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Vous avez certainement remarqué que les pays d’accueil comme ceux de l’Union européenne travaillent en réseau pour prendre des décisions au niveau de Bruxelles, ce qui n’est pas le cas au niveau des pays d’origine et les pays du Sud en général ?
Vous avez raison de souligner l’importance et l’insuffisance de la coordination Sud-Sud en matière de migration internationale. Mais les choses commencent à bouger. La conférence euro-africaine de Rabat de juillet 2006 a créé des occasions de dialogue prometteur, tout comme l’initiative de la Ligue des Etats arabes de réunir en février 2008 « les ministres concernés par les questions migratoires et les expatriés arabes » même si la question de l’immigration interarabe a été écartée de l’agenda. Il est d’ailleurs prévu de tenir une première conférence des expatriés arabes, probablement en 2009 et nous avons assisté au Caire, à l’invitation de M. Mohamed Ameur, à une réunion préparatoire. Des rencontres de haut niveau ont aussi commencé entre les pays asiatiques d’émigration. J’ai l’impression que tous les pays du Sud ressentent de plus en plus le besoin de se concerter, non seulement face à l’action coordonnée des pays du Nord, notamment au niveau européen, mais aussi parce qu’ils sont tous, à des niveaux divers il est vrai, en train de devenir à la fois des pays d’émigration, de transit et de séjour. C’est aussi cela la mondialisation du fait migratoire qui fait que le dialogue de haut niveau évoqué ci-dessus est important.
A notre modeste niveau, la conférence des conseils de mars 2009 de Rabat a donné lieu aussi à des échanges Sud-Sud fructueux. L’Institut des Mexicains de l’extérieur souhaite l’établissement d’une convention bilatérale avec le CCME et nous sommes en train de la préparer ; la ministre équatorienne de l’émigration, qui était présente, veut nous associer aux réflexions latino-américaines en la matière; après la conférence, nos invités ivoiriens ont tenu à rendre visite au siège et à voir tous les services du Conseil, …Depuis, une délégation de parlementaires du Paraguay (dont un tiers de la population vit à l’étranger) nous a aussi rendu visite.
Si nous parlons de la participation politique qui intéresse énormément les Marocains établis à l’étranger, quel est le rôle du conseil dans ce débat-là ?
La question est à la fois assez simple et compliquée. Notre rôle à cet égard est clairement défini par les dispositions du Dahir Royal portant création du Conseil. L’alinéa 4 de l’article 2 lui assigne la mission d’émettre des avis sur « les moyens visant à inciter les citoyens marocains résidant à l’étranger à participer aux institutions et aux différents secteurs de la vie au niveau national et à la promotion des actions menées à leur profit » et l’article 25 lui assigne aussi -et de manière explicite-, la mission de rendre un avis sur la future composition du Conseil. Le Dahir indique aussi clairement que ces missions doivent être menées au travers de larges consultations impliquant, bien évidemment, les acteurs sociaux au Maroc et au sein de l’émigration dans leur diversité. C’est là qu’il y a un certain nombre de difficultés qu’il ne faut pas sous-estimer. Il faut donc mener une consultation qui concerne en même temps les diverses modalités de participation à la vie démocratique de la Nation, qui tienne compte des spécificités de chaque communauté et qui touche le maximum d’acteurs significatifs de ces communautés. C’est à l’élaboration de la méthodologie de la consultation (qui prendra probablement plusieurs formes) que nous travaillons en ce moment même.
Et les consultations avec les partis politiques et les syndicats ont-elles déjà démarré ?
Non, pas encore. Mais ce sera fait.
L’actuelle composition du CCME est provisoire. Est-ce que vous êtes en train de travailler sur d’autres formules ? Par exemple un élu et un autre consultatif ?
Que nous apprend l’expérience internationale dans ce domaine ? La majorité des grands pays d’émigration n’ont pas de conseils similaires au nôtre et pour ceux qui en ont établi, les modalités d’établissement de ces conseils sont très diverses et ont évolué dans le temps. A cet égard, notre situation est tout à fait normale. Sa Majesté a demandé clairement que la formule actuelle soit améliorée, et ceci au terme d’un processus de concertations que nous allons entamer. Toutes les suggestions sont à considérer, avec la seule condition qu’elles ne se cantonnent pas au niveau du slogan, mais qu’elles traitent de la question de la mise en œuvre.
