourquoi ne doit-on pas suivre leur exemple pour résoudre les problèmes de la nôtre ? Tout ce qu’il faut ajouter à cette règle de droit musulman, c’est l’obligation faite à l’homme de reconnaitre la filiation de l’enfant, soit à la demande de l’enfant ou de sa mère, chaque fois que les analyses ADN prouvent qu’il en est le géniteur et ne pas laisser cette reconnaissance au libre arbitre de l’homme.
Enfin une autre partie du droit de la famille qui ne soulève pas de réels problèmes mais sa révision facilite la tâche aux justiciables et allège la charge des tribunaux, ce sont les différentes catégories de dissolution de mariage qui se caractérise par la redondance. On se demande pourquoi à côté du divorce par consentement mutuel et de la procédure de discorde garder les autres catégories.
Que dire du problème épineux des successions considéré comme «tabou» ? L’est-il réellement alors qu’il serait préjudiciable aux femmes, selon des militantes des droits des femmes ?
Les militants et les dirigeants de l’USFP étant conscients des injustices de ce système non seulement à l’égard des femmes mais à l’égard de la famille en général. Mais nous sommes aussi conscients de ce que la sensibilité du sujet provoque chez certains Marocains.
Seulement, beaucoup d’opposants à la réforme de cette partie du droit de la famille ne prêtent aucune attention aux dérives auxquelles ce système conduit pour beaucoup de femmes et de familles. L’inégalité dans le partage de l’héritage entre hommes et femmes, très préjudiciables pour ces dernières, n’est pas la seule règle contestée. Il faut voir les drames auxquels conduit la règle du « taâssib », pour les familles qui n’ont pas un descendant direct « mâle » parmi les successibles. Le « taâssib », qui fait appel à certains héritiers qui ont certes un lien de parenté avec le défunt, mais une parenté lointaine fondée sur des liens que certains ne se les rappellent qu’au moment de l’établissement de l’acte d’hérédité pour appréhender une part des biens que laisse le défunt!!!
C’est pourquoi à l’occasion du 7ème Congrès des femmes ittihadies, le Premier secrétaire de l’USFP, Driss Lachgar, avait lancé un appel à l’ouverture d’un dialogue sur l’héritage. Dans son intervention, il n’a pas proposé des solutions mais posé la question : «N’est-il pas temps d’ouvrir un dialogue ?». Il a subi des attaques virulentes. Et c’est bien ces réactions qui laissent à penser que l’ouverture d’un dialogue sur la réforme de cette partie du droit de la famille est « tabou ».
Le privilège de masculinité et le « taâssib » ne sont pas les seules règles de transmettre le patrimoine soit du vivant ou après la mort
Par le dialogue, on peut trouver d’autres solutions qui concilient le souci du respect des règles formelles du Coran et le droit à la liberté de disposer de ses biens.
Sa Majesté n’a-t-il pas déclaré dans le présent discours qu’il faut «dépasser les défaillances et les aspects négatifs révélés par l’expérience menée sur le terrain et, le cas échéant, refondre certaines dispositions qui ont été détournées de leur destination première. » N’est-ce pas un appel à l’ouverture d’un dialogue sur certaines questions du Code de la famille ?
Pour le droit des successions, on oublie souvent que le privilège de masculinité et le « taâssib » ne sont pas les seules règles de transmission des biens. Il en existe d’autres. Certaines donnent l’entière liberté aux personnes de leur vivant de donner une partie ou la totalité de leurs biens à la personne de leur choix. C’est la donation dont les règles ne sont pas soumises au code de la famille, mais régies par le Code des droits réels. Les règles de la donation affranchissent les personnes de toute contrainte au point de leur accorder le droit de ne rien laisser à leur mort. Pourquoi donc ne pas leur accorder cette même liberté de disposer de leurs biens après leur décès par testament ?
Le testament tel que réglementé par le Code de la famille exclut de son bénéfice les héritiers et limite son quantum au tiers de la succession. Or les rédacteurs du droit de la famille imposent ces règles alors qu’elles ne sont pas encadrées par des textes coraniques formels.
Pourquoi donc passer du droit à une entière liberté de disposer de tous ses biens du vivant au risque de ne rien laisser aux héritiers, aux limites de cette liberté après la mort, alors qu’il s’agit de la même personne et de la nature des mêmes biens ?
C’est pourquoi, il nous semble qu’un assouplissement des règles du testament s’impose. Une telle orientation doit accorder la liberté à ceux qui veulent transmettre leurs biens par testament. Les autres qui refusent le testament n’ont qu’à suivre les règles actuelles du Code de la famille. Avec cette solution, les deux tendances trouveraient satisfaction et les familles gagneraient en quiétude.
Propos recueillis par la rédaction