Faire progresser l’égalité des sexes exige un nouveau pacte fiscal


Par Magdalena Sepúlveda *
Samedi 7 Mars 2020

Faire progresser l’égalité des sexes exige un nouveau pacte fiscal
Pas une seule femme dans les bureaux, les universités ou les écoles. Aucune dans la rue ou dans les transports publics. Ni dans les magasins, les restaurants ou les lieux de loisir. Pendant une journée entière, le Mexique doit être un pays sans femmes. C’est la proposition d’un collectif d’associations féministes pour le 9 mars, le lendemain de la Journée internationale des femmes.
Sous le slogan #UNDÍASINNOSOTRAS, ces mouvements appellent à une grève nationale contre la violence sexiste, l’inégalité et la culture du machisme. Le mouvement est soutenu dans tout le pays, surmontant les traditionnelles barrières de classes sociales ou de préférences politiques. De fait, le ras-le-bol va bien au-delà du Mexique. Après plusieurs «Journées sans femmes » dans d’autres pays - l’Islande a été la première à le faire en 1975, puis ont suivi la Pologne, la Suisse, les Etats-Unis et l’Argentine, entre autres, des organisations du monde entier appellent à ce que la grève prenne une dimension mondiale.  
Il faut au moins cela pour ruer dans les brancards. Car en dépit des beaux discours, les droits des femmes continuent à être constamment violés dans le monde entier. Et c’est évidemment le thème de la violence, dont les niveaux sont devenus intolérables - et pas seulement au Mexique – qui vient d’abord à l’esprit. Chaque jour, 137 femmes en moyenne dans le monde meurent des mains de leur partenaire ou d’un membre de leur famille, selon les Nations unies. Au moins 37% des femmes arabes ont subi une forme de violence pendant leur vie.
Mais ce n’est pas notre seul combat. Car l’injustice est aussi flagrante sur le terrain économique, alors que les hommes possèdent 50% de plus de la richesse totale du monde que les femmes. En moyenne, ces dernières reçoivent 77 % du salaire des hommes pour un travail, une éducation et des responsabilités identiques. Le Forum économique mondial lui-même estime qu’il faudra 202 ans pour combler l’écart salarial entre les sexes.
Au cœur des inégalités entre les sexes se trouve la répartition inégale du travail et des soins domestiques. Ce sont les femmes qui, en majorité, s’occupent des enfants, des personnes âgées, malades ou handicapées. Nous sommes également celles qui effectuent la plupart des tâches domestiques quotidiennes telles que la cuisine, les courses ou le ménage.  
Le pire est que cette contribution est invisible aux yeux des statistiques économiques officielles. Pourtant, les femmes et les jeunes filles, surtout celles qui vivent dans la pauvreté, passent 12,5 milliards d’heures par jour à s’occuper des autres gratuitement. Selon Oxfam, ces travaux apportent à l’économie une valeur ajoutée d’au moins 10.800 milliards de dollars par an, soit trois fois la valeur du secteur des technologies à l’échelle mondiale.
Dans le monde, on estime que 606 millions de femmes sont exclues du marché du travail en raison de leurs responsabilités familiales non rémunérées. Même lorsqu’elles parviennent à travailler, les femmes sont souvent prisonnières d’emplois informels et mal payés, avec des horaires flexibles qui leur permettent de passer une deuxième journée non rémunérée à la maison. Cela signifie aussi moins de protection sociale, avec des conséquences sur les revenus actuels, mais aussi futurs, en termes de droits de retraite.
Et cela devrait s’aggraver avec l’impact du changement climatique. On estime que d’ici 2025, jusqu’à 2,4 milliards de personnes vivront dans des zones où l’eau manquera, ce qui signifie que les femmes et les filles seront obligées de marcher de plus en plus loin pour la chercher, puisque c’est sur elles que repose cette mission. L’irruption de graves crises de santé publique, comme le coronavirus, va également solliciter de plus en plus de leur temps.
Pour faire progresser l’égalité des sexes, il est donc impératif de reconnaître, de réduire et de redistribuer le travail et les soins domestiques. Cela implique la mise en place de services publics de qualité tels que des crèches, des centres de santé et des maisons de retraite, mais aussi plus d’investissements dans des infrastructures telles que l’eau potable, l’assainissement et l’électricité. Ces mesures permettraient aux femmes de récupérer du temps pour travailler, mais aussi se reposer, s’engager en politique ou avoir des loisirs.
Comment cet effort peut-il être financé en ces temps d’austérité budgétaire ? Faire progresser l’égalité des sexes nécessite un nouveau pacte fiscal. Il faut d’une part concevoir des systèmes fiscaux progressifs de manière à éviter que les femmes ne supportent une charge disproportionnée. D’autre part, il faut augmenter les ressources fiscales disponibles des gouvernements, en améliorant l’efficacité du recouvrement mais aussi à travers une véritable lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.
Et c’est pourquoi il est urgent de réformer le système fiscal international - inchangé depuis un siècle – pour que les grandes entreprises - et les super-riches qui les contrôlent – payent enfin leur juste part d’impôts. Aujourd’hui, des armées d’avocats et de comptables manipulent le système fiscal international pour permettre aux multinationales de cacher leurs profits dans des paradis fiscaux, le plus légalement du monde. Cela se traduit par des pertes de 200 milliards de dollars par an pour les pays en développement, et les femmes sont les premières perdantes. Après cela, les multinationales ont beau jeu de saisir toutes les occasions possibles pour se présenter comme des alliées des causes féministes. On nage en pleine hypocrisie.
C’est pourquoi, au sein de l’ICRICT, une commission pour la réforme fiscale dont je suis membre, nous sommes convaincus que la lutte contre la grave crise de l’inégalité, y compris celle entre les sexes, nécessite une réforme importante du système international de taxation des grandes entreprises. Et nous avons, aujourd’hui, une occasion historique de le faire.
La colère des citoyens dans le monde entier a en effet poussé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le club des pays riches, à proposer une réforme des règles fiscales mondiales. Il était temps. Toutefois, comme nous l’avons expliqué dans un récent rapport, ces propositions ne sont ni ambitieuses ni équitables. Elles continuent à refléter surtout la volonté des multinationales et des élites, ce qui, en conséquence, perpétuera les inégalités économiques et sociales et la culture du patriarcat.
Se revendiquer féministe, c’est aussi repenser les structures économiques et sociales qui empêchent l’égalité des sexes. Il ne suffit pas de soutenir les femmes qui, au Mexique et ailleurs, marqueront les esprits avec des grèves spectaculaires. Cela signifie aussi exiger que les grandes entreprises et les super-riches paient ce qu’ils doivent.





 
* Magdalena Sepúlveda est directrice exécutive
de la Global Initiative for Economic,
Social and Cultural Rights et membre de la Commission indépendante sur la réforme de
la fiscalité internationale des entreprises (ICRICT). De 2008 à 2014, elle a été le
rapporteur des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme.
@Magda_Sepul


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