Comment répondez-vous aux opposants du Conseil ? Est-ce qu’il y a un malentendu sur la mission du CCME entre ceux qui veulent que ses membres soient désignés et ceux qui désirent que ses membres soient élus ?
La diversité des points de vue est par essence saine, à condition de respecter les personnes, de défendre ses idées et ses propositions, sereinement, de manière argumentée et en se gardant, autant que possible, de penser qu’on a la vérité absolue. Et le Conseil est preneur de toutes les visions sur la composition du futur Conseil comme sur les autres enjeux que soulève la problématique migratoire. Ceci étant dit, et quel que soit le nombre des membres du futur Conseil et les modalités de composition, le défi est celui d’associer le maximum d’acteurs et de bonnes volontés de l’émigration qui ne sont pas membres et qui se comptent par milliers. Je crois que nous avons démontré, même si l’essentiel reste à faire, que ce Conseil a travaillé et compte travailler avec toutes ces énergies et ces potentialités.
Comment arrivez-vous à financer toutes les activités du Conseil ? Est-ce que le budget alloué par l’Etat suffit ou cherchez-vous des partenaires ailleurs nationaux et internationaux?
Nous avons les moyens de fonctionner normalement mais rien n’empêche, bien au contraire, de développer des partenariats et d’augmenter ainsi nos capacités d’action. Mais le motif premier de cette politique n’est pas d’abord d’ordre financier : il s’agit plutôt de bénéficier d’un savoir-faire et d’une expertise que nos partenaires ont accumulés ou d’une stratégie d’implication de ces partenaires sur notre thématique centrale.
Pendant des décennies, le Maroc a favorisé une politique de non intégration de ses concitoyens dans les pays d’accueil. Quel regard portez-vous sur la question de la citoyenneté et la participation dans les pays d’accueil ? Le Maroc a-t-il changé son approche ?
L’histoire des politiques publiques menées par le Maroc reste à écrire en se gardant des simplifications ou des approches idéologiques. Il est néanmoins vrai que les autorités marocaines tout comme celles des pays de résidence et nombre d’immigrés eux-mêmes considéraient l’immigration comme un phénomène provisoire. Rares étaient en conséquence les groupes qui pensaient et posaient la problématique de l’intégration politique dans les pays de résidence. Et vous pouvez constater aujourd’hui encore que certains acteurs au Maroc n’appréhendent l’émigration marocaine que comme une simple extension de la population vivant au pays, identique en tous points à celle qui n’a jamais émigré. L’usage largement partagé de l’expression « MRE » reflète d’une certaine manière cette approche, même si je le concède, je n’ai pas de formule toute prête plus adéquate aux mutations radicales de l’émigration. En un mot, les Marocain(e)s du monde, y compris de la première génération, s’enracinent de manière dynamique dans leurs sociétés de résidence, même si ce processus d’enracinement –que certains appellent l’intégration- est régulièrement contrarié par les discriminations, les manipulations partisanes et aujourd’hui par la crise économique. Ces Marocain(e)s manifestent en même temps un attachement notoire à la terre d’origine. C’est bien cette double appartenance, y compris politique, qu’il nous faut penser aujourd’hui, le principe étant que les politiques, publiques marocaines doivent accompagner ces processus d’enracinement et ne rien faire qui puisse les gêner. C’est en accompagnant ces processus, que les populations émigrées ont de toutes les façons adoptées, que nous pouvons maintenir et revivifier le lien avec la terre d’origine.
Comme directeur de Générique, vous avez travaillé activement pour la réalisation du Musée de l’immigration. Que pensez-vous aujourd’hui de cette institution après sa mise en place ?
La France est le premier pays européen à créer une institution nationale sur l’histoire de l’émigration et il s’agit là d’un acte de reconnaissance symbolique important. Il y a maintenant un lieu central à Paris avec une exposition permanente, un amphithéâtre, une médiathèque, un réseau de partenaires associatifs. Plusieurs expositions temporaires ont été organisées et en novembre prochain, cette Cité nationale de l’histoire de l’immigration va accueillir la plus grande exposition jamais organisée sur un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France. Il reste deux défis à relever de mon point de vue : démocratiser la fréquentation d’abord, en y amenant les publics populaires et pas seulement les immigrés et leurs descendants. C’est d’ailleurs un problème qui se pose à tous les musées en France où la fréquentation de ces lieux ne dépasse pas les 15% de la population. Et amplifier encore plus le partenariat avec le réseau associatif qui travaille sur l’histoire de l’immigration. A cet égard, le dynamisme des acteurs de la société civile, toutes origines confondues, dans ce domaine est un phénomène assez remarquable en France, avec beaucoup de professionnalisme, d’inventivité. Je note d’ailleurs que d’autres pays européens, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, connaissent des évolutions similaires avec un intérêt des pouvoirs publics et un dynamisme associatif dans le domaine de l’histoire de l’immigration. Nous essayons en ce qui nous concerne, modestement, d’accompagner ces dynamiques.
Est-ce que le Maroc ne mérite pas un musée de l’immigration comme pays de départ et d’accueil de l’immigration aujourd’hui ?
Vous rappelez là une des recommandations de l’ex-IER qui avait estimé qu’un tel musée pouvait constituer une modalité de réparation collective envers l’émigration et nous avons inscrit cette idée dans le programme 2008 et 2009. Qu’avons-nous exactement fait à cet égard ? Le groupe « cultures et identité » travaille sur ce sujet en lien avec un noyau d’acteurs associatifs et d’universitaires marocains de France, de Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni ; un CD sur la chanson de l’exil et les chioukhs de l’Oriental a été édité ; un premier séminaire a été organisé avec l’Université de Mohammedia. Et enfin trois expositions sur l’histoire de l’immigration sont accueillies au Maroc durant l’année 2009. La première, portant sur l’histoire des ouvriers des usines Renault, réalisée par l’Association Atris a sillonné le Souss marocain au printemps. La seconde, réalisée par l’Association Dakira des Pays-Bas est en ce moment même en tournée au Maroc : après Tanger et Al Hoceïma, elle voyage à Mohammedia et Casablanca. Et nous accueillons, à partir du mois de septembre l’exposition « Morrocan memories » qui évoque l’histoire de l’immigration en Grande-Bretagne et qui a été présentée à la British Library. Il y a donc de fait un travail sur l’histoire de l’immigration qui est en cours avec, en parallèle à ces activités, un travail de longue haleine de repérage des sources historiographiques et iconographiques de cette histoire.
La France mène aujourd’hui une politique d’immigration choisie et hostile envers les Marocains et les gens du Sud en général. Le regroupement familial, source principale de l’immigration marocaine vers la France, devient aujourd’hui impossible. Quelle est votre position en tant que président du CCME ?
Schématiquement, on peut dire que les politiques européennes s’articulent aujourd’hui autour des thématiques suivantes : le durcissement des voies de l’immigration familiale ; le renforcement des offres de migration légale (dite choisie ou parfois circulaire ou encore saisonnière) ; la négociation d’accords de réadmission des illégaux ; la mise sur pied d’une politique de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et d’une politique commune de l’asile ainsi que des propositions en termes de « codéveloppement ». Deuxième observation : cette politique se déploie au niveau national de chaque pays d’Europe en même temps qu’au niveau multilatéral, notamment européen. Nous n’avons pas, en tant qu’instance consultative et de prospective à prendre position. C’est le rôle de la diplomatie marocaine et des ministères en charge, notamment celui de M. Ameur, à prendre position et à défendre les intérêts des populations expatriées, ce qu’ils ne manquent pas de faire. Nous tenons à respecter strictement leurs prérogatives et à exercer les nôtres, par avis consultatifs ou en éclairant, à travers notre rapport stratégique, la réflexion de notre pays. Nous essayerons de le faire et ce sera alors le moment d’apprécier notre action. Il ne revient pas non plus au Conseil de prendre la place des acteurs des communautés marocaines qui, sur place, se battent tous les jours contre les discriminations et pour la défense des droits. Mais il peut, s’ils le souhaitent et tout en respectant leur autonomie, appuyer modestement leurs activités.
Vous avez raison de souligner l’importance et l’insuffisance de la coordination Sud-Sud en matière de migration internationale. Mais les choses commencent à bouger. La conférence euro-africaine de Rabat de juillet 2006 a créé des occasions de dialogue prometteur, tout comme l’initiative de la Ligue des Etats arabes de réunir en février 2008 « les ministres concernés par les questions migratoires et les expatriés arabes » même si la question de l’immigration interarabe a été écartée de l’agenda. Il est d’ailleurs prévu de tenir une première conférence des expatriés arabes, probablement en 2009 et nous avons assisté au Caire, à l’invitation de M. Mohamed Ameur, à une réunion préparatoire. Des rencontres de haut niveau ont aussi commencé entre les pays asiatiques d’émigration. J’ai l’impression que tous les pays du Sud ressentent de plus en plus le besoin de se concerter, non seulement face à l’action coordonnée des pays du Nord, notamment au niveau européen, mais aussi parce qu’ils sont tous, à des niveaux divers il est vrai, en train de devenir à la fois des pays d’émigration, de transit et de séjour. C’est aussi cela la mondialisation du fait migratoire qui fait que le dialogue de haut niveau évoqué ci-dessus est important.
A notre modeste niveau, la conférence des conseils de mars 2009 de Rabat a donné lieu aussi à des échanges Sud-Sud fructueux. L’Institut des Mexicains de l’extérieur souhaite l’établissement d’une convention bilatérale avec le CCME et nous sommes en train de la préparer ; la ministre équatorienne de l’émigration, qui était présente, veut nous associer aux réflexions latino-américaines en la matière; après la conférence, nos invités ivoiriens ont tenu à rendre visite au siège et à voir tous les services du Conseil, …Depuis, une délégation de parlementaires du Paraguay (dont un tiers de la population vit à l’étranger) nous a aussi rendu visite.
Si nous parlons de la participation politique qui intéresse énormément les Marocains établis à l’étranger, quel est le rôle du conseil dans ce débat-là ?
La question est à la fois assez simple et compliquée. Notre rôle à cet égard est clairement défini par les dispositions du Dahir Royal portant création du Conseil. L’alinéa 4 de l’article 2 lui assigne la mission d’émettre des avis sur « les moyens visant à inciter les citoyens marocains résidant à l’étranger à participer aux institutions et aux différents secteurs de la vie au niveau national et à la promotion des actions menées à leur profit » et l’article 25 lui assigne aussi -et de manière explicite-, la mission de rendre un avis sur la future composition du Conseil. Le Dahir indique aussi clairement que ces missions doivent être menées au travers de larges consultations impliquant, bien évidemment, les acteurs sociaux au Maroc et au sein de l’émigration dans leur diversité. C’est là qu’il y a un certain nombre de difficultés qu’il ne faut pas sous-estimer. Il faut donc mener une consultation qui concerne en même temps les diverses modalités de participation à la vie démocratique de la Nation, qui tienne compte des spécificités de chaque communauté et qui touche le maximum d’acteurs significatifs de ces communautés. C’est à l’élaboration de la méthodologie de la consultation (qui prendra probablement plusieurs formes) que nous travaillons en ce moment même.
Et les consultations avec les partis politiques et les syndicats ont-elles déjà démarré ?
Non, pas encore. Mais ce sera fait.
L’actuelle composition du CCME est provisoire. Est-ce que vous êtes en train de travailler sur d’autres formules ? Par exemple un élu et un autre consultatif ?
Que nous apprend l’expérience internationale dans ce domaine ? La majorité des grands pays d’émigration n’ont pas de conseils similaires au nôtre et pour ceux qui en ont établi, les modalités d’établissement de ces conseils sont très diverses et ont évolué dans le temps. A cet égard, notre situation est tout à fait normale. Sa Majesté a demandé clairement que la formule actuelle soit améliorée, et ceci au terme d’un processus de concertations que nous allons entamer. Toutes les suggestions sont à considérer, avec la seule condition qu’elles ne se cantonnent pas au niveau du slogan, mais qu’elles traitent de la question de la mise en œuvre.
Comment répondez-vous aux opposants du Conseil ? Est-ce qu’il y a un malentendu sur la mission du CCME entre ceux qui veulent que ses membres soient désignés et ceux qui désirent que ses membres soient élus ?
La diversité des points de vue est par essence saine, à condition de respecter les personnes, de défendre ses idées et ses propositions, sereinement, de manière argumentée et en se gardant, autant que possible, de penser qu’on a la vérité absolue. Et le Conseil est preneur de toutes les visions sur la composition du futur Conseil comme sur les autres enjeux que soulève la problématique migratoire. Ceci étant dit, et quel que soit le nombre des membres du futur Conseil et les modalités de composition, le défi est celui d’associer le maximum d’acteurs et de bonnes volontés de l’émigration qui ne sont pas membres et qui se comptent par milliers. Je crois que nous avons démontré, même si l’essentiel reste à faire, que ce Conseil a travaillé et compte travailler avec toutes ces énergies et ces potentialités.
Comment arrivez-vous à financer toutes les activités du Conseil ? Est-ce que le budget alloué par l’Etat suffit ou cherchez-vous des partenaires ailleurs nationaux et internationaux?
Nous avons les moyens de fonctionner normalement mais rien n’empêche, bien au contraire, de développer des partenariats et d’augmenter ainsi nos capacités d’action. Mais le motif premier de cette politique n’est pas d’abord d’ordre financier : il s’agit plutôt de bénéficier d’un savoir-faire et d’une expertise que nos partenaires ont accumulés ou d’une stratégie d’implication de ces partenaires sur notre thématique centrale.
Pendant des décennies, le Maroc a favorisé une politique de non intégration de ses concitoyens dans les pays d’accueil. Quel regard portez-vous sur la question de la citoyenneté et la participation dans les pays d’accueil ? Le Maroc a-t-il changé son approche ?
L’histoire des politiques publiques menées par le Maroc reste à écrire en se gardant des simplifications ou des approches idéologiques. Il est néanmoins vrai que les autorités marocaines tout comme celles des pays de résidence et nombre d’immigrés eux-mêmes considéraient l’immigration comme un phénomène provisoire. Rares étaient en conséquence les groupes qui pensaient et posaient la problématique de l’intégration politique dans les pays de résidence. Et vous pouvez constater aujourd’hui encore que certains acteurs au Maroc n’appréhendent l’émigration marocaine que comme une simple extension de la population vivant au pays, identique en tous points à celle qui n’a jamais émigré. L’usage largement partagé de l’expression « MRE » reflète d’une certaine manière cette approche, même si je le concède, je n’ai pas de formule toute prête plus adéquate aux mutations radicales de l’émigration. En un mot, les Marocain(e)s du monde, y compris de la première génération, s’enracinent de manière dynamique dans leurs sociétés de résidence, même si ce processus d’enracinement –que certains appellent l’intégration- est régulièrement contrarié par les discriminations, les manipulations partisanes et aujourd’hui par la crise économique. Ces Marocain(e)s manifestent en même temps un attachement notoire à la terre d’origine. C’est bien cette double appartenance, y compris politique, qu’il nous faut penser aujourd’hui, le principe étant que les politiques, publiques marocaines doivent accompagner ces processus d’enracinement et ne rien faire qui puisse les gêner. C’est en accompagnant ces processus, que les populations émigrées ont de toutes les façons adoptées, que nous pouvons maintenir et revivifier le lien avec la terre d’origine.
Comme directeur de Générique, vous avez travaillé activement pour la réalisation du Musée de l’immigration. Que pensez-vous aujourd’hui de cette institution après sa mise en place ?
La France est le premier pays européen à créer une institution nationale sur l’histoire de l’émigration et il s’agit là d’un acte de reconnaissance symbolique important. Il y a maintenant un lieu central à Paris avec une exposition permanente, un amphithéâtre, une médiathèque, un réseau de partenaires associatifs. Plusieurs expositions temporaires ont été organisées et en novembre prochain, cette Cité nationale de l’histoire de l’immigration va accueillir la plus grande exposition jamais organisée sur un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France. Il reste deux défis à relever de mon point de vue : démocratiser la fréquentation d’abord, en y amenant les publics populaires et pas seulement les immigrés et leurs descendants. C’est d’ailleurs un problème qui se pose à tous les musées en France où la fréquentation de ces lieux ne dépasse pas les 15% de la population. Et amplifier encore plus le partenariat avec le réseau associatif qui travaille sur l’histoire de l’immigration. A cet égard, le dynamisme des acteurs de la société civile, toutes origines confondues, dans ce domaine est un phénomène assez remarquable en France, avec beaucoup de professionnalisme, d’inventivité. Je note d’ailleurs que d’autres pays européens, notamment en Belgique et aux Pays-Bas, connaissent des évolutions similaires avec un intérêt des pouvoirs publics et un dynamisme associatif dans le domaine de l’histoire de l’immigration. Nous essayons en ce qui nous concerne, modestement, d’accompagner ces dynamiques.
Est-ce que le Maroc ne mérite pas un musée de l’immigration comme pays de départ et d’accueil de l’immigration aujourd’hui ?
Vous rappelez là une des recommandations de l’ex-IER qui avait estimé qu’un tel musée pouvait constituer une modalité de réparation collective envers l’émigration et nous avons inscrit cette idée dans le programme 2008 et 2009. Qu’avons-nous exactement fait à cet égard ? Le groupe « cultures et identité » travaille sur ce sujet en lien avec un noyau d’acteurs associatifs et d’universitaires marocains de France, de Belgique, des Pays-Bas et du Royaume-Uni ; un CD sur la chanson de l’exil et les chioukhs de l’Oriental a été édité ; un premier séminaire a été organisé avec l’Université de Mohammedia. Et enfin trois expositions sur l’histoire de l’immigration sont accueillies au Maroc durant l’année 2009. La première, portant sur l’histoire des ouvriers des usines Renault, réalisée par l’Association Atris a sillonné le Souss marocain au printemps. La seconde, réalisée par l’Association Dakira des Pays-Bas est en ce moment même en tournée au Maroc : après Tanger et Al Hoceïma, elle voyage à Mohammedia et Casablanca. Et nous accueillons, à partir du mois de septembre l’exposition « Morrocan memories » qui évoque l’histoire de l’immigration en Grande-Bretagne et qui a été présentée à la British Library. Il y a donc de fait un travail sur l’histoire de l’immigration qui est en cours avec, en parallèle à ces activités, un travail de longue haleine de repérage des sources historiographiques et iconographiques de cette histoire.
La France mène aujourd’hui une politique d’immigration choisie et hostile envers les Marocains et les gens du Sud en général. Le regroupement familial, source principale de l’immigration marocaine vers la France, devient aujourd’hui impossible. Quelle est votre position en tant que président du CCME ?
Schématiquement, on peut dire que les politiques européennes s’articulent aujourd’hui autour des thématiques suivantes : le durcissement des voies de l’immigration familiale ; le renforcement des offres de migration légale (dite choisie ou parfois circulaire ou encore saisonnière) ; la négociation d’accords de réadmission des illégaux ; la mise sur pied d’une politique de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne et d’une politique commune de l’asile ainsi que des propositions en termes de « codéveloppement ». Deuxième observation : cette politique se déploie au niveau national de chaque pays d’Europe en même temps qu’au niveau multilatéral, notamment européen. Nous n’avons pas, en tant qu’instance consultative et de prospective à prendre position. C’est le rôle de la diplomatie marocaine et des ministères en charge, notamment celui de M. Ameur, à prendre position et à défendre les intérêts des populations expatriées, ce qu’ils ne manquent pas de faire. Nous tenons à respecter strictement leurs prérogatives et à exercer les nôtres, par avis consultatifs ou en éclairant, à travers notre rapport stratégique, la réflexion de notre pays. Nous essayerons de le faire et ce sera alors le moment d’apprécier notre action. Il ne revient pas non plus au Conseil de prendre la place des acteurs des communautés marocaines qui, sur place, se battent tous les jours contre les discriminations et pour la défense des droits. Mais il peut, s’ils le souhaitent et tout en respectant leur autonomie, appuyer modestement leurs activités.